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Archive pour février 2015

Comme un livre d’images

Vendredi 27 février 2015

Extrait de « La France aux quatre vents » qui paraît au Temps des Cerises en mars 2015.

france carte

Comme un livre d’images

J’ai souvenir enfant des grandes cartes peintes
qu’accrochait la maîtresse sur le mur de la classe.
On y voyait la France et ses départements,
ou le passage des saisons sur le paysage, l’hiver blanc piqué de corbeaux noirs sur les champs
l’automne roux, le tracteur, la vigne, l’écolier
et la France pour nous qui vivions dans la ville
revêtait le visage éternel et changeant
d’un pays travailleur, paisible et bucolique,
tel qu’a pu le rêver hier la République,
celle d’avant la guerre… Images du passé…
Vercingétorix à cheval, vaincu mais fier
qui vient jeter aux pieds de César son épée,
des jongleurs qui égayent des seigneurs à poulaines,
le roi Saint-Louis sous son chêne qui rend la justice.
Il y avait aussi une place au Moyen Age,
des maisons à colombages, un jour de marché,
des marchands, des échoppes, un homme au pilori,
Henri IV à quatre pattes avec ses enfants,
Cartier ou Montcalm, les Indiens du Canada
et bravant la canonnade la foule parisienne
en liesse montant à l’assaut de la Bastille…
La France nous était comme un livre d’images
dont les scènes se sont gravées dans nos esprits.
Il y manquait bien sûr quelques illustrations :
les Communards tombant au Mur des Fédérés,
le maître maniant la chicotte dans la plantation,
quelques corps décapités à Madagascar,
un douar incendié, des Annamites suppliciés…
– Il convenait alors d’éviter aux enfants
l’exposition universelle de l’oppression. –
Par la suite, chacun s’est fait son livre d’images
(Où la vie a sa part et la télévision
aussi grâce à quoi nous avons l’illusion
d’avoir un peu tout vu et un peu tout vécu…)
Mais rien jamais ne saurait remplacer l’Histoire
où de loin ou de près on se trouve mêlé,
où quittant les bancs de l’école ou le fauteuil
devant sa télé on traverse le miroir
pour se trouver sur scène, acteur ou figurant…
Ainsi pour moi, de mes années d’adolescent,
à tout jamais de France je garde la mémoire
d’un mois de mai comme un bonheur effervescent,
un drapeau rouge sur une usine d’Aubervilliers.

Anaphore pour le peuple grec

Samedi 14 février 2015

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Anaphore pour le peuple grec

Merci à vous de vous être levés
Merci à vous d’avoir ouvert la fenêtre
Merci à vous d’avoir fait entrer dans la maison l’air du large
Merci à vous de nous avoir montré qu’il pouvait faire beau temps sur la mer
Merci à vous d’avoir rendu aux statues antiques les couleurs de la vie
Merci à vous de ne pas marcher à quatre pattes
Merci à vous ne pas porter de collier ni de cravate
Merci à vous de tendre la main à ceux qui sont encore assis
Merci à vous d’avoir ouvert la fenêtre
Merci à vous de vous être levés.

14-II-2015

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La chasse au brochet

Dimanche 8 février 2015

Ce poème est extrait du recueil

La France aux quatre vents,

à paraître au Temps des Cerises,

avec une préface de Jean Ristat.

 

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La chasse au brochet

J’ai vu parfois dans l’ombre glisser des brochets.
Ils ont l’air taciturne des seigneurs de la guerre
reîtres ils aimeraient passer pour condottiere
et hantent les bas-fonds en tenue de soirée.

J’ai vu dans les salons ces êtres à sang-froid
louvoyer et glisser entre de hautes herbes
coupantes qui ondulent, femmes maîtresses, serves
en robes de lamé, et fondre sur leur proie.

J’ai vu par bancs glisser le long des verticaux
aquariums aux parois dures de verre teinté
où des salariés tombent, daphnies en suspension,  les brochets en costumes des grands sièges sociaux.

Ils vont aux Baléares ou l’été à Saint-Trop’,
passent leurs nuits en boîte, hantent les champs de courses.
Gardant toujours un œil sur les cours de la Bourse,
ils se croisent en vol, d’Amérique en Europe.

Les brochets ont du goût pour les poissons modestes ;
c’est avec une classe qui fait la différence,
d’une dent distinguée, feignant l’indifférence
qu’ils déchirent leurs chairs et négligent leurs restes.

Et, même si souvent d’ordinaires mulets
qui paissent en banlieue se rêvent leurs émules
et font dans les affaires, la chose est ridicule ;
il y a un monde entre eux et celui des brochets.

La nature est ainsi ; n’est pas brochet qui veut.
Il faut une mâchoire inférieure en avant,
l’air sombre et dans la bouche pas moins de sept cents dents.
(Ces atouts, en principe, s’héritant des aïeux).

Mais il faut au brochet rendre cette justice ;
ce carnassier maussade peut être aussi très bon
au vin blanc, à la crème, au beurre et au citron,
sur un lit de fenouil, voire avec un pastis…

Je me souviens – il y a, j’espère, prescription
nous étions jeunes alors et nous n’avions pas d’arc ;
des brochets sévissaient dans le bassin d’un parc
et nous tirions dessus au pistolet à plomb.

C’était dans un château qui dominait la plaine
de sa claire terrasse ou nous nous reposions
(tout en nous préparant pour la révolution)
et tirant les brochets, nous agissions sans haine…

Revanche des vilains sur la loi des seigneurs,
le braconnage hélas est un art qui se perd.
C’est je crois autrement qu’il faudra qu’on opère
et à une autre échelle, contre ces prédateurs…

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