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Archive pour janvier 2012

Cuba Janvier 2012

Lundi 30 janvier 2012

J’ai participé au jury des prix de La Casa de Las Americas, du 16 au 27 janvier 2012, à Cienfuegos et à La Havane à Cuba. J’en rapporte quelques poèmes accompagnés de photos de Patricia.

 

 

Cuba Janvier 2012 dans actualités Che-fod-Palmiers-300x225

 

Pour une femme de chambre

lettre-fem-chbre2-300x200 dans actualitésA Miguelina

Les femmes de chambre des hôtels de Cuba
Sont-elles seulement des femmes de chambre ?
Ou sont-elles des fleuristes ?
Celle qui fait notre chambre
A dressé sur notre lit une fleur
de serviettes blanches
surmontée d’une rose de plastique rouge.
(Sculpture éphémère qui en vaut d’autres
malheureusement plus durables).
Et Miguelina , – puisqu’elle s’appelle Miguelina -
Nous a laissé un mot en français
Couvert de fleurs de couleur, au stylo,
Qui nous dit que l’amitié
Est un pont entre les êtres
Et nous souhaite bon voyage.
Les femmes de chambre des hôtels de Cuba
Sont-elles des fleuristes ?
Ou des ambassadrices
Qui font leur travail avec une conscience politique
Et une gentillesse telles
qu’on voudrait les appeler « Companera » ?

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Palmiers-usines

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Tout ce qui manque à Cuba
(liste partielle et certainement partiale)

à Roberto Fernandez Retamar

 

 

Il y a beaucoup de choses essentielles à notre vie moderne qui manquent à Cuba
Je peux le dire car j’y suis allé, je l’ai vu et je témoigne :
A Cuba, il n’y a pas de grands panneaux publicitaires plantés le long des routes
pour vanter les mérites de Coca Cola, les promotions sur les derniers PC sortis sur le marché ou les nouvelles baskets Nike.
Pas de Kentucky Fried Chicken, pas de MacDonald et pas de Pizza Hut
Pas de Wall Mart, de Carrefour et pas de ces grandes zones commerciales
no man’s land préfabriqués, éphémères et criards que vous rencontrez à l’entrée de toutes les grandes villes du monde civilisé.
A Cuba, il n’y a pas dans les kiosques les magazines en quadrichromie sur papier glacé qui vous tiennent informés par le détail de la vie sexuelle des people,
pas de journaux qui rivalisent pour vous donner tous la même information et vous expliquer d’une même voix qu’on ne peut rien faire devant l’oracle des agences de notation,
Car à Cuba il n’y a pas de pluralisme, pas de vraie liberté de la presse, c’est à dire pas la possibilité pour les grosses fortunes d’acheter librement ni les journaux, ni leur rédactions.
A Cuba, il n’y a pas de ces journaux ventrus avec leurs cahiers spéciaux sur papier saumon qui renseignent le passant sur les dernières variations du cours de la Bourse,
car à Cuba, il n’y a pas de Bourse
et donc pas de vraie liberté.
A Cuba, il n’y a pas dans la rue d’enfants dépenaillés affalés dans un coin un tube de colle à la main.
Les enfants de Cuba vont à l’école et portent autour du cou un petit foulard bleu ou rouge.
Que savent-ils donc de la liberté ?
Ici ou là, il y a bien un qui quémande un stylo ou un bonbon,
Une femme qui vous envoie un baiser et vous demande un savon ou une pièce, mais c’est bien peu encore…
Il n’y a pas encore dans les rues de La Havane assez de jeunes qui mendient à chaque carrefour, il n’y a pas encore assez de femmes assises sur les trottoirs un bébé shooté dans les bras et qui tendent la main
pour que La Havane mérite le titre de ville moderne du monde développé.
A Cuba, il y a bien sûr, le soleil, des cocotiers, la musique, le rhum et la mer,
Mais il n’y a pas de vigiles armés de fusils à canons sciés à l’entrée des complexes touristiques, des grands magasins ou des plages réservées aux étrangers.
A Cuba, le long du Malecon de La Havane, il n’y a même pas (contrairement à ce que pourraient espérer le touriste) de ces jeunes femmes noires ou blanches, en tenue légère, plantées tous les cent mètres, telles des chandelles, pour allumer le client, comme à Saint-Domingue ou comme à Nice, sur la Promenade des Anglais.
Oui. Il y a beaucoup de choses à Cuba qu’il n’y a pas…
Cuba est une fille pauvre ; mais Cuba n’est pas une pauvre fille.
Cuba est une belle fille, en short rouge, qui arbore un T. shirt du Che, marche droit dans la rue et bouge légèrement des fesses, toujours prête à se mettre à danser.

Cuba ne vit pas dans l’obsession effrénée de la consommation, Cuba ne vit pas dans le show permanent de la richesse insolente et de la misère indécente, Cuba n’est pas emportée dans la course à l’abime de la destruction de la nature et de la culture
(Et que tous ceux qui rêvent d’écologie tournent un peu leur regard vers Cuba.)
Cuba est encore un pays lent, qui va, comme il peut, bras dessus, bras dessous, sur le chemin de la dignité.
Oui, il y a beaucoup de choses qui manquent à Cuba
Et c’est aussi pour toutes ces choses qui lui manquent que nous aimons Cuba
Et que Cuba nous est nécessaire.
Cuba est l’œil grand ouvert
De la conscience des peuples
Dont la lumière se réverbère dans les eaux de la mer des Caraïbes.

 

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Dans le kiosque à musique

A Nancy Morejon

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Sur la place centrale de Cienfuegos
Il y a un homme qui dort dans un kiosque à musique.
Ce n’est pas un clochard,
Un sans logis qui erre dans les rues,
Il ne craint rien et n’a pas même à ses pieds un chien.
Il dort tranquille en plein cœur de la ville.
Il a confié son sommeil
Comme une petite graine
à la paume du soleil.
Pour le laisser faire sa sieste
Les musiciens sont partis sur la pointe des pieds.Nancy+F-300x200
Même les oiseaux se sont envolés.
O, toi l’homme qui dors dans le kiosque à musique,
Fais-tu des rêves ?
Sont-ils grands ou bien petits ?
Et que donnera leur graine ?
Du mouron pour les oiseaux ?
Ou bien va-t-il en naître
Quelque nouveau soleil ?

 

 

Chien-tricycl

 

L’Arbre aux vœux

Ici, on ne grave pas à la pointe d’un couteau son cœur
et ses initiales enlacées
Dans l’écorce d’un chêne
Mais sur les feuilles épaisses, vertes et revêches d’un cactus.
Promesses d’amour
Vœux de tendresse
Dans un buisson de piquants.
Avec quelques petites fleurs rouges.
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L’abeille

En te baignant dans la baie
A la pointe de Cienfuegos
Près du petit jardin public qui s’avance, son kiosque dans la mer
Tu as sauvé de la noyade une abeille
Qui se débattait sur une vaguelette.
Tu l’as placée délicatement sur une fine feuille jaune qui flottait là
Et dont tu as fait un minuscule brancard.
Puis, tu l’as sortie de l’eau et posée au soleil
Pour qu’elle reprenne des forces.
(Il n’est pas sûr qu’elle t’en soit reconnaissante.
On dit des insectes qu’ils ne font pas de sentiment
Et que c’est pour ça qu’ils nous survivront…
A voir…
Déjà nous devons prendre soin des abeilles).

 

 

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Une belle Américaine

Les années cinquante défilent lentement
Sur l’écran du paysage, devant un rideau
De palmiers qui se balancent dans le vent
Passe une Cadillac sexagénaire, toujours pimpante,
Vert olive rutilant, or dans le soleil couchantvoiture-verte-300x194
Somptueuse, impériale, un requin pacifique,
Sa carrosserie réparée au Sintofer, plusieurs fois
Repeinte, son moteur changé pour un diesel
(L’Amérique d’hier et ses mythes sous embargo
survivent, squales ou tortues dans l’aquarium
entretenu du jardin botanique). La Cadillac
Avance lentement sur la route à six voies
Qui traverse la Grande île, vers La Havane
Vitres baissées, le chauffeur accoudé à la portière
Ne fait pas la course sur la voie de droite
Et ne va pas se jeter du haut d’une falaise
Il retourne vers sa maison et traverse le pays
Où il est maintenant partout chez lui
Car ce pays qui est le sien lui appartient
Et traversant de part en part le premier
Territoire libéré d’Amérique, il traverse
En même temps le temps qui semble ici arrêté
Mais qui poursuit son chemin vers l’avant telle une flèche
Avant hier tirée par un Indien Caraïbe
vers le ciel bleu  pour se ficher dans le sol de demain
Les années cinquante qui passent sur l’écran
James Dean, Marilyn, un soda et la révolution
Qui invente le Tropique d’un nouvel avenir
La vieille Cadillac caresse lentement le paysage
Et Cuba qui n’aime pas le gaspillage
Prenant soin du passé prépare son futur.

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Petit nuage dans le ciel de Cuba
à Yolanda Wood

Petit nuage dans le ciel de Cuba
Tu voles, tu voles
Au-dessus des palmiers
Tu voles, tu voles
Plus haut que les immeubles
Le long du Malecon
Tu voles, tu voles
Bien plus haut que la piscine
De l’hôtel Présidente
d’où je te regarde
en flottant sur le dos
Petit nuage dans le ciel de Cuba
Tu voles tu voles
Et franchis les frontières
Sans problème de visa
Ni de compte en banque
Tu voles sur le monde
Et n’offenses  personne
Petit nuage dans le ciel de Cuba
Notre révolution
Tout autour de la Terre
Sera accomplie
le jour où tous
tout autour de la Terre
Pourront faire comme toi
Petit nuage, petit nuage
Dans le ciel de Cuba
Vole, vole
et ne nous attends pas…

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Sieste habanera
A Patricia

Par la fenêtre ouverte, montent jusqu’à nous
Les bruits de la villeCour-d%C3%A9cole-207x300
Un klaxon sur l’avenue qui part de la mer
Vers le centre ville, la Place de la Révolution,
Les cris des enfants dans la cour de l’école
Qui s’envolent dans l’air chaud de l’après-midi
Comme de petits papiers de couleur,
Des coups de marteaux,
La voix d’une femme dans le couloir
Qui pousse un charriot de linge…
Seul le vent soulève le rideau
Sans bruit, pour ne pas déranger notre sieste…
Tu as posé ta tête sur mon épaule
Et me dis de ne pas bouger.
Tu veux que je sois sage…
Ne t’inquiète pas, ma chérie, c’est possible.

Tout est possible…
« Nous vivons le temps des révolutions ».

 

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La Muchacha de la rue Obispo
A Fayad Jamis

En remontant la rue Obispo,
au cœur de la vieille ville,
j’ai croisé une jeune femme
avec de longues cuisses de sauterelle noire
que serrait un petit short effronté
et brillant.
Elle tenait à la main,
comme une épée ou un drapeau,
un bouquet de balais
aux crins synthétiquespte-fil-pop-198x300
orange et verts
dont elle faisait commerce.
(Ailleurs, c’est d’autre chose
qu’elle aurait peut-être fait commerce).
Petit boulot pour jolie fille
comme pour bien d’autres
pauvres, bien d’autres noirs dans la ville.
(Cinquante ans de révolution
ce n’est pas assez
malgré des jambes de sauterelle
pour sauter par dessus l’histoire).
C’est qu’il y a toujours beaucoup de choses à balayer
Ici comme ailleurs.
Jolie fille et petit boulot
mais boulot utile.
Son bouquet de balais à la main,
elle ne le brandit pas comme un drapeau
ou une épée,
mais elle se tient bien droite,
ses cuisses fines et sa taille fière prises
dans son petit short moulant,
la muchacha de la rue Obispo.
Lui arrive-t-il de penser
A cette affiche de la révolution russe
sur laquelle on voit Lénine
balayer le globe
de toute saleté ?
La muchacha de la rue Obispo ?

 

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Le Malecon des amoureux

Le long du Malecon les amoureux montent la garde
Ils sont assis de place en place, face à la mer,
Ou lui tournant le dos, côte à côte
face à face parfois, les yeux dans les yeux
Sur le parapet qui domine l’océan.
De temps en temps, un pêcheur interroge les vagues
Il est en communication directe avec la mer
par  l’intermédiaire d’un simple fil…
Un homme est allongé sur le dos, la tête posée
Sur les cuisses de sa copine.
Et elle lui caresse les cheveux
Pendant que le vent du bout des doigts
S’occupe de démêler les siens…
Dans le jour qui décline, une jeune fille
Marche à grandes enjambées sur le parapet
Vers le soleil couchant.
Le long du Malecon où les amoureux montent la garde
Je me promène, seul, en ce moment, sans toi…
Vivre en cet instant, c’est se tenir ainsi, debout face à la mer,
comme au bord du monde, comme au bord de nous-mêmes,
L’amour en sentinelle.

 

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