Éloge de la table chinoise
Faisons ici l’éloge de la table chinoise.
Pas pour ce qu’on peut trouver dessus
(A l’énumérer
il n’est pas sûr
qu’une vie suffirait…)
Non… faisons l’éloge de la table chinoise
pour sa simple et ingénieuse conformation
(qui en dit long sur la tradition
de savoir faire et d’invention
des artisans chinois).
On peut en effet
dans n’importe quel restaurant,
et dans beaucoup de foyers,
trouver de telles tables rondes
équipées de leur plateau tournant
en verre, sur lequel sont posés les mets
(nombreux) que les convives
sont invités à goûter.
Ce système date de bien avant la Révolution,
pourtant, de cette table on pourrait dire
qu’elle est un modèle de socialisme
(au bon sens du terme, s’entend)
et même, de communisme…
Elle est ce que socialisme et communisme
n’ont pas toujours été
et, ce que pourtant, jamais ils ne devraient
renoncer à être.
D’abord, parce que chacun peut y manger
à satiété, selon ses besoins.
Il règne d’ordinaire en effet sur cette table
une abondance généreuse et organisée.
Ensuite, parce nul ne peut se jeter sur les plats
et se comporter en profiteur, en goinfre, en accapareur.
Chacun se servant doit penser à lui
et en même temps aux autres.
(Car la règle ici est au partage).
Personne non plus ne peut s’asseoir
avec autorité à son extrémité,
s’y comporter en maître, ou même la présider.
(Sur cette table ronde, les plats doivent tourner
et chacun peut la faire tourner).
Voilà pourquoi cette table est l’image même
de la liberté,
de l’égalité
et de la fraternité.
(9.08.2015)
*
Les enfants et les abeilles
Dans la vieille ville de Dangaer
trois enfants s’affairent
près d’un buisson de fleurs
à capturer des abeilles
pour ensuite les relâcher.
Ils les enferment
dans une bouteille plastique
puis tapent dessus
pour que les insectes
pris de panique
finissent par s’envoler.
Voilà, me semble-t-il, un jeu
délicat
et un peu dangereux.
(9.08.2015)
*
Le Sixième Dalaï Lama
Tsangyang Gyatso, le Sixième Dalaï Lama,
est connu pour son destin tragique.
Ayant renoncé à ses vœux monastiques,
il fut déposé par le Khan Lkhazang
qui le fit exiler en 1706 en Chine.
Mais, arrivé près du Lac Qinghai,
sur les hauts plateaux,
où pâturent yacks et chevaux,
au milieu de petites fleurs jaunes,
il disparut.
Le sixième Dalaï Lama
est connu aussi pour ses dons de poète.
Juste avant de disparaître, il écrivit quelques poèmes
pleins de fraîcheur, dont celui-ci :
« La belle que tu vois
est une pêche juteuse
qui pend à la branche de l’arbre
mais elle est hors de portée ».
Quand il disparut, que lui est-il donc arrivé ?
A-t-il été assassiné par ses gardes du corps ?
Est-il entré en lévitation et s’est-il envolé dans un tourbillon de fumée ?
S’est-il réincarné en l’enfant trouvé par les moines
dans la région du Kham ?
Ou en cheval mongol, lui qui n’avait pas demandé
à devenir Dalaï Lama ?
Ou bien a-t-il simplement choisi de vivre, inconnu et libre,
pour rejoindre la fille au teint de pêche ?
(10.08.2015)
*
La cocotte-minute
Rencontré dans sa chambre d’hôtel
lors de son passage à Paris,
quelques jours avant Tien An-Men,
me parlant du Tibet et des étudiants,
Wang Meng m’avait dit :
« C’est comme une cocotte-minute.
Quand la cocotte est bien fermée
il n’y a pas de problème.
Quand elle est ouverte, non plus.
Le moment délicat,
c’est celui de l’ouverture ».
*
Les poissons et l’eau
Quand Mao Tsé-Toung diagnostiqua au sein du parti
la sclérose en plaque de la bureaucratie
il lança le mot d’ordre radical :
« Feu sur le quartier général »
et déclencha la révolution culturelle.
(Mais quand les masses s’en mêlent
cela peut faire des dégâts…
Et le remède bientôt s’avéra
pire que le mal ;
lequel est toujours là…)
Forts de cette expérience
faut-il alors faire confiance
aux experts (rouges ou non)
plutôt qu’au peuple
quand on agit en son nom ?
« Les communistes, disait Mao Tsé-Toung,
doivent être dans le peuple
comme un poisson dans l’eau… »
Les poissons
s’ils ne s’appuient plus sur l’eau
risquent de finir sur le sable.
(11.08.2015)
*
Écrit dans le parc de Bei Hai,
ou lac du Nord, à Pékin
(huitain à la manière d’autrefois)
Assis tous deux sur le rebord d’une pergola dans l’île des hortensias
Près du pont en marbre de l’éternelle tranquillité…
Le rideau en perles de jade du saule bouge lentement.
Une cigale s’époumone et puis s’arrête.
Chante-t-elle parce qu’elle est seule et qu’elle va mourir ?
Ou chante-t-elle pour dire sa joie d’être encore en vie
Comme nous qui nous aimons… Qui peut le dire ?
Il fait si chaud qu’une simple brise suffit à notre bonheur.
(12.08.15)