Archive pour mai 2010

Journal d’hôpital

Lundi 24 mai 2010

Le dernier voyage que je viens de faire m’a conduit dans un service cardiologie. J’en suis revenu avec un bout de ressort dans une artère, quelques bonnes résolutions et cinq poèmes…

 

 

Dernières

 

 

nouvelles du cœur

 

 

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Un sénateur romain

Dans les couloirs, je croise un sénateur romain.
De son drap de lit blanc il s’est fait une toge
dont il a jeté un pan par dessus son épaule
et qu’il tient de sa main droite couverte d’ecchymoses
(sans doute la perfusion).
On dirait Cicéron ou Sénèque
Mais il ne siège pas sur une chaise curule.
Il attend son tour pour un doppler
assis sur un siège au coussin en élastomère vert d’eau.

Dans la vie extérieure, la vraie vie, dehors,
celle où on ne pense pas tous les jours à la mort,
il doit porter un costume ordinaire,
c’est un monsieur sérieux, un homme responsable
et plutôt estimé ;
quelqu’un que ses collaborateurs n’imaginent pas tout nu
assis sur la cuvette des W.C.
(ou alors, rarement).

C’est vrai que, ces dernières années,
il ne s’est pas beaucoup économisé…
Et puis, avec toutes ses obligations,
les repas offerts aux clients, les réceptions,
le cigare et le whisky le soir, de retour à la maison à pas d’heure,
il mène une vie de bâton de chaise…
(Pourtant, les bâtons des chaises à porteur
qui transportaient les maîtres, n’étaient pas toujours à la noce.)
Lui, il ne porte pas et ne se fait pas porter (on est en république)
mais il se déplace tout le temps en voiture.
et bouger avec la voiture, c’est une vie de sédentaire.
 
Le Sénateur romain est un petit chef d’entreprise
aux prises avec la crise.
(Au dernier trimestre, le carnet de commande a chuté ;
il y a le personnel à payer, les charges, les fournisseurs…
Si ça continue, il va déposer le bilan ou y laisser sa santé ;
si ce n’est déjà fait.)

Ici, anonyme et perdu, seul dans ce couloir
qui le mène peut-être vers la grande lumière de la mort
(celle qu’on voit dans les films)
il ne pense pas beaucoup aux stoïciens romains.
(Il a lu pourtant autrefois Marc Aurèle… Épictète, peut-être pas…)
Mais dans sa toge improvisée, il retrouve un peu de sa dignité.

(Ce qui détone, ce sont les surchaussures de plastique transparent
dans lesquelles ses pieds nus et blancs sont enfermés)

*
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Coronarographie

Je suis allongé sur la table pour l’examen
dont le formulaire de la clinique précise qu’il est invasif
Sur moi est posé un grand champ chirurgical comme un champ de lin bleu

J’ai aimé la vie et celle-ci m’a bien aimé aussi
et c’est pourquoi je suis ici (ce qui montre que ces choses ne sont pas si bien faites que ça)
«  La vie est bien faite » disent pourtant les gens
mais de temps en temps, il faut intervenir pour la corriger

La nature a besoin d’être réparée
et la médecine est la preuve que dieu n’existe pas

On m’a rasé la région génitale et mon sexe a une tête pitoyable de bagnard

Me voici entre les mains du chirurgien qui prépare une seringue d’anesthésiant

Allongé sur la table d’opération je pense à l’erreur de la téléologie
(Si la rose est odorante, c’est pour attirer l’abeille et cela répondrait à un obscur dessein…
Peut-être alors le cholestérol a-t-il été inventé
pour permettre le développement des services de cardiologie ?…)

Le cardiologue va introduire une sonde par une artère radiale du bras gauche,
au niveau du poignet
et il va remonter jusque dans les coronaires pour faire l’état des lieux

Le produit de contraste qu’on m’injecte dans les artères me glace et me brûle
(je ne pourrai pas dire que cela ne m’a fait ni chaud ni froid)

La sonde poursuit son chemin dans mon bras vers la planète du cœur

(Je suis moi-même, modestement, une galaxie)

Pendant toute la durée de l’opération,
la grosse tête pensive de l’appareil radio, (un capteur plan)
me tourne autour, avec son bras articulé qui lui fait un long coup de dinosaure
Elle s’approche très près, m’observe sous toutes les coutures,
me regarde dans les yeux comme un brontosaure herbivore
qui examinerait une pâquerette avant de la brouter
(Par chance, je ne suis pas une pâquerette)

Le dinosaure vient me renifler
mais il ne veut pas me cueillir
il veut simplement me sonder le cœur et les reins
Il voit tout ce que je cache à l’intérieur
(ce dont bien peu peuvent se vanter ;
pas même moi qui me livre rarement à cet exercice d’introspection)

« Au décours de l’examen vous devez rester sans bouger »
le bras bloqué dans une position inconfortable
Je sens la sonde monter, puis ressortir
Le cardiologue vient placer un ressort dans la diagonale de l’artère médiane

Il se sert de guides, comme un pêcheur qui tire sur sa ligne
ou comme sur des rails, il cherche l’aiguillage en suivant sur l’écran
(industrie ferroviaire miniaturisée)
Technologie de pointe, l’œil et la main

Le cardiologue est un ouvrier hautement qualifié qui suit un protocole précis
mais il y faut de la concentration et du métier

et moi je sens que je suis une machine réparable
(ce qui est finalement plutôt réjouissant)

Pendant toute la durée de l’opération je suis éveillé et nous parlons
«  Moi j’utilise du 6… c’est un peu plus gros, mais c’est plus efficace… »)

Voilà une chose dont les magnétiseurs de tout poil, les chamans emplumés,
les guérisseurs qui pratiquent l’imposition des mains
et qui prétendent contrôler le flux de notre énergie ne seraient pas capables

Je suis allongé sur la table d’opération et il faut que je me détende
car cela dure plus longtemps que prévu
(Depuis que je suis entré ici, j’ai compris que le mot « patient »
voulait simplement dire : « qui doit patienter »)

… Après viendra le temps d’essayer d’en tirer des métaphores
Je pourrai penser plus librement à la circulation du sang dans les vaisseaux du monde,
aux embouteillages, à la pollution,
à l’hypertension du marché,
à la sténose des artères de la société qu’il faudrait aussi être capables de déboucher
(Pour cela, il faudrait que les peuples acquièrent une nouvelle formation théorique de praticiens)

La connaissance poétique (qui établit des rapports de formes entre les choses)
n’a pas de vertu pratique si ce n’est nous faire mieux ressentir l’unité du monde… rendre la vie plus vive…
Mais pour nous maintenir en vie, il faut une autre science…

Pour exercer un pouvoir pratique sur le monde,
il faut le diviser, le découper en lamelles,
comme le font le savoir scientifique et la technologie.

Maintenant que c’est fini, je peux donc dire :
Vive la médecine !
Vive la science et la technique !
Vive les travailleurs médicaux, infirmiers et chirurgiens !

De toute mon âme de vivant et de poète, je salue le corps médical !

 

*

 

Un brancardier

Ibrahim est brancardier. Un grand noir en blouse verte.
Il descend les malades de leur chambre et les remonte du bloc opératoire.
Cela fait 14 ans qu’il travaille ici.
C’est pas cette petite blondasse ici depuis trois jours qui va lui apprendre son métier !…
Parfois Ibrahim a l’impression qu’on le prend pour un balais brosse.
Il sait que le balais brosse est utile…
Mais en général, il ne bénéficie d’aucune considération

(quand on a fini de s’en servir on l’enferme dans son placard et on l’oublie).
« Ils me prennent pour leur boniche… y a du foutage de gueule…
mais ils savent pas à qui ils ont affaire… moi, je m’en bats les couilles… »

Énervé, il cogne sans le faire exprès le brancard dans les virages et contre les parois du monte-charge.
Et comme s’il avait lui-même ressenti le coup infligé au brancard, le voici qui se calme :
« Attention à vos mains », dit-il, et il repart en douceur

(Car il sait bien que les patients n’y sont pour rien).

 

 

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Les peupliers

J’ai devant la fenêtre de ma chambre d’hôpital trois grands peupliers
qui bougent dans la brise lentement leurs têtes

Ils oscillent dans le vent et se rapprochent les uns des autres à se toucher
ils conversent entre eux et murmurent sans arrêt

Régulièrement passe un avion dans le ciel qui file droit et silencieux
comme une injection dans une seringue
toujours à la même hauteur
comme s’ils suivaient des lignes imprimées dans le grand cahier invisible du ciel

J’ai devant ma fenêtre trois grands peupliers
qui bougent dans la brise lentement leurs têtes

Les trois peupliers sont toujours agités par le même souffle
mais leur mouvement n’est jamais identique
car chacun à sa taille et sa hauteur
et chacun réagit différemment sous la paume du vent

Des mèches de nuages blanchâtres traînent dans le bleu des hauteurs

Quand s’agitent et se mêlent les branches fines des peupliers
on dirait qu’ils font bouger leurs doigts
et que ce sont de grandes mains effilées et vertes qui démêlent les cheveux du ciel

Le spectacle des peupliers frémissant est un spectacle fascinant
toujours semblable, jamais lassé, jamais lassant, toujours changeant
comme le mouvement des vagues ou celui de la flamme

Qu’est-ce qui fait que nous trouvons à quelque chose de la beauté ?
Pour le chien à sa fenêtre peut-être ces peupliers n’ont ils aucune beauté
(Et pour certains passants habitués à leur présence, ce doit être pareil)

La beauté est une idée humaine, toujours en mouvement
mais elle ne naît pas de rien,

elle est en nous l’écho de l’effort permanent que fait la nature pour tendre à la perfection
La beauté est ce qui en nous fait vibrer la corde d’une correspondance,
une homologie intime entre le monde et nous, non seulement la perfection de ce qui est
mais aussi l’imperfection de ce qui tend à être,
l’imagination de ce qui vit, la symétrie et la dissymétrie aussi,
l’harmonie et le mouvement…

La beauté a un sens.

De temps en temps les peupliers à ma fenêtre
paraissent tendre leurs bras, comme un ballet de suppliantes
dans un geste de prière ou de compassion

De temps en temps, ils font « non » de la tête
comme s’ils désapprouvaient ce que nous faisons là
ou alors, ils se tiennent silencieux et droits
ils montent la garde, ils veillent à notre chevet

J’ai devant ma fenêtre trois grands peupliers
qui bougent dans la brise lentement leurs têtes

Ils oscillent dans le vent et se rapprochent les uns des autres à se toucher
ils conversent entre eux et murmurent sans arrêt

Leurs feuilles sont comme autant de petites langues qui s’agitent sans cesse
qui ne disent rien et qui pourtant me parlent

A-t-on encore le droit dans un poème de pratiquer l’anthropomorphisme ?
De prêter à la nature les sentiments et les idées qui sont les nôtres ?
Régressant ainsi délibérément au stade de la pensée primitive ?

Nous savons bien que les peupliers n’ont pas de pensée,
les peupliers ne font pas de sentiments
Mais comment s’empêcher de voir en eux des frères ?
Nous qui essayons de nous tenir droit et qui aimerions avoir leur souplesse, leur force et leur élégance…

Pour le postmodernisme le monde n’a plus de sens
Il nous faut pourtant réapprendre à lire dans les lignes de vie des arbres,
des pierres, du ciel et des mains de toute l’humanité
Notre nouveau rapport à la nature ressuscite les enchantements

J’ai devant ma fenêtre trois grands peupliers
qui bougent dans la brise lentement leurs têtes

A leur cime, ils tanguent comme le font les tours très hautes
que les hommes bâtissent sur la Terre et dans le ciel
et plus elles sont hautes et plus l’amplitude est grande

J’ai devant ma fenêtre trois grands peupliers
qui bougent dans la brise lentement leurs têtes

Je les regarde, ces peupliers qui sont en vie
et moi, je m’accroche aux branches,
au sommet du grand arbre vert
La brise me secoue,
et si je tourne le regard vers le sol
ou le ciel
j’ai le vertige
Alors,
je me serre fort
contre le tronc
de mon frère le peuplier

 

*

 

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La grappe de raisins noirs

Tu

m’

as
apporté dans ma chambre d’hôpital
une grappe de raisins noirs. Ils sont gros et ronds,
leur peau est résistante et leur jus est sucré
Ce sont des voyageurs venus de l’autre bord
Ils me disent que dehors la vie continue
Les raisins noirs ont leur clarté
Les raisins ont raison
Un à un, j’égrène les raisins
les mange à la dérobée
Plaisir clandestin
qu’on ne peut
me voler.


(dimanche 23/05/2010)

 

Eyjafjöll

Samedi 1 mai 2010

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Dialogue avec un volcan

 

Cher monsieur Eyjafjöll
depuis bien longtemps
personne ne pensait plus à vous
qui étiez endormi depuis 160 ans…
A dire vrai
pour la plupart d’entre nous
            vous étiez même un parfait inconnu ;
personne n’avait jamais entendu parler de vous,
à part peut-être quelque scientifique
travaillant en silence dans un laboratoire plus ou moins bien chauffé
quelque part en Islande,
un scientifique surtout préoccupé
par la menace
de se voir sucrer ses crédits
à cause de la crise financière internationale
et de la dette du pays
et qui pourtant, malgré ses soucis,
gardait un œil sur le feu
mais qui s’inquiétait, paraît-il,
beaucoup plus pour votre voisin…
Or voilà que, sans crier gare,
            sans aucun respect du préavis légal
            obligatoire avant tout mouvement social
vous êtes soudain entré en éruption. 
Le 20 mars 2010
            dans la nuit
libérant un désir trop longtemps contenu
votre lave en fusion
s’est échappée
par une fissure longue de 800 mètres.
Elle a fait sauter votre calotte glaciaire
et a projeté dans les airs
par-dessus votre tête
            une colonne d’eau,
de cendres,
de glace
et de vapeur
haute de 7 km.

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- Pas de quoi s’affoler, me direz-vous,
ça arrive tous les jours ;
une éruption par-ci
            une autre par-là
c’est l’activité normale d’une planète
qui n’a pas encore atteint l’âge de la retraite
une planète ordinaire
            toujours en activité.

Sans doute,
            sans doute,
et je veux bien croire qu’en crachant dans les airs
votre nuage de cendre
qui s’est répandu sur quelques milliers de kilomètres
vous ne pensiez pas à mal.
Vous avez agi
            simplement poussé
par une nécessité
des plus naturelles
et personne,
            non personne,
ne saurait vous en blâmer.
Cher volcan,
en agissant ainsi,
sans doute,
vous ne mesuriez pas les conséquences
de votre accès
            de pollution nocturne.
Je me doute
que vous ne lisez pas les journaux
et, peut-être même, vous ne regardez pas la télé…
Alors, vous n’avez pas su
que, par votre faute,
le ciel de l’hémisphère Nord s’est arrêté,
le trafic aérien a été paralysé
et la vie sur Terre en a été
sérieusement affectée.
L’homme d’affaires n’a pas pu partir à New York
prendre son petit déjeuner…
Le footballeur a dû monter dans un car
            et voyager de nuit
pour se rendre à son match…
Les vacanciers ont dû renoncer
            à tremper leurs pieds dans l’eau
près des paillotes du lagon bleuté…
Et même plusieurs chefs d’Etat
ont dû se dispenser de la corvée
d’assister à l’enterrement du président polonais…
Quant aux compagnies aériennes
            elles ont perdu quelques millions de dollars.
Beau travail !
Chapeau !
En entrant ainsi en activité
vous avez tout arrêté
et fait plus fort
qu’une grève générale du contrôle aérien
qu’aurait eu bien du mal
à déclencher
notre nouvelle Internationale…

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En fait,
            d’un coup
vous vous êtes retrouvé
sur la liste des terroristes
les plus recherchés de la planète.
Il faut dire que depuis le 11 septembre
le trafic aérien
n’avait pas connu pareille perturbation.
Il n’en fallait pas plus pour qu’aussitôt
plusieurs commentateurs
            vous comparent à Al Quaida.
Mais personne n’a lancé contre vous
de fatwa,
ni de mandat d’arrêt international.
(Il n’y a plus de place pour vous à Guantanamo).
Même notre président,
qui n’en loupe pas une,
n’a pas osé en profiter
pour prôner la tolérance zéro
                        envers les éruptions volcaniques intempestives.
C’est que pour vous faire taire
il faut se lever matin.
Il n’est pas né le petit bouchon
qui pourrait vous faire fermer
(excusez l’expression)
votre grande gueule
je veux dire,
votre gueule grande ouverte
et vous faire rentrer
six pieds sous terre.
Pas facile
avec vous d’employer
les frappes chirurgicales !
Pas évident
de cautériser un volcan !…
Il faut simplement attendre que ça se calme
et que la lave refroidisse…

En attendant,
avec la matière en fusion
le magma, la boue, la cendre et le feu
sont remontées à la surface
nos anciennes peurs.
Soudain, nous avons repensé
à nos frères les dinosaures
exterminés par la chute d’un météore
ou un regain inaccoutumé d’activité volcanique
qui aurait suffi à bouleverser les conditions climatiques
de la vie sur Terre.
Et nous nous sommes sentis
            presque aussi vulnérables qu’eux.

Quand vous avez donné de la voix
nous sommes rentrés dans notre caverne
et comme l’homme préhistorique
nous avons craint le feu des entrailles de la Terre
et guetté, anxieux,
le moindre signe dans les cieux.

Nous qui depuis des lustres craignons que le ciel
se mette à fondre de chaleur,
nous avons appris
que vous étiez capable de faire chuter la température de la planète
en nous couvrant la tête
d’un fin parasol d’acide sulfurique
suffisant pour réfléchir la lumière solaire.
Et nous nous sommes rendus compte
que la nature à qui nous vouons un culte,
la Nature
qui est notre nouveau Dieu
existe sans nous
et se fiche pas mal de nos affaires…

Puis, finalement,
au bout d’une semaine
tout est rentré dans l’ordre.
On a envoyé dans le ciel quelques avions
et comme rien ne se passait
on s’est aventuré hors de la caverne
à remettre le nez dehors.
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Le danger semblant passé
on a commencé à penser
qu’on en faisait un peu trop ;
qu’on avait cédé à des peurs irrationnelles…

Mais si je m’adresse à vous
aujourd’hui,
cher volcan,
c’est surtout pour vous remercier.
Grâce à vous
nous avons découvert
que notre toute puissance
avait des limites
et que notre civilisation occidentale
ultramoderne et efficace
fondée sur le marché international
et la vitesse de plus en plus grande
de l’échange généralisé
pouvait sans crier gare
subitement s’arrêter.

(Vous avez désarçonné
les météorologues
les climatologues
les futurologues
les idéologues
et les astrologues
et tous les experts qui ne pensaient pas à vous).

Vous nous avez
à point nommé rappelé
que le capitalisme n’est pas invincible.
Plus il se perfectionne
et plus il est à la merci
du moindre incident.

(Sur les autoroutes du futur
l’accident menace.)

La révolution
selon un exemple ancien
est possible
parce que l’eau qui dort
à 100 °
entre en ébullition…
Mais la casserole
peut aussi
être renversée
et le système
tomber de sa chaise…

En fait,
depuis deux siècles,
il était arrivé qu’on se serve de vous dans nos poèmes
comme métaphore
(il ne faut pas nous en vouloir)
du peuple,
le peuple endormi qui soudain
entre en éruption
et fait la révolution.
Et puis
            craignant le cliché
on vous avait laissé tomber.
Il faut le reconnaître :
nous avons eu tort.

Aujourd’hui,
            pensant à vous,
j’éprouve quelque chose comme de la fierté,
un sentiment de fraternité volcanique.
Pour un peu, si j’osais,
je vous proposerais un pacte,
une alliance historique et planétaire
entre les peuples de la Terre
(qui souvent furent vos victimes)
et votre famille volcanique.
Avec,
pour éviter les quiproquos
les accès de violence inutiles
            et favoriser la coordination
dans l’action
un bureau d’information
et un comité de liaison
dont vous pourriez assurer le secrétariat,
(Vous êtes pas mal placé
vous qui êtes installé juste sur la faille sismique
à la disjonction des plaques tectoniques
de l’Amérique et l’Eurasie.)

Maintenant,
tout semble rentré dans l’ordre…
Quand je lève le nez,
            je ne vois que du ciel bleu…
Vous vous êtes fait invisible.
L’azur a absorbé vos particules de cendre
(à l’image de notre inguérissable
aptitude au bonheur
qui finit toujours
par absorber le chagrin).

Cher volcan
            vous êtes retourné à vos habitudes,
vous vous êtes calmé ;
peut-être,
 comme un ours polaire,
aves-vous décidé à nouveau d’hiberner…

Tant pis,
            je ne vous en veux pas ;
            vous devez avoir vos raisons.
Chacun a ses problèmes
            à la maison
(et on ne sait jamais vraiment
ce qui se passe chez les gens).

Si, donc,
on ne peut pas compter sur vous
            pour organiser la révolution
nous allons devoir
jouer nous-mêmes les volcans
fomenter nous-mêmes
nos propres ébullitions
et nos propres éruptions…

Mais notre histoire commune n’est pas terminée ;
nous sommes appelés à nous revoir.

Demain,
si nous réussissons à régler nos affaires de famille
internes à l’humanité,
nous reviendrons vers vous.

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Pour nous,
la nature n’est pas un Dieu
qu’il faudrait prier
et religieusement respecter.
Ce n’est pas une amie
et ce n’est pas non plus un ennemi.
C’est un adversaire
dont il faut faire un allié ;
un partenaire avec lequel il faut compter
et qu’il faut toujours dompter,
avec lequel combattre
et coopérer
pour créer si possible des
rapports apaisés.

Nous n’avons pas achevé l’histoire du progrès.
Le monde est peut-être fini
mais l’histoire n’est pas finie ;
et si le monde est fini,
il se transforme sans cesse.

(Nous n’avons pas dit notre dernier mot
à l’entropie)

Il nous faudra bien un jour
reprendre notre conversation…

C’est que vous aussi
vous pourriez vous rendre utile ;
au lieu de cracher en l’air
            et que ça vous retombe sur la tête.

Et nous
plutôt que de nous amuser
à déclarer la guerre aux étoiles
nous pourrions vous aider
à canaliser votre énergie.

Nous pourrions
avec un stéthoscope géant,
ausculter la Terre,
prévenir vos quintes de toux
et vos coups de sang.
Nous pourrions même vous aider à vous faire une beauté,
vous changer en geyser,
            et vous poser dans un coin de la salle à manger…
Vous apprendriez la gymnastique
            suédoise
et la géothermie ;
Vous pourriez, pourquoi pas, vous mettre à ronronner…

Et nous
nous pourrions vous inviter
dans notre salle de bain
ou notre cuisine
à prendre une douche
ou un verre de thé.