Le carnet du petit dragon rouge 3

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Chengdu, la Boutique aux fleurs
pour Aye et Amien

Repas le soir à la Boutique aux fleurs
avec quatre ou cinq amis poètes.
Le restaurant s’appelle « Il y a un nuage »
Mais entre nous, pas de nuage…
Seulement les mots de la poésie
et les verres de l’amitié
qui tintent, plus purs que des cloches.

(13.08.15)

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La chaumière de Tou Fou

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La misère toute la vie t’a poursuivi
jusque sur le bateau errant où la mort t’a rattrapé.
(Nous pouvons comprendre ce que tu ressentais,
nous qui avons des problèmes avec les banquiers et les huissiers).
L’orage d’automne arrachait la paille de ton toit de chaume
et il arriva qu’il pleuve sur la couche de ton fils.
(Chez nous aussi, dans notre maison aux hirondelles,
le toit se fait vieux et laisse parfois passer la pluie).
Tu voulais servir le bien public mais nul ne se souciait de ton avis,
et nul ne te rappelait auprès de l’empereur, à la capitale.
(Ainsi en va-t-il toujours de nous, mon ami).
Il t’arrivait de douter du sort que la postérité réserverait à tes vers
mais tu t’attachais à ce qu’ils soient aussi beaux et vrais que possible.
(Ecrire juste est ce qui nous occupe aussi).
Tu rêvais d’une grande maison capable d’abriter
tous les lettrés pauvres du monde afin qu’ils puissent y vivre en paix…
(Nous partageons ce rêve, et pas seulement pour les lettrés,
Nous avons même essayé de le réaliser… avec plus ou moins de bonheur…
Certains en déduisent qu’il vaut mieux arrêter de rêver,
et que la poésie ne sert à rien…
Nous, nous croyons toujours à la vertu de l’action publique
pour servir le peuple
et à l’utilité de la poésie ;
car peut-être, en fait, n’avions nous pas assez rêvé…)

(le 15.08.2015)

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Les cigales de Chengdu
(chanson presqu’enfantine)

Gamin

Cigale, cigale
Petit animal
Tu fais dans la ville
Un raffut terrible

Tu chantes, à qui mieux mieux,
Avec ton ventre creux
Pareil à la pipa
violon, crincrin chinois

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Cigale, cigale
C’est le chant des mâles
Qui sans cesse appellent
En chœur les femelles

Ta vie, ta vie est brève
A l’automne elle s’achève
Le temps de copuler
Voici fini l’été

Cigale, cigale,
Prends garde aux cymbales
La mante te happe
Les enfants t’attrapent

Mais tes œufs sont cachés
Tu vas ressusciter
Dans près de dix-sept ans
crisseront tes enfants

Cigale, cigale
Et ton récital
A vingt-cinq degrés
Va recommencer.

(le 16.08.2015)

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Pensées potagères sur la poésie,
en se promenant dans les Hutongs
à Ming Di

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Visiblement le monde ce matin est toujours disposé à me surprendre.
J’ai croisé, dans le Hutong Beixin,
un enfant à la culotte fendue,
trois vieux Chinois qui jouaient aux échecs,
une femme faisant la cuisine sur le pas de sa porte
et tous les dix mètres, des habitants en tenue orange
chargés de l’entretien du quartier.
La Chine est une planète étrangère
où tu te sens familier.

Il a bien raison, Yang Wanli, le poète des Song du Sud
«  Fermer ses portes pour trouver de beaux vers, tel n’est pas l’art du poème.
C’est des voyages seuls que viennent d’eux-mêmes les poèmes ».
Merci au monde qui laisse tous les jours des poèmes sur ma route…

Me promenant dans le Hutong Beixin
j’ai vu une plante qui grimpait contre le mur d’une maison grise
enchevêtrée à des fleurs pareilles à des pois de senteurs violets.
Elle portait des fruits étranges, ronds, noirs et luisants
semblables à des gourdes d’onyx polies.
Comme je m’étonnais de ce fruit exotique
tu m’as dit : «  Ce sont des aubergines… »
(Décidément, je serai toujours aussi ignorant…
ce qui m’aide sans doute à m’étonner du monde…)

(le 20/08/2015)

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Fièvre à Pékin

Mindy

Ming Di ce matin nous a conduits
à l’Hôpital militaire de Pékin.
(Depuis deux jours tu as la fièvre).
Drapeau rouge et femmes médecins
attentionnées et pacifiques
qui t’interrogent sur tes antécédents.
(En Chine, la médecine
s’occupe de prévenir
plutôt que de guérir)…

Rue des Fantômes
Les enseignes lumineuses ont remplacé les lanternes rouges.
Rue des fantômes, pas de bordels, des restaurants célèbres …
Un jeune Chinois pressé passe devant  nous
et mange avec ses baguettes tout en marchant
tandis qu’un vieux assis sur le muret de béton
près des rosiers  du centre social tient dans ses doigts un fume-cigare…

Dans mon demi-sommeil (peut-être ai-je aussi la fièvre)
Rue des fantômes je vois
le fantôme d’un lama
assis sur un vélo électrique
tournant le dos au guidon
qui psalmodie des mantras
l’oreille collée à son Iphone
et vend à tous vents
(commerce divin)
des baguettes à divination
pendant que le vélo va de l’avant…

Dans mon demi-sommeil, (peut-être ai-je déjà la fièvre)
je vois aussi des milliers de garde-rouges
habillés en employés de banque
qui montent à l’assaut des immeubles
des chrysanthèmes pleins les bras.

(le 20/08/2015)

Lotus

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En quittant des amis
à  Shu Cai

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A peine levés nos verres pour fêter notre rencontre
Nous devons les lever à nouveau pour prendre congé.
Notre vie est faite de rencontres et de séparations…
Pour le voyageur de passage sur terre
Les montagnes se défont comme des nuages
Les mois et les jours comme les eaux du fleuve
Passent sans retour et les feuilles
Tombées de l’arbre n’y retournent jamais…
Combien de lieux que nous avons aimés,
Combien de visages ne reverrons-nous plus ?
Tous les jours nous quittons les habits
de celui que nous étions hier pour ne plus les remettre.
Restent les souvenirs… mais les souvenirs
eux aussi finissent par nous quitter.
Heureusement, tant que nous sommes en vie
nous pouvons penser nous retrouver.
Il n’y a que les montagnes, dit-on, qui ne se rencontrent jamais.
Alors, amis, levons nos verres !

(le 21/08/2015)

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Une réponse à “Le carnet du petit dragon rouge 3”

  1. Marie-Laure Coulmin Koutsaftis dit :

    Merci Francis, superbes poèmes,
    la Chine te va bien.

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