Un manifeste pour le printemps
(fragments)
1.
Voici le retour du printemps
toujours en avance ou en retard
toujours à contretemps
Il y a dans l’air un frisson, une turbulence
une effervescence de désir
Tout semble à nouveau sur le point d’aimer
Ce printemps,
qu’allons-nous en faire ?
Le gaspiller, comme à notre habitude ?
2.
Chaque jonquille jaillie du sol
est un pistolet
qui tire le coup de feu
de son petit soleil jaune
sur la ligne de départ du printemps.
3.
Le printemps cette année est arrivé furtif
La poitrine du périphérique se soulève
Elle cherche à happer l’air
Au milieu des embouteillages
elle respire une odeur
inattendue de sureau
Il y a dans le vent un goût d’anis
entré par effraction par la vitre baissée
Un type mendie, assis sur la rambarde de sécurité
au milieu des gaz d’échappement
Sur le talus, au milieu des détritus
fleurit
sans que personne
ne le lui ait demandé
un buisson de fleurs orangées
(Pas prévu dans le programme de la journée
il nous fait le cadeau de sa surprise).
4.
Station Stalingrad
les piles du métro aérien se mettent doucement à vibrer
La matinée oscille
Un chien
et un enfant, avec un skate-board, traversent la rue
Le jour pousse légèrement les immeubles de l’épaule
pour faire un peu de place sur la place
Le ciel déménage
les armoires des nuages
aux étagères chargées de bouteilles de lait
qui tintinnabulent
L’eau pétillante du ciel bleu nous envahit
et menace de déborder
C’est un beau temps pour aimer
« Le printemps, le moment idéal,
dit Raymond, pour perdre sa fleur… »
Même les voitures font un bruit de source
5.
Au-dessus de la rue
entre deux immeubles
passe un nuage blanc
Il porte une miche de pain
à la mie bien fraîche et blanche
et une salière
pour te souhaiter
à toi qui viens d’ici
ou bien d’ailleurs
la bienvenue
6.
Un peu avant six heures
les merles se mettent à chanter
Tu les entends
pendant que passe le café
Les merles sont matinaux
dès l’aube, déjà en voix
(Pas besoin de se racler la gorge
comme les corbeaux)
Leur chant
que nous ne comprenons pas
nous parle pourtant
Avec leurs modulations
changeantes comme les mots dans une phrase
ils nous disent
le plaisir de vivre
et d’avoir des congénères
Un merle suffit
à faire chanter la rue
(Un merle ou plutôt deux).
7.
Les jonquilles que l’on vend au coin des rues
sont des fleurs de modeste vertu.
Elles se contentent d’annoncer
comme chaque année
le retour des beaux jours.
Si de mes poèmes
c’était la seule chose
qu’on retenait
je crois
je m’en contenterais…
8.
Essayer de dire le monde avec des mots neufs
Mettre de nouveaux habits
Refaire les papiers peints de notre univers
Se débarrasser de la peau morte qui nous colle au corps
Faire sa mue
comme les lézards
Se débarrasser des yeux gris
la cataracte de l’accoutumance
9.
Nous anime un désir toujours vain
et qui revient toujours
de renaissance
Orphée
qui tente
toujours défait, jamais vaincu
de conjurer la mort
La poésie est toujours
propagande pour le printemps
10.
Le printemps est incorrigible.