Archive pour août 2014

Trois poèmes chinois de la dynastie T’ang

Dimanche 31 août 2014

Voici l’adaptation que j’ai faite de trois poètes de la dynastie T’ang (618 – 907)

Li Bai

(Li Po)
(701-762)

Li Bai

Matin d’ivresse

Puisque vivre en ce monde est le songe d’un songe
Pourquoi perdre son temps en vains travaux ?
Je passe ma journée à m’enivrer
et je dors affalé près du pilier du seuil

Au réveil je regarde par-delà le perron
Un oiseau chante au milieu des fleurs
« Dis-moi, sais-tu quelle est la saison ? »
« Dans le vent du printemps chante le loriot »

Emu je m’apprête à  pousser un soupir
mais voyant le vin je remplis ma coupe
puis je chante en attendant le clair de lune
Et ma chanson finie, ne pense plus à rien…

 

Du Fu

(Tou Fou)
(712-770)
Tou Fou

Voyage nocturne

Le vent joue dans les herbes au bord de l’eau
Mon bateau glisse dans la nuit, son mât dressé
Sur la plaine à l’infini s’étendent les étoiles
La terre est bercée par le Grand fleuve

Mes écrits rendront-ils un jour mon nom célèbre ?
Malade et vieux, je dois me retirer
Balloté par les vents ne suis-je pas semblable
à la faible mouette entre ciel et terre ?

Bai Jiu Yi

(Po Kiu-yi)
(772-846)

Bai Jiu Yi portrait

Le vieux charbonnier

Dans les monts du sud, il abat le bois et le brûle pour en faire du charbon
le visage couvert de cendres, la face brûlée par la suie et le feu
les tempes grises et les mains noires.
Le charbon qu’il vend, que lui rapporte-t-il ?
juste de quoi manger et se vêtir.
Malheureux, alors que ses vêtements sont si peu épais
craignant le bas prix du charbon, il espère qu’il fera froid !
Cette nuit il est tombé un pied de neige hors de la ville ;
Dès l’aube, il attelle sa charrette qui cahote dans les ornières glacées.
Le bœuf est las, l’homme affamé, le soleil déjà haut.
A la porte du sud, près du marché, il fait halte dans la boue.
Mais qui sont ces deux cavaliers si fringants ?
Un émissaire à tunique jaune et un jeune en habit blanc.
Un avis officiel en main, par rescrit impérial
ils ordonnent de faire demi tour vers le palais au Nord.
Dans la charrette, plus de mille livres de charbon.
Les mandarins l’ont réquisitionné, à quoi bon se plaindre ?
Une demi-pièce de soie  d’environ dix pieds de long
nouée aux cornes du bœuf, c’est tout ce qu’il aura pour le charbon !

Lawrence Ferlinghetti traduction

Dimanche 24 août 2014

Voici un poème de Lawrence Ferlinghetti que j’ai traduit de l’américain et qui a été diffusé par mes amis de la Casa della poesia de Salerne.

ferlinghetti3

 

Chanson des oiseaux du Tiers monde

Un coq a crié dans mon sommeil
quelque part en Amérique centrale
pour réveiller l’esprit centriste
de l’Amérique

Et le coq s’est mis à chanter
pour me réveiller afin que je voie
une mer d’oiseaux
qui volaient au-dessus de moi
au-dessus de l’Amérique

Et il y avait des oiseaux de toutes les couleurs
des oiseaux bruns, des oiseaux noirs
des oiseaux jaunes, des oiseaux rouges
venant de chacun des pays
des mouvements de libération

Et tous ces oiseaux encerclaient la Terre
volant au-dessus de chaque grande nation
et au-dessus de la forteresse Amérique
avec son grand aigle
et ses éclairs de foudre

Et tous ces oiseaux s’écriaient d’une seule voix
la voix de ceux qui n’ont pas de voix
la voix des invisibles du monde
la voix des dépossédés du monde
les peuples fellahs va-nu-pieds de la Terre
qui maintenant se lèvent

De quel côté es-tu
chantaient les oiseaux
Oh! de quel côté es-tu ?
Oh! de quel côté es-tu
dans la Troisième guerre mondiale
la Guerre contre le Tiers monde ?

Lawrence Ferlinghetti
traduit en français par Francis Combes

L’arbre du papé

Dimanche 17 août 2014

arbre

L’arbre du papé

pour Erwan, Lauryne et Yannis

Si tu viens avec moi, tu verras mon arbre
un noyer solitaire planté sur la colline
Je dis que c’est mon arbre car je l’ai élu
dans mes promenades roi de la colline
et chaque jour ou presque je lui rends visite
je viens jusqu’à son pied et je le salue

Cet arbre, c’est certain, est un arbre magique
Il est plus fort je crois que n’était l’arbre aux fées
qui poussait dans le cœur des forêts enchantées
et autour duquel dansaient les jeunes filles
lui confiant leurs secrets, pour exaucer leurs vœux,
des rubans, des diamants ou un prince charmant.

La nuit, il n’est pas sûr qu’il puisse s’envoler
et qu’il fasse en dormant tout le tour de la Terre
propulsé dans les airs par des fusées laser,
un enfant à son bord, tous ses feux allumés,
avec au bout des branches des épées nocturnes
pour découper le ciel de leurs rayons violets

Mais il fait bien plus fort, car je sais qu’en silence
quand nul ne le regarde, que personne n’y pense
mon arbre solitaire, débout sur sa colline
prépare en grand secret pour leur appareillage
dans la grande aventure mystérieuse de l’automne
toute une flottille de coquilles de noix.

Bury, le 17 août 2014

enfants arbre

Défilé de mode

Samedi 16 août 2014

pull F

J’ai pris ma canne et mon chapeau rouge
et je suis parti dans la campagne
pour étrenner le pull bleu ciel
et multicolore que tu m’as tricoté.
Aucune marguerite ne s’est retournée
sur mon passage.
Et les hirondelles qui volent bas
ne se sont pas arrêtées en plein vol
pour assister à la présentation
de la collection Eté-Automne.
Mais avec mon gilet bleu
j’ai jeté un défi aux nuages noirs
et le ciel menaçant, désormais,
n’a qu’à bien se tenir.

le 15 août 2014

Le matelas abandonné

Lundi 4 août 2014

IMG_0994


Le matelas abandonné


C’est l’été
la saison où d’ordinaire on abandonne son chien
attaché à un arbre sur la route des vacances,
ses vieux parents ou ses petits enfants.
En bas de chez moi,
profitant du fait que la ville avait le dos tourné,
que les arbres clignaient des yeux sous le soleil,
et que les gamins dans le jardin public
jouaient à la marelle avec les jets d’eau
ou couraient après les pigeons,
quelqu’un a abandonné son matelas.
Il gît maintenant sur le trottoir
le ventre en l’air,
un peu étripé aux coutures,
et à tous il offre sans pudeur le spectacle de sa nudité
aux taches douteuses.
Pourtant, pendant des années, il a servi honnêtement.
Il a accueilli des nuits de sommeil réparateur
et des nuits d’insomnie,
des rêves et des cauchemars,
des étreintes, des amours
quelques disputes aussi
et n’a jamais rien dit.
(Il a même fait ce qu’il pouvait
pour étouffer les grincements du sommier).
et voici qu’on le jette à la rue
sans plus d’égards,
comme un travailleur au noir,
un ouvrier sans papiers.
Il va pour un temps rejoindre le sort
de ceux qui dorment dehors,
le plus souvent sans matelas —
Jusqu’à ce qu’un camion de la voirie
prenne soin de lui
et l’emporte à la déchetterie.

le 3/08/2014