le 15 juin prochain, à 19 heures, place du colonel Fabien, se tiendra une soirée d’hommage au poète Jacques Gaucheron, avec Jean-Pierre Siméon, Roger Bordier, Charles Dobzynski, René Trusses, Denis Pérus, Francis Combes. Poèmes, chants, musique, buffet et verre de l’amitié.
Le pommier du poète
pour Jacques Gaucheron
J’ai revu le pommier que tu avais planté
sans savoir si un jour tu en aurais les fruits
sur la hauteur
au-dessus de la Seine
où de tes mains
tu as bâti ta maison
Poète de la parole, de la pensée et du geste
tu l’avais planté là
pour succéder au pommier de plein vent
que tu as chanté
et qui est mort.
Tu l’as planté parce qu’il faut que tout continue,
la vie, les arbres,
et la parole buissonnante des hommes
toujours en quête du printemps.
Bien sûr
tu ne m’entends pas,
même si toi tu nous parles
et que nous t’écoutons
arrêté pour toujours sur le seuil de tes poèmes.
Tu ne m’entends pas mais je veux te dire
que ton pommier a belle allure.
Anne et toi, tout un plein jour, vous aviez creusé
dans l’obscur, la caillasse et l’humide
pour qu’il trouve ses aises
et qu’il puisse grandir sur la colline
dans un rêve de clarté.
Je l’ai connu dans sa jeunesse
quand tu l’avais harnaché de cordages
haubané comme un voilier
pour qu’il prenne le large au-dessus de la Seine
Appareillé,
non pas comme une machine volante
pour monter dans les étoiles de la fantasmagorie
mais comme un arbre sur la Terre
pour que ses branches prennent la forme de l’accueil
l’aubaine de la main, doigts écartés, feuilles écarquillées
qui protège le regard de trop de lumière
car la maison doit être édifiée
l’enfant élevé
et l’arbre greffé et éduqué
pour faire la nature humaine.
(Beauté et liberté naissent dans les fers)
Ce pommier te va bien, Jacques,
homme des plaines, poète terrestre,
qui étais « à tu et à toi » avec l’arbre
qui se dresse à fleur de ciel…
Ce pommier te va bien,
qui se défie de l’exotisme à la beauté convulsive
mais travaille dans la patience de la sève
à l’explosion des floraisons.
Comme toi,
toujours inquiet de la germination invisible du futur.
(« le révolutionnaire,
- tu te souviens de ce que disait Marx -
doit entendre
l’herbe qui pousse… »)
Il te va bien, cet arbre, Jacques,
toi qui ne cultivais pas le mystère
mais l’émerveillement de vivre.
Appartenant à la grande famille des rosacées,
des pommiers, il en est de toute sorte…
Il en est même qui sont épineux.
Ce qui n’est pas le cas du tien.
(Mais toi, qui, avec une bande de compères
avait crée le club de l’épigramme
tu pouvais, si tu voulais, piquer.)
Ton pommier, Jacques, a le tronc droit et rugueux
(comme toi, qui pouvais aussi être rugueux parfois)
et il a comme toi maîtrise de la délicatesse.
Il médite dans le silence la plénitude du fruit
(qui « rondine » dans les vergers
disait l’ami Couté).
La pomme, une joue à embrasser
dans l’enjouement du poème,
chair laiteuse du bonheur,
monde rond à partager…
Bien sûr, c’aurait pu être un cerisier
que nous aurions, de temps en temps,
déshabillé ensemble de ses perles de sang.
Mais c’est un pommier
et ce n’est pas indifférent
car il y a une sagesse révolutionnaire du pommier :
Arbre de la connaissance,
le pommier qu’on nomme en latin « malus »,
bel arbre du péché de se passer de dieu
pour devenir enfin
hommes et femmes sur la Terre.
(L’image ancienne renouvelée enfin changée en bonne nouvelle)
La raison et le plaisir des sens
enfin réconciliés
dans ton poème
comme dans la pomme
qui n’est pas qu’un symbole.
(Pour être utile
et vivre en beauté
il suffit d’aimer
et c’est un long apprentissage)
Il te va bien, cet arbre à la tête frémissante
de pensées secrètes
qui fait front aux orages
Résistant
naturellement,
sans forfanterie
Arbre à contre-vent,
à contre-nuit
qui parle à voix basse
et connaît les mots de passe du printemps.
Arbre planté dans sa terre
mais accueillant à tous les vents migrateurs,
aux oiseaux de passage
et à leurs chants impertinents
patient même
avec leurs piaillements…
Il y a une sagesse du pommier, une leçon du pommier.
Même tordu et mutilé,
il se redresse vers la lumière ;
simple leçon de dignité,
l’art de se tenir droit
à quoi se résume parfois
le poème de la vie.
J’ai revu le pommier que tu avais planté
pensant peut-être n’en jamais voir les fruits
devant ta maison
où tu as bâti ton chant
à main d’homme
d’une truelle musicienne
légère comme une feuille…
Des fruits, avec Anne, tu en as cueilli quelques-uns…
Tu nous en as offerts…
Et s’il en est qui tombent dans l’herbe et qui pourrissent,
ne sois pas inquiet…
Bien des fruits que nous avons produits et voulions partager
n’ont pas trouvé preneur…
Bien des idées
ont été jetées comme de vieux trognons
dans le fossé, sur le bord du chemin…
Mais le pépin de la parole porte toujours promesse d’aube
et nous emporterons dans notre besace
les belles pommes
de ton pommier.
Francis Combes – le 21/V/2011