Chacun d’entre nous est unique
et ce n’est pas original.
On se croit seul au monde
mais le monde ne le sait pas.
Puis un jour, on s’en aperçoit :
ceux qu’on croise dans la rue,
sans les voir, en pressant le pas
ceux qui passent et ne comptent pas
ou si peu… ou pas plus que ça,
on les regarde et on se dit
qu’ils ont chacun leur propre vie.
Ils sont chacun comme nous sommes :
au centre de leur univers.
Chacun d’entre nous est unique
et ce n’est pas original.
Chacun de nous est sans pareil
et plus semblable qu’il ne le croit.
Nous avons bien, en général
une bouche, un nez, deux oreilles
un cœur sans doute, même un cerveau
et à peu près le même paquet
de peurs, de rêves, de secrets
et dans la boîte aux noirs désirs
quelques fantasmes partagés.
Tous semblables, tous uniques
dissemblables et identiques.
Nous sommes très singuliers
ce qui n’est guère particulier.
Nous sommes en cela comparables
aux arbres, aux galets de la mer,
et même au moindre grain de sable
parmi les milliards de la plage.
et c’est cette propriété,
(être divers et tous les mêmes),
qui rend possible le poème,
et sa surprise et son partage.
Nous sommes un peu tous les autres
et tous les autres sont nous-mêmes.
Avant d’être licenciée économique, j’enseignais à mes étudiants que l’unicité biologique de chacun et l’unicité d’histoire de chacun rendait impossible l’émergence d’un critère de mesure. En conséquence de quoi, nous sommes objectivement condamnés à l’égalité. J’ajoutais qu’à chaque fois que les humains avaient inventé un tel critère, ils avaient déclenché une catastrophe qui se mettait à peser durablement sur l’espèce. Je le crois toujours.
Très admirable poème, cher Francis, d’un art très subtil et très maîtrisé, dans son apparente simplicité. Mais celle-ci entre en correspondance avec le propos même du poème : elle invite à une proximité paisible, et comme facile, avec l’autre – le lecteur – en même temps que le travail très sûr et très élaboré du poème y met, justement, son grain de sable, conduisant cet autre à tout réinterroger. Chapeau !
Merci de ce beau poème, cher Francis, qui dit des choses auxquelles j’adhère tout à fait et où je lis comme des échos – réminiscences ou hommages délibérés – à des propos de poètes qui me sont chers comme à toi:
- »Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! » (Victor Hugo, préface des « Contemplations »)
- »chaque caillou a son histoire. Chaque taillis sa forêt vierge, chaque ruine sa muraille de Chine, ses falaises d’Etretat, et le moindre coin de rue ses jardins suspendus.
L’échelle humaine est un outil très approximatif et le plus laid des poux sur la tête du plus chauve des hommes, c’est quelqu’un.
Le moindre grain de sable est grandeur nature » (Jacques Prévert, « Diurnes »)
Merci, les amis, de vos commentaires.