Du 19 au 22 mars, je me suis rendu en Arabie saoudite, pour des lectures de poèmes, à l’occasion d’un festival culturel. J’en ai rapporté ces distiques.
1
Les hommes déambulent, blanc immaculés
Comme des saints… Qui s’occupe de les nettoyer ?
2
(Au beau milieu de tous ces hommes en robe,
Je pense à une femme en pantalons).
3
Hommes en blanc, femmes en noir… Jour contre nuit…
(Le soleil en arabe est pourtant féminin).
4
Ici, même en plein jour
La moitié du ciel porte un voile de nuit.
5
Les femmes, même brillantes, vivent dans l’obscurité
(Elles qui pourtant sont la lumière des hommes).
6
« Il faut le noir pour que brillent les étoiles », me dis-tu.
En plein jour aussi il y a des étoiles… et nul ne s’en étonne.
7
« Précieuse est la femme »… On l’a protège comme un butin.
Mais un butin n’a jamais droit à la parole.
8
Murmures… Une femme derrière un paravent.
Est-ce sa laideur ou sa beauté qu’on veut cacher ?
9
(Ne saurions-nous pas réfréner nos désirs ?…)
Cacher ainsi la femme est pour l’homme une offense.
10
Soudain, de derrière le mur, une femme prend la parole…
J’entends l’invisible voix… Dieu serait donc Femme ?
11
Les hôtesses de l’air rencontrées en plein ciel
(Pourtant plus près du Paradis) n’ont pas le voile.
12
Avant l’envol, nous avons droit à la sourate.
(Me voici rassuré… Dieu est à bord).
13
Téléphone, trains, antibiotiques, ordinateurs…
Quelle invention est à mettre au compte du Seigneur ?
14
Il faudrait opérer une stricte séparation
Non des sexes, mais du Ciel et de la Terre.
15
Il y a trop longtemps que le Ciel et la Terre
Entretiennent des relations licites mais coupables.
16
On pourrait laisser le Ciel aux religieux
Et garder pour nous, simples humains, la Terre.
17
Intégristes, ils ont détruit le tombeau du Prophète.
« Dieu me garde de mes amis… je m’occupe de mes ennemis. »
18
Cette fascination (fatale) pour l’absolu,
Peut-on dire si c’est au désert qu’elle est due ?
19
Où est passé mon camarade Abu Nuwas ?
Ces Arabes qui tant aimaient le vin, l’amour, la poésie…
20
Imru l’Qays a sacrifié son chameau pour des belles…
Il en est qui préfèrent aux belles les chameaux.
21
Combien de princes désœuvrés, de palais inoccupés ?
Alors qu’il en est tant sans argent et sans toit !
22
Tempête de sable sur Riyad… brouillard jaune.
Aveuglé le ciel dévoile un désert.
23
Cette ville moderne, ce pays riche et puissant
(Je m’en aperçois) sont bâtis sur du sable…
24
Exploiter à fond l’homme et le pétrole
Cette « raison économique » à la fin est folle.
25
L’huile noire de la Terre est une bénédiction ;
Ou si l’on préfère, une malédiction.
26
Ici non plus il n’est pas bon être immigré…
Partout, l’« étranger », c’est toujours le pauvre.
27
Désorientés… Papiers confisqués dès l’aéroport.
Orient, Occident… les maîtres ne perdent pas le Nord.
28
Philippin, peut-être, le chauffeur est invisible…
Invisible encore au moment de la paye.
29
Voici, pour les touristes, la Place aux horloges.
(C’est ici, le vendredi, qu’on décapite).
30
Cet homme, assis, est beau, généreux et fier.
(Tout homme devrait avoir un titre de noblesse).
31
Dans le désert bédouin, rien ne pousse ;
Sauf la fleur austère de la fierté arabe.
32
En marge de tous les déserts
Il y a toujours de l’eau, de la vie, du vert…
33
Si tu n’étais pas différent, je ne serais pas le même.
Ainsi je dois à nouveau te remercier, mon frère.
34
Nuit noir pétrole sur le Golfe. Ciel vide. Seules étoiles :
Les lumières de la ville tout le long de la Côte.
35
Cette nuit j’ai dormi à l’enseigne de la Tulipe d’or
Mais il n’y a pas de tulipe. Ma tulipe est à Paris.
36
Hier soir, j’ai trempé mes pieds dans l’eau du Golfe ;
Puis, sur cette Terre, j’ai dormi tout près de toi.