La complainte du trader
(1)
Je travaillais à la City
Dans ma partie, j’étais un bon,
On goûtait ma ténacité.
Mon job c’était : lever des fonds ;
Placements risqués, actions, hedges funds…
La Bourse pour moi n’a pas d’secrets.
Jouer, c’était mon kiff, au fond…
Je suis trader, c’est mon métier.
Je peux le dire, sans me vanter,
j’ai gagné des paquets de blé.
Et pour la banque et mes patrons,
je vous raconte pas la moisson…
Achat et ventes, acquisitions
des entreprises à dégraisser.
Fusions, délocalisations…
Faut de la rentabilité !
(2)
L’économie c’est une guerre.
Il faut tuer ou se faire tuer.
Pour moi, c’était mon ordinaire ;
Je savais tirer le premier.
Bien sûr parfois des salariés
se retrouvaient sur le carreau.
Mais à quoi bon crier « Haro ! »
sur nous autres les financiers ?
Moi, qu’est-ce que je pouvais y faire ?
Telle est la dure loi des affaires,
la dure loi de la City,
le prix de l’efficacité.
On a connu des moments forts,
de beaux jours de spéculation
où on s’est fait des couilles en or
en bossant pour les fonds d’pension.
(3)
On a connu la belle époque
du crédit fou, des dettes en stock.
On était junky aux subprimes ;
C’était l’bon temps, le good old time.
On a connu les grosses bulles ;
l’Internet et l’immobilier,
les nouveaux produits financiers…
On vivait comme des funambules
pareils à des bulles de champagne
toujours plus vives et légères,
la mousse même de la Terre…
Nous avions la frite, la gagne.
J’avais choisi de vivre à Londres
pour bosser chez Lehman’s B.rothers.
Mais voici : soudain tout s’effondre ;
c’est la faillite pour les brokers.
(4)
Hier on nous a réunis
pour nous dire : « Vous êtes virés ;
Lehman’s Brother, c’est terminé ».
La vie à Londres c’est fini.
Finie ma carrière de trader.
Mon loft de Trafalgar Square.
Et à qui vendre ? Plus d’acheteurs…
Je vais aller pointer, chômeur.
Je vais rejoindre la foule inquiète
des insolvables… Ceux-là même
qui ne pouvant payer leurs traites
ont fait chuter tout le système.
(Le mal toujours nous vient des pauvres…)
God save the Bank ! l’Etat nous sauve !
Vite, que reprennent les affaires !
Et qu’à nouveau je sois trader !
le 18 janvier 2009