
Visite à Montpeyroux, près de Lodève, chez les amis Georges et Nicole Drano, au milieu des vignes et des oliviers, au moment où débutaient les vendanges. Et lecture de poèmes, avec Guy Allix et son copain musicien, Olivier Mellisse. Belle rencontre. Voici quelques uns des poèmes lus à cette occasion :
Gérer
Aujourd’hui
le vocabulaire de l’économie
a tout envahi.
On gère sa vie
sa carrière
ses amours
ses peines de cœur
ses enfants
son divorce
son sport favori
sa migraine
sa surcharge pondérale
son souffle au cœur
sa dépression
et son cancer
et, comble du malheur
pour les bons petits gestionnaires
que nous sommes devenus,
à la fin
infailliblement
on fait faillite.
La prosopopée des chaises
Vous ne dites rien, vous restez là, toute la journée,
coi et buté dans votre coin.
Vous êtes une chaise.
Vous avez la tête… dure, on dirait du bois, vous êtes émotif…
sentimental comme un moulage plastique, sensible à la beauté comme un tube d’acier ;
ce qui est normal
puisque vous êtes une chaise.
Vous êtes d’une patience à toute épreuve, vous ne faites pas de politique, vous n’avez d’ailleurs aucune opinion personnelle sur aucun sujet particulier,
car vous êtes une chaise.
Vous tournez obstinément le dos à l’étranger qui entre dans la maison, vous regardez la table de la salle à manger, comme si vous aviez peur qu’on vous la vole,
vous êtes étroit et raciste.
Vous êtes une chaise.
Vous passez votre temps à quatre pattes, prostré là où on vous a posé, dans la cuisine ou le salon,
vous n’avez pas de revendication,
vous faites votre boulot sans l’ouvrir, jusqu’au jour où malencontreusement vous vous cassez une patte,
alors on vous jette ;
car vous n’êtes qu’une chaise.
Si vous aviez fait des études, si la fortune vous avez souri, vous auriez pu prétendre au rang de siège.
Mais vous n’êtes qu’une chaise.
Vous prenez des airs distingués, vous vous tenez toujours droit, vous êtes particulièrement guindé et collé monté,
mais n’importe quel cul peut se poser sur votre nez,
vous ne protestez jamais.
Je crois que vous êtes une chaise.
En fait,
Vous êtes sourd et idiot.
(Peut-être bien que vous êtes une chaise.)
On vous a vu dans une taverne
chevauché par des soudards dansant une ronde endiablée autour de la pièce,
vous ne vous souvenez bien sûr de rien
vous ne connaissez pas l’Histoire.
Vous êtes une chaise.
Vous avez oublié le bruissement des forêts, les confidences de l’humus, le cri du geai,
vous ne connaissez rien de la nature.
Vraiment, vous êtes une chaise.
Pour vous le monde est rond ou carré,
quelle que soit votre taille, votre couleur ou votre forme, vous répondez
au concept de chaise,
comme un chien répond à l’appel de son maître.
Pourtant, vous ignorez tout de la philosophie,
vous ne possédez pas le moindre rudiment de dialectique,
vous ne soupçonnez rien de votre double nature
de valeur d’usage et de valeur d’échange,
et ce qu’on fait de vous, malheureux, ne vous fait ni chaud, ni froid.
Vous êtes une chaise…
Et maintenant,
vous me dites que ce n’est pas vrai,
que vous en avez assez de ce poème,
et que, d’ailleurs, vous n’êtes pas une chaise…
D’accord…
Alors,
prouvez-le.
Avenir
Les portes de l’avenir sont ouvertes
sur le jour et sur la nuit
sur le grand vent de sable de notre fin
ou les saisons perpétuelles du sourire.
Du grand livre futur rien n’est encore écrit.
En mal comme en bien,
nous avons encore la faculté de nous surprendre,
toi et moi,
ceux qui viendront après
et que nous ne connaîtrons pas,
nous tous… Notre histoire ne s’arrête pas là.
Une chose est sûre :
si nous voulons que l’avenir
tienne l es promesses du passé
nous devons nous occuper du présent.