Eyjafjöll

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Dialogue avec un volcan

 

Cher monsieur Eyjafjöll
depuis bien longtemps
personne ne pensait plus à vous
qui étiez endormi depuis 160 ans…
A dire vrai
pour la plupart d’entre nous
            vous étiez même un parfait inconnu ;
personne n’avait jamais entendu parler de vous,
à part peut-être quelque scientifique
travaillant en silence dans un laboratoire plus ou moins bien chauffé
quelque part en Islande,
un scientifique surtout préoccupé
par la menace
de se voir sucrer ses crédits
à cause de la crise financière internationale
et de la dette du pays
et qui pourtant, malgré ses soucis,
gardait un œil sur le feu
mais qui s’inquiétait, paraît-il,
beaucoup plus pour votre voisin…
Or voilà que, sans crier gare,
            sans aucun respect du préavis légal
            obligatoire avant tout mouvement social
vous êtes soudain entré en éruption. 
Le 20 mars 2010
            dans la nuit
libérant un désir trop longtemps contenu
votre lave en fusion
s’est échappée
par une fissure longue de 800 mètres.
Elle a fait sauter votre calotte glaciaire
et a projeté dans les airs
par-dessus votre tête
            une colonne d’eau,
de cendres,
de glace
et de vapeur
haute de 7 km.

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- Pas de quoi s’affoler, me direz-vous,
ça arrive tous les jours ;
une éruption par-ci
            une autre par-là
c’est l’activité normale d’une planète
qui n’a pas encore atteint l’âge de la retraite
une planète ordinaire
            toujours en activité.

Sans doute,
            sans doute,
et je veux bien croire qu’en crachant dans les airs
votre nuage de cendre
qui s’est répandu sur quelques milliers de kilomètres
vous ne pensiez pas à mal.
Vous avez agi
            simplement poussé
par une nécessité
des plus naturelles
et personne,
            non personne,
ne saurait vous en blâmer.
Cher volcan,
en agissant ainsi,
sans doute,
vous ne mesuriez pas les conséquences
de votre accès
            de pollution nocturne.
Je me doute
que vous ne lisez pas les journaux
et, peut-être même, vous ne regardez pas la télé…
Alors, vous n’avez pas su
que, par votre faute,
le ciel de l’hémisphère Nord s’est arrêté,
le trafic aérien a été paralysé
et la vie sur Terre en a été
sérieusement affectée.
L’homme d’affaires n’a pas pu partir à New York
prendre son petit déjeuner…
Le footballeur a dû monter dans un car
            et voyager de nuit
pour se rendre à son match…
Les vacanciers ont dû renoncer
            à tremper leurs pieds dans l’eau
près des paillotes du lagon bleuté…
Et même plusieurs chefs d’Etat
ont dû se dispenser de la corvée
d’assister à l’enterrement du président polonais…
Quant aux compagnies aériennes
            elles ont perdu quelques millions de dollars.
Beau travail !
Chapeau !
En entrant ainsi en activité
vous avez tout arrêté
et fait plus fort
qu’une grève générale du contrôle aérien
qu’aurait eu bien du mal
à déclencher
notre nouvelle Internationale…

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En fait,
            d’un coup
vous vous êtes retrouvé
sur la liste des terroristes
les plus recherchés de la planète.
Il faut dire que depuis le 11 septembre
le trafic aérien
n’avait pas connu pareille perturbation.
Il n’en fallait pas plus pour qu’aussitôt
plusieurs commentateurs
            vous comparent à Al Quaida.
Mais personne n’a lancé contre vous
de fatwa,
ni de mandat d’arrêt international.
(Il n’y a plus de place pour vous à Guantanamo).
Même notre président,
qui n’en loupe pas une,
n’a pas osé en profiter
pour prôner la tolérance zéro
                        envers les éruptions volcaniques intempestives.
C’est que pour vous faire taire
il faut se lever matin.
Il n’est pas né le petit bouchon
qui pourrait vous faire fermer
(excusez l’expression)
votre grande gueule
je veux dire,
votre gueule grande ouverte
et vous faire rentrer
six pieds sous terre.
Pas facile
avec vous d’employer
les frappes chirurgicales !
Pas évident
de cautériser un volcan !…
Il faut simplement attendre que ça se calme
et que la lave refroidisse…

En attendant,
avec la matière en fusion
le magma, la boue, la cendre et le feu
sont remontées à la surface
nos anciennes peurs.
Soudain, nous avons repensé
à nos frères les dinosaures
exterminés par la chute d’un météore
ou un regain inaccoutumé d’activité volcanique
qui aurait suffi à bouleverser les conditions climatiques
de la vie sur Terre.
Et nous nous sommes sentis
            presque aussi vulnérables qu’eux.

Quand vous avez donné de la voix
nous sommes rentrés dans notre caverne
et comme l’homme préhistorique
nous avons craint le feu des entrailles de la Terre
et guetté, anxieux,
le moindre signe dans les cieux.

Nous qui depuis des lustres craignons que le ciel
se mette à fondre de chaleur,
nous avons appris
que vous étiez capable de faire chuter la température de la planète
en nous couvrant la tête
d’un fin parasol d’acide sulfurique
suffisant pour réfléchir la lumière solaire.
Et nous nous sommes rendus compte
que la nature à qui nous vouons un culte,
la Nature
qui est notre nouveau Dieu
existe sans nous
et se fiche pas mal de nos affaires…

Puis, finalement,
au bout d’une semaine
tout est rentré dans l’ordre.
On a envoyé dans le ciel quelques avions
et comme rien ne se passait
on s’est aventuré hors de la caverne
à remettre le nez dehors.
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Le danger semblant passé
on a commencé à penser
qu’on en faisait un peu trop ;
qu’on avait cédé à des peurs irrationnelles…

Mais si je m’adresse à vous
aujourd’hui,
cher volcan,
c’est surtout pour vous remercier.
Grâce à vous
nous avons découvert
que notre toute puissance
avait des limites
et que notre civilisation occidentale
ultramoderne et efficace
fondée sur le marché international
et la vitesse de plus en plus grande
de l’échange généralisé
pouvait sans crier gare
subitement s’arrêter.

(Vous avez désarçonné
les météorologues
les climatologues
les futurologues
les idéologues
et les astrologues
et tous les experts qui ne pensaient pas à vous).

Vous nous avez
à point nommé rappelé
que le capitalisme n’est pas invincible.
Plus il se perfectionne
et plus il est à la merci
du moindre incident.

(Sur les autoroutes du futur
l’accident menace.)

La révolution
selon un exemple ancien
est possible
parce que l’eau qui dort
à 100 °
entre en ébullition…
Mais la casserole
peut aussi
être renversée
et le système
tomber de sa chaise…

En fait,
depuis deux siècles,
il était arrivé qu’on se serve de vous dans nos poèmes
comme métaphore
(il ne faut pas nous en vouloir)
du peuple,
le peuple endormi qui soudain
entre en éruption
et fait la révolution.
Et puis
            craignant le cliché
on vous avait laissé tomber.
Il faut le reconnaître :
nous avons eu tort.

Aujourd’hui,
            pensant à vous,
j’éprouve quelque chose comme de la fierté,
un sentiment de fraternité volcanique.
Pour un peu, si j’osais,
je vous proposerais un pacte,
une alliance historique et planétaire
entre les peuples de la Terre
(qui souvent furent vos victimes)
et votre famille volcanique.
Avec,
pour éviter les quiproquos
les accès de violence inutiles
            et favoriser la coordination
dans l’action
un bureau d’information
et un comité de liaison
dont vous pourriez assurer le secrétariat,
(Vous êtes pas mal placé
vous qui êtes installé juste sur la faille sismique
à la disjonction des plaques tectoniques
de l’Amérique et l’Eurasie.)

Maintenant,
tout semble rentré dans l’ordre…
Quand je lève le nez,
            je ne vois que du ciel bleu…
Vous vous êtes fait invisible.
L’azur a absorbé vos particules de cendre
(à l’image de notre inguérissable
aptitude au bonheur
qui finit toujours
par absorber le chagrin).

Cher volcan
            vous êtes retourné à vos habitudes,
vous vous êtes calmé ;
peut-être,
 comme un ours polaire,
aves-vous décidé à nouveau d’hiberner…

Tant pis,
            je ne vous en veux pas ;
            vous devez avoir vos raisons.
Chacun a ses problèmes
            à la maison
(et on ne sait jamais vraiment
ce qui se passe chez les gens).

Si, donc,
on ne peut pas compter sur vous
            pour organiser la révolution
nous allons devoir
jouer nous-mêmes les volcans
fomenter nous-mêmes
nos propres ébullitions
et nos propres éruptions…

Mais notre histoire commune n’est pas terminée ;
nous sommes appelés à nous revoir.

Demain,
si nous réussissons à régler nos affaires de famille
internes à l’humanité,
nous reviendrons vers vous.

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Pour nous,
la nature n’est pas un Dieu
qu’il faudrait prier
et religieusement respecter.
Ce n’est pas une amie
et ce n’est pas non plus un ennemi.
C’est un adversaire
dont il faut faire un allié ;
un partenaire avec lequel il faut compter
et qu’il faut toujours dompter,
avec lequel combattre
et coopérer
pour créer si possible des
rapports apaisés.

Nous n’avons pas achevé l’histoire du progrès.
Le monde est peut-être fini
mais l’histoire n’est pas finie ;
et si le monde est fini,
il se transforme sans cesse.

(Nous n’avons pas dit notre dernier mot
à l’entropie)

Il nous faudra bien un jour
reprendre notre conversation…

C’est que vous aussi
vous pourriez vous rendre utile ;
au lieu de cracher en l’air
            et que ça vous retombe sur la tête.

Et nous
plutôt que de nous amuser
à déclarer la guerre aux étoiles
nous pourrions vous aider
à canaliser votre énergie.

Nous pourrions
avec un stéthoscope géant,
ausculter la Terre,
prévenir vos quintes de toux
et vos coups de sang.
Nous pourrions même vous aider à vous faire une beauté,
vous changer en geyser,
            et vous poser dans un coin de la salle à manger…
Vous apprendriez la gymnastique
            suédoise
et la géothermie ;
Vous pourriez, pourquoi pas, vous mettre à ronronner…

Et nous
nous pourrions vous inviter
dans notre salle de bain
ou notre cuisine
à prendre une douche
ou un verre de thé.

Une réponse à “Eyjafjöll”

  1. hd porn dit :

    Dialogue avec un volcan.. Great idea :)

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