Du 8 au 11 octobre 2016, j’étais à Taïwan pour participer au festival de poésie de Taipei, avec les poètes chinois Hong Hong,
Shu Cai, le Coréen Ko Un, le Japonais Kiwao Nomura, l’Espagnole Tina Escaja…

Taipei
arrivée de nuit
(après dix sept heures de vol et une escale à Dubaï)
En arrivant à Taipei, nous frôlons sur l’autoroute
l’épaule noire des montagnes cachées dans la nuit.
Les reflets des lumières de la ville et les feux des voitures
sur les vitres du taxi
accrochent au ciel couvert des étoiles
blanches, invisibles ce soir.
Et même quelques étoiles rouges…
(Peut-être, les dernières qui nous restent).
*
Vision nocturne
Dans la nuit, la brume enveloppe
la tour de l’hôtel Taisugar
(du nom de la compagnie qui le possède)
dans une sorte de lait de soja.
L’encre de la nuit se dilue dans l’eau
comme dans les anciennes peintures sur soie.
La ville, montée sur pneumatiques,
n’arrête pas.
Elle file et s’arrête au feu rouge
en chuintant
et ses soupirs se mêlent
à la respiration intermittente, aux souffles et aux apnées
de la climatisation.
Les voitures dans la brume sont comme des lucioles
aveugles qui avancent à tâtons
sans savoir où elles vont.
« For your safety
please dont open the window »
Sous nos pieds, le vide.
Le monde est beau
et la vie est fragile.
« Tai feng »,
Un typhon tourne sur lui- même,
comme un dragon, dans la mer de Chine
et nous envoie sa pluie.
Hier a été ressenti dans la ville
encore un léger
tremblement de terre.
*

Choses vues
Dans le métro de Taipei
une jeune femme me cède la place.
Et cette attention délicate
me rappelle une réalité cruelle
que sans elle
j’aurais pu oublier.
*
Dans la rue,
passant près de la femme à croupetons
qui écaille du poisson,
un homme qui me croise
sourit à l’étranger.
(Pays éduqué).
*
A la table du petit déjeuner
trois jeunes Taïwanais,
cheveux courts sur la nuque et bien portants,
grosses lunettes,
mangent avec des fourchettes.
(Moi, j’utilise bien des baguettes…)

*
Les gardiens du dieu du vent
s’apprêtent pour le défilé
avec leurs tambours et leurs masques géants.
Ils portent des Kways rouges
pour se prémunir de la pluie
et du vent.
*
Après avoir rendu visite au temple Longshan
où je n’ai pas rencontré de sage ermite s’adonnant à la poésie
mais, incrédule, des croyants
Il y a foule au temple Longshan.
Partout sont assis des croyants
qui relisent des sûtras.
Quelques uns brûlent des baguettes d’encens.
D’autres font la queue
pour qu’on leur dise l’avenir.
Ici on prie
pour réussir aux examens,
gagner de l’argent
ou trouver un bon mari.
(Chacun sa religion.
Moi, j’essaye de croire
en l’humanité.
Et parfois j’en suis à me demander
si ma croyance
est bien raisonnée).

*
Au parc 2.2.8. où se dresse le mémorial en l’honneur
des Taïwanais tués par le Kuomintang
après le débarquement de ses troupes
venues se réfugier sur l’île
Dans ce lieu de paix
de curieux écureuils
mangent à l’œil
dans la main des humains,
guère curieux
de leur histoire et de leur destin.

*
Orient et Occident
Souvent les poètes d’Occident
épris de romantisme
se sont tournés vers l’Orient
et ont cherché dans la contemplation
du monde et de la nature
le secret de l’éternité.
Pendant que l’Orient
cherchait en Occident
le secret de la modernité.
Aujourd’hui, on retrouve partout,
les mêmes marques,
les mêmes gratte-ciel,
les mêmes smartphones.
Mais maintenant, plus d’un Asiatique,
tournant ses yeux vers l’ouest,
rêve d’un Paris
romantique où règnerait l’amour.
*
A la poétesse Li Ye (- ,784), nonne taoïste de l’époque Tang
qui écrivit le poème des huit extrêmes
L’Est et l’Ouest sont éloignés
mais ils se touchent.
L’Est et l’ouest sont opposés
mais ils sont inséparables
et l’un et l’autre mutuellement se changent;
ils déteignent l’un sur l’autre,
comme font mari et femme
qui depuis longtemps
forment un seul couple,
*
Mini aventure dans la jungle
Dans un couloir de l’hôtel
un petit avion de plastique blanc
s’est posé parmi les feuilles
d’une plante verte.
L’équipage a dû descendre
avec une échelle de corde,
disparaître parmi les hautes herbes
pour partir à la recherche de secours
en exploration
dans l’univers du pot.

*
Bonsaï
forêt vierge.
L’attention au détail,
au monde le plus petit,
suffit pour s’envoler.
*
Après avoir vu le lac Da hu (le »grand lac »)
qui n’est pas si grand,
avec une pensée pour la nature et pour nous.
à mademoiselle Wang
Dans un bol, un lac.
Sur le lac, une île.
Sur l’île, un pont.
Près du pont, un pin.
Sur le pin, un oiseau
dont j’ai oublié le nom.
Toute la nature en réduction
dans un bol de porcelaine, très fin
que l’on tient entre nos mains
et qu’on craint
stupidement de renverser
et de briser.

*
Pensant au retour
(d’après un SMS envoyé à celle qui est restée en France)
J’ai perdu l’habitude de voyager sans toi.
(Notre vie en commun est aussi un voyage).
Ici, je me languis… Je suis pourtant parti
Quelques jours seulement et je rentre bientôt.
(C’est un très court voyage mais une grande absence ;
Plus loin est le pays et plus grande est l’absence).

(8 au 11-10-16)