La Seine fait des siennes
Ce matin,
la Seine est sortie de son lit
Elle a inondé les berges
La voie rapide est submergée
Seul dépasse de l’eau
verte et boueuse
un panneau d’interdiction de s’arrêter
et sur le pont
le pont sous lequel les bateaux mouches
ne peuvent plus passer
les touristes s’arrêtent
pour le photographier…
Moi aussi, ce matin
je suis sorti de mon lit,
et personne n’y a fait allusion
ni à la radio ni à la télévision…
Bah…
Ne soyons pas jaloux ;
sans doute est-ce normal.
Quand un fleuve sort de son lit
l’événement n’est pas banal.
Mais quand tous les matins
nous faisons de même
pour nous rendre
(et parfois même nous livrer,
pieds et poings liés)
au bureau ou à l’atelier,
ça ne mérite pas
une ligne dans le journal.
Pour que l’ordre soit respecté
chacun doit rester où il est :
les fleuves dans leur lit
tranquilles, à se la couler douce,
jusqu’à la mer…
Et les prolos,
les intellos
(qui parfois sont les mêmes)
au boulot !
(ou à l’Agence pour l’Emploi).
Il est vrai qu’un fleuve
quand il sort de son lit
peut faire pas mal de dégâts…
Alors qu’un travailleur
qui fait ses huit heures
(quelques fois moins
quelques fois plus)
sans se faire remarquer
au noir ou déclaré –
se contente d’être utile
comme un bon outil
sage et discipliné
qui fait tourner la machinerie
de la société.
Il fait son devoir
comme le chômeur
qui se lève aussi
pour lire les petites annonces,
et qui chaque soir
se dit, désespéré :
« Faut pas que je renonce… »
L’événement,
le fait surprenant,
l’inattendu, le désarmant,
ce serait au contraire :
qu’ouvriers et ouvrières
employées et employés
étudiants et professeurs,
éboueurs et savants,
ingénieurs et infirmières
chauffeurs de bus ou du métro
programmeurs, chimistes et cheminots,
arpètes, chauffagistes
stylistes et poètes
esclaves et chômeurs,
un beau matin
décident en chœur
tous ensemble
de rester dans leur lit…
Voilà qui ferait du joli !
le 4/06/2016