
Du 24 juin au 3 juillet, nous étions à Caracas pour participer au 13ème Festival mondial de poésie du Venezuela, en compagnie de 138 poètes (dont 38 invités étrangers).
Un grand moment qui nous a permis de rencontrer un public nombreux et passionné et de faire la découverte d’un peuple en révolution. Le Venezuela est confronté à de sérieux problèmes (liés notamment à la chute des prix du pétrole) mais la situation sur place ne ressemble pas à l’image qui en est souvent donnée dans les médias. Nous en rapportons un journal de voyage mêlant poème et photos.
Salut Venezuela
1.
Le jour se lève sur Caracas…
De la terrasse de l’hôtel
Nous voyons les tours
de la ville moderne
Le béton tropical
Et le mont Avila
Avec son écharpe
Matinale de brume
Les persiennes
Vertes des palmiers
Qui découpent en lamelles
La lumière du jour
Un soleil zébré
Des feuilles du potos
Qui rampent sur le sol
Et les palmes indolentes
Qui dessinent de longs cils
Féminins à la ville
Et lui font une beauté.

2.
Venez
Venez au
Venez au Venezuela
Dont le nom murmure
Comme une fontaine
Dans la douceur du soir
Et l’ombre des ramures
Qu’une brise caresse
D’un baiser de rosée
Venezuela
Zézaiement d’un oiseau
Un colibri soudain
Bat des ailes
Et s’en va
Au milieu des fleurs
Venezuela
Souvenir de Venise
Un nom qui zinzinule
Insouciance des bulles
Dans un verre de soda
Dehors il se fait tard
Le soir qui descend
Lève ses voilures
Et sur le boulevard
Glissent les voitures
Passent les piétons
Dans la Grande Savane
A l’ombre des ramures
Dort l’anaconda
Sous le couvert
Inextricable et vert
Se cache un Jaguar
Pendant que loin de là
Paissent des silures
Dans la boue épaisse
D’un bain d’hydrocarbures.

3.
C’est ici
Que venant de Valmy
Miranda planta
Le premier l’idée
de la République

C’est ici qu’avec Bolivar
Est née la Grande Colombie
Le rêve de l’union
Des peuples d’Amérique
Et c’est ici
Qu’a ressuscité
La Révolution.

Quand avorta
Son coup d’État,
Annonçant la fin des combats
À la télévision
Chavez déclara:
« Por ahora »
Car il savait que tôt ou tard
Sonnerait l’heure
De la révolution.

4.
Ici
Sur les murs des masures
Des écoles
Des bibliothèques
Des ministères
Des garages, des entrepôts
Des théâtres, des magasins
Caracole le cheval de Bolivar

Les vieilles maisons de toutes les couleurs
Les ponts, les voies rapides
Les centres de santé
Les jardins publics
Les barres d’immeubles
Des misiones vivienda
Et même les toits
De certaines banques
Portent le rouge béret
Du commandant Chavez.
Ce béret qui a donné le signal
De la rébellion
Est le fanion
De la révolution.

Ce béret insolent
Comme un coquelicot
Qui se moque des saisons
Ce béret qui se redresse
Comme la crête d’un coq
orgueilleux et fanfaron
Est à certains insupportable
Car il chante à gorge déployée
Et sur tous les tons
Que voici venue l’heure
Du peuple travailleur
L’heure de la rébellion
L’heure du réveil du soleil populaire
Levé avant l’aube
Il chante, les ergots
Plantés dans le fumier
Confortable, humide et chaud
Des capitalistes
Et nul ne réussit
À le faire taire
Vous pouvez l’égorger
Il risque encore
Et encore de chanter.
Et moi qui, sur la tête,
Depuis longtemps
Arbore aussi
Une rouge casquette

Je ne compte pas
De sitôt l’abandonner.
5.

Déjà
Sur le campus de l’université
Entre béton et palmiers
En compagnie de Léger
Arp, Soto,
Villanueva,
(Là, sur ce campus
Où l’art abstrait atteint
Sa dimension pratique)
Le rêve de la Cité future
Avait ouvert les ailes,
À l’espace et la lumière
d’un nouvel horizon.

Et nous n’en avons pas fini
Avec l’horizon…
« L’horizon, ligne imaginaire »
A écrit de nos jours un artiste suédois
Dans une salle d’exposition
Du Musée d’art contemporain.

« L’horizon a la vie brève,
Ajoute un poète sceptique*.
La nuit,
Il disparaît. »
Il a raison.
Pour beaucoup
(poètes ou non),
Qui vivent dans la nuit,
Il n’y a pas d’horizon.
(Enfermés
dans un centre commercial,
pas non plus l’horizon).
Pour découvrir l’horizon
Il faut simplement
Se lever avec le jour
Et se mettre à marcher.
Bien sûr
Jamais nous ne l’atteignons
Mais c’est lui
Qui nous fait avancer.
6.

Le téléphérique qui monte haut
Par dessus des tours
Et laisse
Tout en bas, dans la plaine
La ville moderne
Est une cigogne socialiste
qui emporte au milieu des airs
Dans un baluchon qu’elle tient fermement dans son bec
Les habitants des collines déshéritées
De San Augustin
Où arrivent à grand peine
L’eau
Et l’électricité.

Au sommet
Les enfants
Et les adolescents
Qui ont déserté (pour l’instant
Du moins)
Les gangs
jouent pour nous du tambour
Et dansent comme des papillons.

(La beauté
N’est pas la propriété
Privée des riches.
Mais la beauté
Est la richesse des pauvres.)
7.
Rio Cristal
À une heure de route de Caracas.
Ici pas de rivière
Et pas de cristal.

Des montagnes vertes
Des routes défoncées
Des chemins bourbeux
Le bric-à-brac
D’un vieil atelier de mécanique
Et des baraques
Aux murs de briques
Inachevées
Amoncellement
De toits rouillés
tôle ondulée
rouge sang et gris.

Le village pauvre
S’accroche à la montagne
Comme un enfant
maigre et somnolent
Aux flancs de sa mère.
Le seul or
Qui pousse par ici
Ce sont les petits soleils mats des mangues
Que gaulent des gamins
Avec leur perche de bambou.

Et au milieu de ce fouillis
Humain et végétal
Une place nette
A été faite
Au soleil
Pour les bâtiments clairs
De la base sociale
Le bureau du médecin
Les installations sportives
Le local dédié aux activités
Artistiques, éducatives, culturelles
Et la lutte contre
L’analphabétisme.
Ici, la poésie, c’est la vie…
Mais la vie augmentée
De son rêve de beauté.

Laissons pour aujourd’hui
Et pour demain
La parole à l’enfant de dix ans
L’enfant rêveur
Aux cheveux longs,
Et aux traits fins,
Qui devant ses camarades
Et les invités assis,
lit le poème qu’il a écrit
Et qui dit :

« Dans la montagne
Il y a un chemin
Et moi je suis le chemin
Qui grimpe sur la montagne »…
Caracas, – 03/07/2016
* Henrique Mayo

Les photos sont de Patricia.