Archive pour août 2015

Le carnet du petit dragon rouge 2

Samedi 29 août 2015

Éloge de la table chinoise

Faisons ici l’éloge de la table chinoise.
Pas pour ce qu’on peut trouver dessus
(A l’énumérer
il n’est pas sûr
qu’une vie suffirait…)
Non… faisons l’éloge de la table chinoise
pour sa simple et ingénieuse conformation
(qui en dit long sur la tradition
de savoir faire et d’invention
des artisans chinois).

Table1

On peut en effet
dans n’importe quel restaurant,
et dans beaucoup de foyers,
trouver de telles tables rondes
équipées de leur plateau tournant
en verre, sur lequel sont posés les mets
(nombreux) que les convives
sont invités à goûter.

Ce système date de bien avant la Révolution,
pourtant, de cette table on pourrait dire
qu’elle est un modèle de socialisme
(au bon sens du terme, s’entend)
et même, de communisme…

Elle est ce que socialisme et communisme
n’ont pas toujours été
et, ce que pourtant, jamais ils ne devraient
renoncer à être.

D’abord, parce que chacun peut y manger
à satiété, selon ses besoins.
Il règne d’ordinaire en effet sur cette table
une abondance généreuse et organisée.

Ensuite, parce nul ne peut se jeter sur les plats
et se comporter en profiteur, en goinfre, en accapareur.
Chacun se servant doit penser à lui
et en même temps aux autres.
(Car la règle ici est au partage).

Personne non plus ne peut s’asseoir
avec autorité à  son extrémité,
s’y comporter en maître, ou même la présider.
(Sur cette table ronde, les plats doivent tourner
et chacun peut la faire tourner).

Voilà pourquoi cette table est l’image même
de la liberté,
de l’égalité
et de la fraternité.

(9.08.2015)

Table2


*

Les enfants et les abeilles


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Dans la vieille ville de Dangaer
trois enfants s’affairent
près d’un buisson de fleurs
à capturer des abeilles
pour ensuite les relâcher.

Ils les enferment
dans une bouteille plastique
puis tapent dessus
pour que les insectes
pris de panique
finissent par s’envoler.

Voilà, me semble-t-il, un jeu
délicat
et un peu dangereux.

(9.08.2015)

*

Le Sixième Dalaï Lama

Tsangyang Gyatso, le Sixième Dalaï Lama,
est connu pour son destin tragique.
Ayant renoncé à ses vœux monastiques,
il fut déposé par le Khan Lkhazang
qui le fit exiler en 1706 en Chine.
Mais, arrivé près du Lac Qinghai,
sur les hauts plateaux,
où pâturent yacks et chevaux,
au milieu de petites fleurs jaunes,
il disparut.

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Le sixième Dalaï Lama
est connu aussi pour ses dons de poète.
Juste avant de disparaître, il écrivit quelques poèmes
pleins de fraîcheur, dont celui-ci :
« La belle que tu vois
est une pêche juteuse
qui pend à la branche de l’arbre
mais elle est hors de portée ».

Quand il disparut, que lui est-il donc arrivé ?
A-t-il été assassiné par ses gardes du corps ?
Est-il entré en lévitation et s’est-il envolé dans un tourbillon de fumée ?
S’est-il réincarné en l’enfant trouvé par les moines
dans la région du Kham ?
Ou en cheval mongol, lui qui n’avait pas demandé
à devenir Dalaï Lama ?
Ou bien a-t-il simplement choisi de vivre, inconnu et libre,
pour rejoindre la fille au teint de pêche ?

(10.08.2015)

*

La cocotte-minute

Rencontré dans sa chambre d’hôtel
lors de son passage à Paris,
quelques jours avant Tien An-Men,
me parlant du Tibet et des étudiants,
Wang Meng m’avait dit :
« C’est comme une cocotte-minute.
Quand la cocotte est bien fermée
il n’y a pas de problème.
Quand elle est ouverte, non plus.
Le moment délicat,
c’est celui de l’ouverture ».


*

Les poissons et l’eau

Quand Mao Tsé-Toung diagnostiqua au sein du parti
la sclérose en plaque de la bureaucratie
il lança le mot d’ordre radical :
« Feu sur le quartier général »
et déclencha la révolution culturelle.

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(Mais quand les masses s’en mêlent
cela peut faire des dégâts…
Et le remède bientôt s’avéra
pire que le mal ;
lequel est toujours là…)

Forts de cette expérience
faut-il alors faire confiance
aux experts (rouges ou non)
plutôt qu’au peuple
quand on agit en son nom ?

« Les communistes, disait Mao Tsé-Toung,
doivent être dans le peuple
comme un poisson dans l’eau… »

Les poissons
s’ils ne s’appuient plus sur l’eau
risquent de finir sur le sable.

(11.08.2015)

*
Écrit dans le parc de Bei Hai,

ou lac du Nord, à Pékin
(huitain à la manière d’autrefois)

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Assis tous deux sur le rebord d’une pergola dans l’île des hortensias
Près du pont en marbre de l’éternelle tranquillité…
Le rideau en perles de jade du saule bouge lentement.
Une cigale s’époumone et puis s’arrête.
Chante-t-elle parce qu’elle est seule et qu’elle va mourir ?
Ou chante-t-elle pour dire sa joie d’être encore en vie
Comme nous qui nous aimons… Qui peut le dire ?
Il fait si chaud qu’une simple brise suffit à notre bonheur.

(12.08.15)

Le petit carnet du dragon rouge 1

Dimanche 23 août 2015

Le petit carnet au dragon rouge

nouveaux poèmes sur la Chine
(5 – 21 août 2015)

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Pékin

Avec ses six périphériques
qui lui font comme autant d’écharpes
scintillantes de voitures
Pékin est une belle aux longues manches
qui cache son minois,
une coquette
qui émergeant du smog
fait soudain son apparition.

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Brume de chaleur ?
Particules fines
du trafic automobile et des embouteillages ?
Fumée des usines du plateau du Hebei ?
La croissance économique
coûte cher à la Chine…

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Pour Marx, la ruche
n’était pas l’idéal
de la société future.
Sur les trottoirs de Pékin
vont et viennent
des êtres humains
qui ne sont pas des abeilles.
Certains passants parfois vous bousculent
Et tous vont leur chemin.

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Sur les trottoirs de Pékin passent aussi des belles
qui se protègent sous des ombrelles
d’un soleil qu’on ne voit pas.

(5.08.2015)


*

Le vieux robinet


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Dans la chambre 1020 de l’hôtel Jing Gu Qi Long de Pékin
(L’Hôtel de la vallée de l’or et des deux jades)
vit un vieux robinet.
Il trône au milieu de la vasque du lavabo
cernée d’une auréole noire,
vasque sur laquelle figure la mention
« American confort ».
Le vieux robinet est tavelé de taches blanches de calcaire
et perclus d’arthrite.
Témoignage sans doute de l’époque socialiste,
il doit dater de l’époque des « Cinq grandes modernisations »
mais lui-même n’a pas été modernisé.
Peut-être a-t-il bénéficié du respect, traditionnel dans ce pays, pour les anciens
qui pousse toujours des jeunes gens à donner le bras
à l’ami Jack, le vieux poète américain, quand il descend les escaliers…
Sans doute, un jour, le vieux robinet sera-t-il remplacé…
Mais pour l’instant, il fonctionne
et peut encore servir.

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(le 6.08.2015)

*

La pluie sur le sixième périphérique

Au début, dans un ciel de suie
la pluie d’été se met à tomber
fine sur le pare-brise
comme des grains de riz
au passage de la mariée.
Mais bientôt la grêle se mêle à la pluie
et l’orage déferle comme une invasion
de cavaliers mongols.

En arrivant près du pavillon
du poète Jidi Majia
la terre n’absorbe plus l’eau.
Un poète ancien aurait comparé la pluie
qui tombe oblique et incessante
comme sur une estampe d’Hiroshige
à une robe de soie noire qui nous recouvrirait…

En attendant, il faut sortir de la voiture…
Nous essayions de nous protéger sous des parapluies
mais ma chemise est trempée.

Nous reprendrons nos esprits
autour d’un verre de vin
(comme le faisaient les poètes anciens)
et en goûtant de gros raisins
violacés qui ont déjà le goût du vin.

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(le 6.08.2015)

*

Xining

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Sur la grande peinture murale
du salon de réception aux fauteuils carrés,
au pied d’une montagne chinoise traditionnelle
où s’accrochent des pins
et près d’un lac paisible dont on ne voit qu’une demie lune,
une ville moderne émerge de la brume
et dresse ses tours pastels de quarante étages
que les nuages prennent en écharpe.
Ainsi, doucement, sur la peinture
comme dans la réalité,
le futur
rejoint le passé.

(le 7.08.15)

*

Le papier toilette

Assis sur la cuvette des W.C, lieu communément propice à la méditation, je repense à ce que disait Hung Hung, lors du forum inaugural du festival de Qinghai, racontant que des jeunes poètes de Taïwan, peut-être par provocation, peut-être par autodérision, avaient baptisé leur revue «  Papier toilette ».

Le poème, dans la société capitaliste
post-moderne et numérique,
n’est-il qu’un torche-cul ?

Poète, ne t’offusques pas…
Oui, le poème peut être comparé au papier-cul.
Il en a parfois la douceur, la résistance et l’utilité…

Nettoyer notre merde, celle de la société
est une tâche à laquelle le poète
ne peut se soustraire.

Tout juste, peut-il espérer,
qu’à la différence du papier-toilette,
son poème (s’il est bon)
soit utilisable plus d’une fois.

(le 7.08.15)
*

La nuit tibétaine

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Nous couchons côte à côte dans des lits séparés
Comme un vieux couple que la vie aurait lassé
Et dormons dans des draps qui ne sont pas les nôtres ;
Chambre provisoire où en passeront d’autres…

Nuit tibétaine, nuit de froid sous l’étoile polaire
Thé salé et poèmes autour du feu de camp
Et même le manteau de l’armée populaire
sont, à nous réchauffer, à peu près impuissants.
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Le récital dure et dure la torture
Puis, nos lits sont froids, malgré le double vitrage…
Allons, rejoignons-nous ! Combattons la froidure !
Car l’amour, ma chérie, est toujours de notre âge !…

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(le 8.08.2015)

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