Le petit carnet au dragon rouge
nouveaux poèmes sur la Chine
(5 – 21 août 2015)
Pékin
Avec ses six périphériques
qui lui font comme autant d’écharpes
scintillantes de voitures
Pékin est une belle aux longues manches
qui cache son minois,
une coquette
qui émergeant du smog
fait soudain son apparition.
Brume de chaleur ?
Particules fines
du trafic automobile et des embouteillages ?
Fumée des usines du plateau du Hebei ?
La croissance économique
coûte cher à la Chine…
Pour Marx, la ruche
n’était pas l’idéal
de la société future.
Sur les trottoirs de Pékin
vont et viennent
des êtres humains
qui ne sont pas des abeilles.
Certains passants parfois vous bousculent
Et tous vont leur chemin.
Sur les trottoirs de Pékin passent aussi des belles
qui se protègent sous des ombrelles
d’un soleil qu’on ne voit pas.
(5.08.2015)
*
Le vieux robinet
Dans la chambre 1020 de l’hôtel Jing Gu Qi Long de Pékin
(L’Hôtel de la vallée de l’or et des deux jades)
vit un vieux robinet.
Il trône au milieu de la vasque du lavabo
cernée d’une auréole noire,
vasque sur laquelle figure la mention
« American confort ».
Le vieux robinet est tavelé de taches blanches de calcaire
et perclus d’arthrite.
Témoignage sans doute de l’époque socialiste,
il doit dater de l’époque des « Cinq grandes modernisations »
mais lui-même n’a pas été modernisé.
Peut-être a-t-il bénéficié du respect, traditionnel dans ce pays, pour les anciens
qui pousse toujours des jeunes gens à donner le bras
à l’ami Jack, le vieux poète américain, quand il descend les escaliers…
Sans doute, un jour, le vieux robinet sera-t-il remplacé…
Mais pour l’instant, il fonctionne
et peut encore servir.
(le 6.08.2015)
*
La pluie sur le sixième périphérique
Au début, dans un ciel de suie
la pluie d’été se met à tomber
fine sur le pare-brise
comme des grains de riz
au passage de la mariée.
Mais bientôt la grêle se mêle à la pluie
et l’orage déferle comme une invasion
de cavaliers mongols.
En arrivant près du pavillon
du poète Jidi Majia
la terre n’absorbe plus l’eau.
Un poète ancien aurait comparé la pluie
qui tombe oblique et incessante
comme sur une estampe d’Hiroshige
à une robe de soie noire qui nous recouvrirait…
En attendant, il faut sortir de la voiture…
Nous essayions de nous protéger sous des parapluies
mais ma chemise est trempée.
Nous reprendrons nos esprits
autour d’un verre de vin
(comme le faisaient les poètes anciens)
et en goûtant de gros raisins
violacés qui ont déjà le goût du vin.
(le 6.08.2015)
*
Xining
Sur la grande peinture murale
du salon de réception aux fauteuils carrés,
au pied d’une montagne chinoise traditionnelle
où s’accrochent des pins
et près d’un lac paisible dont on ne voit qu’une demie lune,
une ville moderne émerge de la brume
et dresse ses tours pastels de quarante étages
que les nuages prennent en écharpe.
Ainsi, doucement, sur la peinture
comme dans la réalité,
le futur
rejoint le passé.
(le 7.08.15)
*
Le papier toilette
Assis sur la cuvette des W.C, lieu communément propice à la méditation, je repense à ce que disait Hung Hung, lors du forum inaugural du festival de Qinghai, racontant que des jeunes poètes de Taïwan, peut-être par provocation, peut-être par autodérision, avaient baptisé leur revue « Papier toilette ».
Le poème, dans la société capitaliste
post-moderne et numérique,
n’est-il qu’un torche-cul ?
Poète, ne t’offusques pas…
Oui, le poème peut être comparé au papier-cul.
Il en a parfois la douceur, la résistance et l’utilité…
Nettoyer notre merde, celle de la société
est une tâche à laquelle le poète
ne peut se soustraire.
Tout juste, peut-il espérer,
qu’à la différence du papier-toilette,
son poème (s’il est bon)
soit utilisable plus d’une fois.
(le 7.08.15)
*
Nous couchons côte à côte dans des lits séparés
Comme un vieux couple que la vie aurait lassé
Et dormons dans des draps qui ne sont pas les nôtres ;
Chambre provisoire où en passeront d’autres…
Nuit tibétaine, nuit de froid sous l’étoile polaire
Thé salé et poèmes autour du feu de camp
Et même le manteau de l’armée populaire
sont, à nous réchauffer, à peu près impuissants.
Le récital dure et dure la torture
Puis, nos lits sont froids, malgré le double vitrage…
Allons, rejoignons-nous ! Combattons la froidure !
Car l’amour, ma chérie, est toujours de notre âge !…
(le 8.08.2015)
*
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