Comment je me suis mis à croire aux fantômes
D’ordinaire, je peux l’affirmer,
je suis un mauvais client
pour les marchands de superstitions,
les faiseurs d’horoscopes,
les V.R.P. de l’au-delà,
les interprètes assermentés
spécialisés dans le dialogue avec les morts.
A tous ceux-là,
et depuis toujours,
je suis réfractaire.
Je n’entretiens aucun rapport avec les esprits
les zombies,
les morts-vivants,
les goules,
les revenants
et je ne compte parmi mes relations
ni Dieu, ni extraterrestre.
Pas même un vieux lord écossais âgé de trois cent ans
amateur de whisky qui ne porterait sous son kilt
qu’un chapelet d’os tintinnabulants.
Pourtant, depuis quelques temps,
il me faut l’avouer,
j’en suis venu à repérer la présence,
évidemment invisible mais certaine,
tout autour de nous de fantômes.
Et, sans être devenu expert,
il me semble que leur apparition
a tendance
à se multiplier.
Des fantômes, il y en a de toutes sortes :
travailleurs clandestins,
chômeurs en fin de droits,
ouvriers membres d’une classe
elle-même devenue fantomatique,
travailleurs intellectuels qui font leur métier
loin des caméras,
philosophes et savants,
penseurs, artistes et militants
qui ne mangent pas
dans l’écuelle des médias,
écrivains qui n’appartiennent pas
à la bourgeoisie
et donc n’existent pas…
(Tous sont connus
mais rarement ils sont reconnus).
On peut les apprécier ;
pas leur donner de prix.
On peut les croiser dans la rue
et même les saluer
mais chacun sait
qu’ils appartiennent à la race maudite des Transparents.
Si j’avais encore une hésitation
quant à l’existence
du peuple immense des spectres
qui hantent notre monde,
aujourd’hui, nul doute ne me serait permis :
hier, marchant avenue Montaigne, sur le trottoir
j’ai vu dans la devanture d’une boutique de luxe
un grand miroir ;
j’y ai jeté un regard
et n’y ai pas aperçu mon reflet.
Depuis je sais
que les fantômes existent.
J’en fais partie
et ils sont
le plus grand nombre.
(Ce qui,
somme toute,
m’a plutôt rassuré).