
Retour de Palestine
(20 au 28 août 2016)
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Nuit blanche
C’est un long voyage pour parvenir ici,
jusqu’au pays qui existe et qui n’existe pas
un voyage qui n’en finit pas.
Il nous a fallu traverser la cloche muette de la nuit.
(car la nuit est une robe de femme en forme de cloche
Qui se pose sur la terre et sur la mer.
On le voit distinctement sur l’écran dans l’avion.
Une cloche d’ombre pareille à celle que nous jetions sur la grande cage arabe de notre salon pour que les oiseaux se taisent.
Dans l’avion, des passagers se posent un masque en forme de loup sur les yeux pour dormir
et certains sans doute le gardent pour marcher dans la rue.)

Pour parvenir jusqu’ici, ce fut un long voyage.
Il a fallu chevaucher une nuit blanche et regarder pâlir le jour sur Amman
où la lune s’attarde dans le ciel sans un regard pour nous.
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La frontière
Ils t’ont retenue sur le seuil de la Mer morte,
celle qui se dérobe devant les pas du voyageur,
et ils nous ont séparés.
Ils t’ont retenue deux heures au poste frontière
pour des raisons qui ne voulaient pas dire leurs raisons,
des raisons sans raison.
– Pourquoi me retenez-vous ? Leur as-tu demandé.Parce que vous êtes déjà venue.
– Non, je ne suis jamais venue.
– Si vous n’êtes jamais venue… ça va être plus long…

Et j’ai mieux compris les questions qui répondent aux questions et qui n’y répondent pas,
dans les poèmes de Mahmoud Darwish,
les questions du pays qui existe et qui n’existe pas.
Ils t’ont retenue deux heures
et moi qui ne suis pas un frêle bouton de rose éclos avec la rosée du matin,
séparé de toi et ne sachant rien, je me sentais impuissant comme la fleur tremblant sur sa branche.
(Au poste frontière de jeunes Israéliens armés de leurs mitraillettes et de leurs tampons règnent sur les bureaux.
Pendant que les Arabes soulèvent les valises.
Et c’est une image suffisante du pays
qui n’existe pas et qui existe).

Ils t’ont retenue parce que des gamins mal élevés
se sont postés à cheval sur une ligne tracée au sol
et ont décrété que cette ligne était à eux.
Mais à peine la ligne franchie tu entres chez leurs voisins.
Un jour leurs parents, où les parents de leurs parents
sont entrés dans la maison de ce voisin
Ils ont posé leurs valises sur le sol
et ils ont dit :
Notre famille habitait ici il y a trois mille ans…
Vous devez vous en aller.

Alors ils ont pris la maison avec la terre
Et ils ont pris l’eau avec le ciel
Et la frontière, la frontière qui est
Le seuil de la porte où accueillir le monde
La fenêtre par où s’envoler.
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Jéricho
Dans la ville de la lune
poussent des palmiers, des citronniers et des fontaines.
Sept fois ils firent le tour de la cité en portant l’Arche d’Alliance.
Et les prêtres soufflèrent sept fois dans leur trompette…
Alors s’effondrèrent les murailles de la ville qui n’avait pas de murailles.
Et tous les habitants, hommes, femmes, enfants et animaux domestiques
Furent massacrés.
Seule fut épargnée la maison de Raha,
la prostituée qui avait hébergé et aidé les espions d’Israël.
Ainsi, Jéricho fut le témoin
d’un des premiers crimes contre l’humanité.

Plus tard, sur la route de Jéricho, rapporte Jésus, un Samaritain,
Ennemi juré des Juifs
Porta secours à un voyageur juif laissé pour mort par des brigands.
Et Jésus le donne en exemple de ce qu’est l’amour du prochain.
Ainsi Jéricho fut le témoin d’un des premiers actes d’humanité.
Aujourd’hui, qui serait le Juif et qui serait le Samaritain ?
A Jéricho, dans la ville de la lune,
Poussent des palmiers, des citronniers et des fontaines.

Le bureau de Yasser Arafat est à près de 300 mètres
sous le niveau de la mer.
Et pourtant, c’est ici que la Palestine fait surface.
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Un check point
Lors de ma venue en 2003, j’avais attendu sous le soleil, en compagnie de dizaines d’autres voitures, un temps interminable, au check point, à l’entrée de Ramallah. La file de voitures qui descendaient de la colline faisait comme un long serpent de carrosseries chauffées à blanc. Et nous étions dans le ventre du serpent, nous dissolvant lentement dans la chaleur et sous l’effet des sucs gastriques pendant sa digestion…
Arrivés au check point, deux jeunes soldats se tenaient .dans la guérite, blonds, nez retroussés et petites fossettes. Probablement des Russes. A l’entrée de leur cahute, ils avaient apposé une pancarte peinte à la main, avec une tête de mort et, en allemand, « Achtung ! »

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Ramallah
Ramallah est un puits de lumière qui monte vers le ciel
Un puits de lumière où poussent des pierres et fleurissent des colonnes, des arcades, des balcons,
Le vestibule du soleil
La salle d’attente de la paix
Le futur s’édifie au milieu des terrains vagues où errent des oliviers poussiéreux
Des oliviers courageux qui ont depuis longtemps entrepris leur pèlerinage
Au pays où ils sont nés
Le pays qui n’existe pas et qui pourtant existe,
Modestes oliviers qui ne font pas d’ombre au soleil,
Libres oliviers qui semblent abandonnés
Mais n’abandonnent pas…
Oliviers résistants.

Les martyrs sont entrés au musée.
D’autres sont en prison.
(Il y a dans les prisons d’Israël
Plus de six mille Palestiniens).
Les combattants, ont-ils le droit de se reposer ?
Demande-le à l’ouvrier
Qui pour un salaire de misère
Sous son léger abri de tôle
À longueur de journées martèle
Le clair visage des pierres de Palestine
Pour les embellir.

Ailleurs, sous le même ciel,
Des patrouilles de soldats,
Arrêtent des enfants dans les rues
Et les arrachent à leurs parents.
D’autres,
Gratuitement,
S’en prennent à des jeunes gens
Les collent contre un mur
Leur donnent des coups de poings dans la figure,
Des coups de genou répétés dans le ventre.
Ils font ça méthodiquement, tranquillement,
Certains qu’ils ne répliqueront pas.
Et quand l’un des jeunes est par terre, plié en deux,
Un soldat lourdement armé lui saute dessus
Et le frappe à coups de talon dans le dos
Pour le casser.

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Le pays en prison
Ce pays est barbelé de cicatrices
Amputé, écartelé, mutilé

Un grand mur de béton armé
comme un couteau géant le coupe en deux
par le milieu
Des camps militaires le stérilisent
Ce désert qui devait fleurir
Fleurit de casses autos
Dépotoir à ciel ouvert
« Venez passer vos vacances en Israël ! »
Dans les parages de la Mer morte
C’est la terre elle-même qui est en train de mourir.

Au sommet des collines
Se sont posées des colonies.
Elles sont apparues dans la nuit.
ce sont des installations extra-terrestres
qui dominent le paysage
et surveillent le pays.
Elles ont planté dans la vallée un drain
pour pomper l’eau
et se faire une transfusion.

(Hier, il y a eu cinquante attaques contre Gaza.
Et personne n’a bougé).
Les Palestiniens sont coincés
Entre le mur et la mer,
L’impuissance de la révolte
Et celle de la diplomatie,
Le renoncement ou la mort.

Vont-ils devoir à nouveau partir
Emportant avec eux leur terre dans une valise ?
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Dans le car
Dans le car, tu poses ta tête sur mon épaule
Et pendant que tu t’endors,
Ma colombe,
Je mets ma main sur ton front.
Pas pour t’empêcher de t’envoler
Mais à cause des cahots de la route.
« On pardonne parfois au criminel,
Disait Oscar Wilde,
jamais au rêveur. »
Dans l’univers de Disneyland
Les pays qui rendent hommage à leurs poètes
Et qui croient en leurs rêves,
Sont des pays perdus.

(Les colombes, ma colombe,
Ne sont pas aussi douces qu’on le croit.
Les colombes savent se battre et peuvent être cruelles)
Ici, ma colombe.
tous devraient pouvoir vivre
en paix.
Mais pour que la paix soit possible
Il faudra rendre de la Terre,
de l’eau
et de l’air.
8. l’herbe de Marie
Dans les collines
Il est interdit de cueillir la sauge
(L’herbe de Marie
Qui a toutes les vertus
Ou presque
Et que les Palestiniens
Mettent dans leur thé)
car ses fleurs ont une forme de chandelier.
Ce pays paraît-il
Est le plus près du ciel.

Le Prophète a atterri ici
à cheval sur un rocher
que l’on peut visiter.
Le Mur des lamentations
est toujours en chantier.
Et au Saint-Sépulcre, il faut faire la queue
comme au check point.
Il n’est pas sûr, s’il revenait ici,
Qu’on laisse entrer le Cananéen.

9. La soie des hommes
Les habitants de ce pays
qui vivent au milieu des barbelés
ont souvent un cœur de soie,
comme une porte ouverte.

(Alors que chez nous
parmi ceux qui vivent en liberté
beaucoup ont le cœur barbelé
comme une porte fermée).
10. Bethléem
Au-dessus des collines désertiques où s’ébattent les chèvres,
dans le ciel de Bethléem,
une étoile filante,
paraît-il,
s’est arrêtée.

C’est l’étoile de la paix,
L’étoile de l’espérance humaine,
L’étoile de la fraternité.
Il ne faut pas
la laisser tomber
chuter dans l’abîme
et disparaître.
