Au cours de l’été, j’étais invité au festival de Tinos, sur une des îles des Cyclades. J’en ai profité pour séjourner quelques jours en Grèce. Malgré la crise, ce pays reste enchanteur. J’en rapporte une corbeille de poèmes et de photos.
A la rencontre des sirènes
Au réveil, nous passons au large d’îles dont le fantôme se dégage peu à peu de la brume de chaleur.
Quand nous croisons Ithaque, se fait distinctement entendre, sur le pont du bateau, le chant des sirènes
Long, profond, mélodieux, insistant
Lancinant comme un chœur atonal.
C’est le vent qui fait sonner les tubulures et les haubans métalliques du bateau.
(Sans doute est-ce le même chant qu’entendirent Ulysse et ses compagnons
et que Patricia enregistre aujourd’hui sur son téléphone portable.)
Ainsi, c’est le passage du bateau qui provoque le chant des sirènes…
Et ce sont les hommes qui introduisent dans la réalité la poésie
en allant à la découverte du monde et de ses surprises.
Le 17/VII/ 2012-07-21 sur le bateau
Un laurier rose
Un vieux laurier rose célibataire
Sur la plage de Xilokastro.
Il n’est pas plus beau
Ni plus remarquable
Que tous ceux que tu as croisés
Le long de l’autoroute.
(Au contraire…)
Mais c’est celui-ci
Que tu dois prendre en photo.
(Tout le monde a droit
à un peu de considération).
Un poème grec
Pour Marie-Laure et Xenophon
Le nid sous l’auvent en béton a été détruit
Les hirondelles ont déserté la maison.
Sur la vieille table en bois sont posées deux chaises
Dépaillées, aux accoudoirs en fer rouillé,
A côté d’une balancelle peinte en rouge et bleu
Rescapée de la guerre des enfants
Et du serpent inoffensif d’un tuyau d’arrosage…
Dans un poème grec quelque chose est toujours sur le point d’arriver
Et on l’attend…
Le sens du drame et de l’épiphanie
Est-il un effet de la sieste que la chaleur rend obligatoire ?
Ou le legs des mœurs du monde de la mer ?
Dans la maison de vigneron
Dont les volets fermés sont des paupières turquoise
Couleur de mer
L’iconostase blanche est vide.
Une mouche poursuit son combat solitaire contre le corps nus des dormeurs.
Pendant qu’on goûte à la paix
A l’ombre du mûrier
Autour d’un verre de vin rosé,
Dans le Golfe de Corinthe,
Certains attendent toujours le retour
De la grande voile carrée
qui doit ramener Hélène.
Dans les eaux du sommeil…
Dans les eaux du sommeil un poisson se réveille
Et c’est mon amour qui chevauche le poisson
Tel Poséidon armé de son harpon
Et c’est moi le poisson et c’est moi le harpon.
Le 19/VII/2012
Un séjour en Arcadie
Les bras en croix dans la lumière
A la surface de l’eau je flotte et c’est miracle
Au-dessus de la cathédrale de verre de la mer
Et je contemple le fond de son abside vaste silencieuse et fraîche
Où jouent les reflets verts de l’ombre et du soleil
Car ni les vitraux de la lumière
Ni même le sens du sacré
N’appartiennent qu’aux croyants
Viens je t’emmènerai au pays doré
Car nous sommes invités dans le séjour des dieux
Qui ont disparu et ne vivent plus que dans la pierre
Nous qui passerons aussi
sans laisser autant de traces sur la terre
que les dieux
nous sommes comme les dieux mortels
Mais nous avons sur les eux un avantage
Nous au moins nous aurons vécu
Ne serait-ce qu’un peu, avant de disparaître
Car les dieux ont réussi ce prodige
d’être mortels sans avoir jamais vécu
sur cette terre qui n’appartient pas aux dieux
Viens, je t’emmènerai au pays blond où la mer est bouclée
Comme une jeune vierge intacte à jamais
Lisse comme un sein ou légère et frisée
Quand ses vagues sur la plage font une frise bleue
Sur fond d’aube dorée car ni le bleu du ciel
Ni celui de la mer ni le miel de l’aube
N’appartiennent aux fascistes
Viens je t’emmènerai au pays doré
Et nous partagerons le vin et le pain
de la fraternité
Et le ciel et la mer que personne encore
n’a pu mettre en vente à la découpe
et qui sont encore à tous
Car cette terre n’appartient pas aux banquiers
Viens nous goûterons ensemble
Un bref instant d’éternité
Nous qui sommes passagers
Sur cette terre passagère
Où seuls le soleil, la mer
Et le peuple
sont doués d’éternité.
le 20/VII/2012
Dialogue sur les cigales
Elle — La cigale, le sais-tu, est un insecte hétérométabole ;
Seule sa dernière métamorphose sera complète.
Elle peut vivre des années sous terre avant
d’entamer sa vie aérienne…
Lui — Nous aussi nous aspirons à cela…
Elle — Cette ultime phase se nomme
la « mue imaginale » qui la voit se changer en adulte,
insecte dit « parfait » ou « imago »
qui se nourrit de la sève des arbres…
Lui — Voilà bien la poésie de ce temps scientifique…
Elle — Mais à ce stade, il ne lui reste qu’un mois et demi
à vivre, pour se reproduire… ce qui explique son ardeur.
Lui — Laissons là les cigales ;
leur sort au fond n’est pas enviable.
Insupportables compagnes des jours d’été
qui, dès 25°, se mettent à chanter
et ne se calment qu’à la nuit tombée…
Elle — Ces compagnes, comme tu dis, sont plutôt des compagnons
car chez les cigales ce sont les mâles qui chantent.
Ils cymbalisent avec leur abdomen
dans le but d’attirer les femelles …
Lui — A en juger par leur chant, celles-ci se font prier
et les mâles sont obligés de beaucoup chanter…
(En quoi, ils ne diffèrent pas beaucoup de nous).
Elle — Si… Nous nous sommes supérieures aux cigales.
Car chez nous les femmes savent aussi chanter
et parfois même draguer.
L’olivier
L’olivier quand il est pris dans un incendie
se consume de l’intérieur
et rien
ne peut arrêter le feu
Il brûle
jusqu’aux racines
et ne repousse pas
disent les gens du pays
Attachés
à leur terre
comme les oliviers.
Epigramme
Grèce :
dépenses inconsidérées
en beauté de toute sorte.
Le ferry
Dans son sillage le bateau fait naître des arcs-en-ciel.
Où sont passés les dauphins qui accompagnaient Poséidon dans ses courses en mer ?
Quand il arrive dans le port de Syros
le ferry pose sur le quai sa lourde langue métallique et articulée
et il avale comme un plat de brochettes un chapelet de voitures.
A chaque escale, me fait remarquer Patricia, les touristes, petits poissons multicolores s’engouffrent joyeusement dans le ventre de la baleine.
Ils ne savent pas ce que la suite leur réserve
mais cela ne les empêche pas d’aller plus loin…
Elle les recrachera dans le port du Pirée
sans les avoir digérés
pareils à Job (mais un peu moins pauvres)
les laissant aller là où ils veulent.
(D’autres ne sont pas venus.
Ils n’ont pas voulu donner leur argent à ce pays
pour lui faire payer son anarchisme qui, depuis l’Antiquité, a survécu à tous les Etats.)
Puis, pendant que nous nous faisons ces réflexions,
le ferry repart.
Il quitte la ville et ses deux tétons couverts de maisons pastel et surmontés de l’aréole d’un dôme couleur azur
Et laisse derrière lui la voie lactée d’une autoroute éphémère de blancheur.
le 29/VII/2012
Coucher de soleil sur Ithaque
C’est quand le soleil se couche
qu’on peut le regarder en face.
(De cette observation
qui ne manque pas de profondeur
vous pouvez faire ce que bon vous semble).
le 3/VIII/2012