Épitre à Horace sur le droit à la retraite
Poète latin, tu chantais la vertu de la retraite
le goût simple de vivre à la campagne
loin de l’agitation de la ville
suivre le rythme des saisons,
en prenant soin du jardin, du verger,
du raisin qui mûrit et des oliviers
avec la visite de temps en temps d’un ami
qu’on reçoit, autour d’un repas frugal
les longues conversations et le vin partagé…
Ce bonheur simple qui préfigurait
notre propre conception du bonheur
par lequel se définit une civilisation
bientôt sera réservé à une poignée
de privilégiés, car notre république
est bien bas et le Sénat est tombé
entre des mains corrompues et avides
qui pour l’antique idée du bonheur
enfin accessible à tous n’ont que mépris
quand il s’agit non pas d’eux mais
des simples gens du peuple, des citoyens.
(Ainsi, mon cher Horace, ta poésie
ne sera pas mise en retraite anticipée et tes odes
en apparence si éloignées de nos combats
par leur éloge du bonheur, à nos combats
sont toujours nécessaires).
Complainte de l’homme triste
qui ne peut pas sentir les Roms
Tout un peuple de voleurs de poules
qui erre sur les routes
comme dans le ciel du petit matin
la nuit qui se retire
en nuage de traine rose
et passe les frontières
sans se soucier de nos douaniers…
Mendiants, voleurs et trafiquants
tout un peuple de voleurs de lune
qui fait des trous dans le grillage
et s’ébat dans le poulailler…
Tout un peuple au poil roux
de renard ou noir peut-être
comme le diable
qu’ils ont tous dans la peau
hommes, femmes, enfants
qui prolifèrent comme un chiendent
sur le bord de nos chemins…
Tout un peuple de vagabonds
qui se jette sur les routes
pour le plaisir de voyager
et d’embêter les braves gens.
Tout un peuple de courants d’air
qui va, s’en va et puis revient
et se moque de nos lois
libres comme les rats
des villesque sont les pigeons
porteurs de parasites.
Tout un peuple qui sent mauvais
et enlaidit le paysage
avec ses cabanes de fortune,
trois planches, un pneu crevé, une voiture désossée
parfois une couverture
et l’eau courante du ruisseau…
Tout un peuple de mangeurs de pommes
de pilleurs de vergers, de chapardeurs de cerises
qui ramasse nos châtaignes
et les noix abandonnées dans le fossé…
Tout un peuple qui prend ses quartiers d’hiver
au milieu de nos poubelles
et l’été part à la montagne
grimper dans les alpages
pour cueillir l’édelweiss
et le vendre aux parfumeurs.
Tout un peuple aux lacets défaits
qui dort à la belle étoile
et rêverait peut-être
d’habiter dans nos palais…
Tout un peuple qui ne ferme pas l’œil de la nuit
et nous empêche de dormir
parce que ce sont nos frères et nos cousins
à qui nous avons fermé la porte au nez
et que nous laissons dehors.