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Archive pour décembre 2012

Au gui l’an neuf…

Samedi 29 décembre 2012

Au gui l'an neuf... img_1010_2

– Au Gui l’An neuf, où t’en vas-tu ?
– Je m’en vais par les bois touffus

Couper la fleur sacrée du gui
Mais n’en ai pas trouvée ici.

– Au Gui l’An neuf, où étais-tu ?
– J’étais courir près de la prée

En haut du talus j’ai trouvé
Le vert rameau du gui têtu.

Je me suis levé de bonne heure
et j’ai rapporté ce bouquet

de perles blanches porte-bonheur.
– Pourquoi courir prés et bosquets ?

Ton porte-bonheur est ici.
Je suis ton houx, tu es mon gui.

(in L’Aubépine, cent-un sonnets pour un amour frondeur, éditions Le Préau des collines, 2011).
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Libération de Ibn Al-Dhib

Mardi 18 décembre 2012

100 poètes appellent à la libération de Ibn Al-Dhib, poète quatari condamné à la perpétuité pour un poème.

Signez la pétition.

Libération de Ibn Al-Dhib ibdn-dhib-200

Une ode pour Yaoundé

Lundi 10 décembre 2012

Du 1er au 5 décembre, j’ai participé

au festival de poésie des 7 collines

à Yaoundé au Cameroun.

J’en rapporte quelques images…

Une ode pour Yaoundé 1354462461087

à Anne Cillon Perri

1.
Déjà, j’avais arpenté les vieilles cités d’Europe et marché dans les rues tumultueuses et pacifiques de la Chine
J’avais déjà foulé les trottoirs de San Francisco et j’avais côtoyé les gratte-ciels et les mendiants de l’Amérique
J’avais déjà longé la mer des Caraïbes sur le Malecon de la Havane et respiré l’air du large
J’avais déjà vagabondé dans Alger, pêché des rougets au Chenoua, glissé sur le Nil et escaladé les pyramides du Mexique
mais jamais je n’avais posé le pied sur le sol de l’Afrique, au sud du Sahel, le continent noir.
Jusqu’à maintenant, c’est l’Afrique qui se déplaçait pour venir me voir….
L’Afrique, je l’avais, enfant, longuement regardé, intrigué, impressionné et vaguement inquiet, dans la collection de masques et de statuettes Baoulé, Bambara, Malinké, Fang ou Sénoufo d’un oncle, ex-caporal des zouaves, au Maroc…
L’Afrique, adulte, je la croisais maintenant dans les rues d’Aubervilliers ou de Barbès,
prenant le métro très tôt le matin pour partir travailler en usine ou pour faire des ménages,
l’Afrique, je la voyais tous les jours, porte de la Villette, devant le foyer des travailleurs immigrés, assise en djellaba devant des caddies chargés de poulets plumés ou quelques paquets de cigarettes posés par terre et vendus à la sauvette
L’Afrique, je la croisais parfois dans la tristesse d’un regard d’homme, perdu dans le froid
et parfois je la voyais briller sur l’épaule nue que laissait entrevoir le boubou d’une femme dans les allées du marché,
ronde et pleine de soleil comme un pamplemousse noir
et je trouvais à sa beauté négresse un port de princesse.

L’Afrique, jusqu’à maintenant, c’est elle qui venait me voir.
Aujourd’hui, je lui rends la politesse.

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2.
Assis dans la salle d’embarquement de l’aéroport, j’ai vu tout d’abord surgir devant mes yeux l’Afrique nourricière
dans le jaillissement du sein à l’aréole énorme d’une femme qui donnait à téter à son enfant,
un sein rond et auto-suffisant,
un sein terrestre et plein,
non pas comme une éclipse de lune,
mais plutôt comme un lever de la planète Terre tel qu’on pourrait l’observer de la Lune,
un lever de Terre brune,
un sombre clair de Terre.
Qui a dit que l’histoire des fils d’Adam et Eve était prête à s’épuiser sur cette Terre ?
Voici que se presse dans la file d’attente du contrôle des bagages une foule tropicale aux bras noueux, au sourire clair, aux paroles turbulentes et sonores, toute à la joie de retourner vers le soleil du pays…
L’Afrique nourricière….
L’Afrique qui elle-même a la forme d’une femme enceinte et qui se tient le ventre.

L’Afrique, berceau de l’humanité,
L’Afrique, de la plus ancienne humanité
est aujourd’hui un chaudron de jeunesse.
L’Afrique sera-t-elle la pouponnière du futur ?

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3.
Vue du ciel, la mer aperçue dans l’échancrure festonnée des nuages,
la mer sous le soleil brille comme une peau de nacre…
Et voici, qu’une fois tirée la couette blanche des nuées, apparaît une autre mer :
le Sahara.
Nous survolons une carte de géographie.
En bas, il n’y a rien.
La Terre est comme un tableau effacé à la fin de la leçon,
où le chiffon aurait laissé des traces…
Le sable à perte de vue, avec parfois l’incision fine d’une piste,
à fleur de sol, quelques pustules rondes de pétrole,
pas d’oasis et pas d’humains,
le sable à l’infini comme une peau hérissée qui a la chair de poule
sous le feu du soleil,
le sable couvert de veinules, un lacis laissé par le vent qui fait des ourlets
un lacis de sable qui n’a pas plus de sens que la trace au fond de la tasse du marc de café.
De temps en temps, les nuages-parasol font à la terre un peu d’ombre passagère…
Et voici bientôt les monts du Niger,
bientôt l’Afrique,
là-bas vers l’Equateur invisible qui partage notre ciel
et nos saisons d’hommes sur la Terre…

Et bientôt dans la nuit la ville immense et pauvre
accroupie au milieu du tas de pierreries de ses lumières.

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4.
L’Afrique se lève tôt.
Dès cinq heures du matin tintent les casseroles et les calebasses que les femmes nettoient ;
le coq enroué d’avoir chanté toute la nuit avec les chiens reprend pourtant son office quotidien.
On entend les cris et les pleurs d’un enfant de trois ans que sa grande soeur gronde…
Il est temps de se lever pour rejoindre la rumeur du jour !
Prendre une douche froide au mince filet d’eau.
(L’eau est partout dans ce pays de lacs, de fleuves et de montagnes, et pourtant l’eau ici fait souvent défaut… )
Puis je sors rejoindre l’empire blanc du soleil qui se met à chauffer comme tous les jours.
Je croise des fillettes en uniforme qui partent pour l’école,
une belle femme aux fesses haut perchées qui porte sur la tête un bidon rempli d’eau,
et un homme triste et maigre engoncé dans son costume gris qui a peut-être rendez-vous dans un ministère et attend, je ne sais pas quoi…
Partout le matin, les femmes et les enfants s’activent à nettoyer.
Ils passent la serpillière et époussettent la courette avec leurs balais courts en fibres de palmes,
ils sortent les tapis de sol et lavent les voitures…
Partout, les femmes et les enfants nettoient
mais dans la rue traînent dans la poussière des bouteilles plastique efflanquées au ventre crevé, des capsules de bière et des fruits pourris et écrasés.

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5.
Ô Yaoundé
dont le nom mal compris par les Allemands vient du peuple Ewondo ;
Yaoundé, la ville aux sept collines qui se dégagent lentement de la brume comme des belles sortant du bain.
Ô les rues de Yaoundé !
Les rues ravinées, les rues défoncées dont l’asphalte a disparu emporté par les orages,
les rues ravagées comme si la crue était passée par là,
les rues par la fête de la pluie et du soleil brutalement défaites,
les rues de latérite rouge, comme des veines ouvertes et étirées sur le corps d’un écorché,
les rues de la ville comme des troncs d’arbres éventrés de varices,
les rues aux entrailles lacérées, les rues en pente bosselées et torturées, les rues trouées de nid de poule où les voitures font des tours et des détours pour éviter de se briser,
les rues où marchent les hommes et les femmes toute la journée avec sur la tête des seaux, des couvertures, des tables et des chaises, des bassines, des régimes de banane et des paquets à livrer,
les rues bordées d’une kyrielle d’échoppes de bois aux façades de guingois,
avec des pneus empilés près de l’atelier du garagiste,
les rues qui dévalent la colline où noircit au soleil une carcasse de voiture à côté d’un bananier,
les rues où court en zigzagant une poule
et parfois un chien,
les rues encombrées de taxis jaunes et de motos sur lesquelles s’entassent les clients,
les rues klaxonnantes, les rues bruyantes, vivantes et lentement déglutissantes,
les rues du pays saigné.
(Car il se pratique ici silencieusement une saignée continue à la pliure du coude dans les bras grands ouverts de la terre pour en faire couler jusqu’à nos ports le pétrole, l’or, et le diamant).

Oui, mon ami, mon frère,
 » Un autre monde est possible « 
et ce monde autre, c’est le nôtre.
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6.
Dans le quartier de Montée-Jouvence
l’homme blanc est allongé, nu sous la moustiquaire qui lui fait une tente transparente et pointue comme un clocher d’église,
l’homme blanc sous sa cloche à fromage se protège de la malaria.
(Les premières révoltes au Cameroun furent provoquées par les colons allemands qui pour se prémunir des parasites avaient voulu déplacer les populations et les chasser de la terre de leurs ancêtres).
Mais les moustiques sont toujours là, minuscules et bruyants…
Il fait chaud et humide et l’homme transpire…
L’homme est allongé sur son lit et lit une poétesse africaine qui parle crûment de son désir,
du pénis, comme un bâton de manioc, élastique et ferme, qui se tend
(Le manioc a l’odeur acre et douceâtre est ici partout.
On dirait un serpent emmailloté et ficelé dans sa feuille de bananier…)
Et l’homme blanc sent que son serpent aussi s’éveille…
Ici les femmes n’ont pas peur de leur désir
et les hommes non plus, malgré le sida,
et les poètes d’ici célèbrent toujours joyeusement le coït, l’ardeur du sexe et de la vie.
Le péché n’a pas pris le pouvoir et le plaisir des corps, ici comme ailleurs, est toujours la meilleure fontaine de Jouvence…
Mais le poète blanc, qui est très sage
et bien qu’aimant l’amour et la poésie, 
qui se défie de l’ivresse des mots et des sens,
n’aura de tout cela qu’une livresque connaissance…
Comme il est seul, il laisse là le livre
et va prendre encore une douche.

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7.
La semelle de ma chaussure gauche s’est décollée et je marche dans la rue avec une chaussure qui baille.
Elle ouvre grand sa gueule noire et rit de toutes ses dents…
Mais elle n’a pas de dents.
Ma chaussure est un crocodile avachi et édenté qui ne menace personne,
mais avec cette chaussure usée à mon pied, je me sens un peu plus proche de la terre, je respire à la hauteur du sol et fraternise avec la poussière…
Moi le poète français qui marche dans la rue avec un chapeau blanc digne des colonies,
avec cette chaussure qui baille, je me sens un peu plus le compagnon des va-nu-pieds !
Pourtant, je ne partage pas leur sort.
Je n’ai pas eu la vie de ces enfants qui me voyant passer dans la rue s’amusent à m’en mettre plein la vue en faisant des sauts périlleux sur un tas de sable,
ces enfants qui s’envolent mais ne prendront peut-être jamais l’avion,
Je ne partage pas le sort du jeune homme à moitié déculotté qui retient comme il peut son pantalon crasseux qui lui tombe sur les genoux.
Je n’ai pas la vie de celui qui marche sur la chaussée, une basket posée sur la tête,
le petit vendeur de chaussures qui porte sur lui son enseigne, et ne doit chaque jour pas gagner beaucoup plus que le prix de son repas du jour.
Et qu’est-ce que je sais de la petite fille de quatre ans enveloppée dans un grand voile bleu qui lui cache la moitié du visage et qu’elle retient d’une main pendant qu’elle tend l’autre pour mendier ?
Qu’est-ce que je saurai de la vie de zombie de ces jeunes attroupés autour de la voiture qui quémandent la pièce avec laquelle ils pourront se payer le tube de colle qu’ils iront ensuite tour à tour respirer pour mourir et oublier ?…

(Demain, le cordonnier africain, qui ne jette rien, fera un miracle et rendra à ma chaussure vie et dignité.)

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8.
Voici ma chérie les dernières nouvelles d’ici :
Les fleurs de flamboyant sont jaunes
L’orage qui menaçait a fini par tomber
(Une pluie verticale a fait du tam tam
sur le toit en tôle ondulée
et la température a un peu baissé)
L’église de la Rédemption convoque ses fidèles
Dans le quartier Bastos les rues sont goudronnées
Un homme traverse, une poupée sur la tête,
Un autre porte sur son dos un cheval de rotin
Il y a un siècle à peine
le roi Bamoun inventait l’écriture
Le frère qui vit au village
a commandé un fauteuil de chef
qu’il ne peut pas payer
On parle ici trois cents langues africaines
Deux personnages dansent accrochés
à l’enseigne du supermarché
Marie Claire est partie travailler au ministère
Il faut acheter de grands sacs de poissons et de poulets
pour l’enterrement de la tante
On est passé en un siècle à peine
de la chasse et de la cueillette
à la production en série des antiquités
Un lézard court le long du mur
Le Cameroun fait partie du Commonwealth
Un président à vie reçoit un dictateur
(ou c’est peut-être le contraire)
A la Librairie des Peuples noirs
Mongo Beti garde les yeux ouverts
Ruben Um Nyobé n’est pas oublié
Un oiseau s’est perché au sommet d’un cocotier
Il y a des tableaux noirs dans les cours des maisons
Partout on étudie
Tu es restée en France
Et moi qui t’aime
Je t’envoie ce texto :

« Bonjour ma belle.
Ici, ce matin, le soleil est voilé
mais il se fait pourtant sérieusement sentir.
Ainsi est notre amour :
Il est au loin
mais il rayonne. »

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9.
« Celui qui n’a pas d’ennemi n’a pas d’avenir » clame l’affiche géante du prédicateur.
Car Dieu est posté à tous les coins de rue.
Il se fait de la publicité sur les parechocs des motos et des voitures.
C’est lui qui sait tout et toi, tu dois le suivre docilement…
Et tu le suis non pas sur les routes du paradis qui se cache dans les profondeurs inaccessibles du ciel mais sur les pistes échevelées de la terre où se mêlent toujours le paradis et l’enfer
et ce dieu-là ne fait rien pour toi.
(Afrique, peut-être que tu souffres d’un excès de foi…)
Afrique des grigris,
Afrique des sectes protestantes et des confréries secrètes,
Afrique du vaudou et des esprits qui rôdent parmi nous,
Afrique des esprits qui se vautrent dans la boue au fond du fleuve Wouri
où vivent des villages engloutis,
Afrique des marabouts,
des petits et des grands,
de ceux qui tordent le cou des poulets, te promettent la santé, la fortune ou l’obéissance de la femme
et de ceux qui roulent en limousines,
portent des lunettes de soleil,
racontent des histoires au peuple
et restent au pouvoir tant qu’ils ne touchent pas aux affaires des Blancs,
n’imposent pas de renégocier les conventions, les termes de l’échange et les conditions d’une vraie coopération.
« Celui qui n’a pas d’ennemi, n’a pas d’avenir »
Aujourd’hui je suis d’accord avec le prédicateur.
Afrique tes ennemis sont ici chez eux. Ils sont ici chez toi.
Hier, ils vendaient leurs frères au marchand d’esclaves.
Aujourd’hui, ils vendent tes richesses et délaissent les entrailles de ta terre-mère.
Afrique, viendra-t-il enfin le jour où c’est en toi que tu croiras ?

(Mais cela que je dis aujourd’hui de l’Afrique pourrait se dire de tous les peuples de la Terre).

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10.
Debout, levons-nous ce matin de bonne heure !
Rejoignons la joyeuse troupe
des poètes d’Afrique et d’ailleurs
qui se regroupe pour entamer
l’ascension du Mont Fébé.
Debout, levons-nous et partons
avant que le soleil de plomb
ne soit à l’aplomb de nos pauvres têtes !
Debout, marchons et montons
par la route sinueuse vers le vert des hauteurs et vers les crêtes !
Debout, marchons et en route nous dirons
à chaque halte nos vers !
Debout marchons et dépassons
la vendeuse de pamplemousse,
le marchand d’ananas,
le policier aux gants blancs,
la jeunesse sportive qui redescend
de la montagne en petite foulée
et sourit de nous.
Debout, marchons et délaissons
la termitière indifférente qui se dresse au bord de la route.
Marchons et délaissons cette autre termitière, le Palais présidentiel…
Nous, nous montons plus haut, plus près du ciel.
Les poètes aiment s’élever…
Ils sont comme les enfants
et comme les chèvres ;
ils ne peuvent pas voir une colline sans rêver d’y grimper.
Pour dominer ? peut-être…
Pour voir plus loin aussi, pour élargir l’horizon, pour respirer…
Non pas pour dépasser les autres mais pour se dépasser.
Allons, debout, marchons ensemble, cote à côte…
Nous ne faisons que commencer notre ascension !

le 9/XII/2012

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