Archive pour mai 2018

Une ballade anglaise

Samedi 19 mai 2018

Pour Andy et Nikki

usine mer

Le train Newcastle Middlesbrough longe la mer.
A l’horizon le ciel tire un voile de pluie
Comme les combinaisons très claires de nylon
Que les femmes portaient autrefois sous leur robe
(Cela ne se fait plus… C’est aujourd’hui vintage
Comme on dit outre-Manche sur les bords de la Seine)
Tu n’es plus dans le coup ou bien c’est un fantasme.
La mer qui apparaît et disparaît parfois
Au détour de la voie me semble d’un bleu cru
Presque même cruel et je comprends pourquoi
Il se dit que le bleu est une couleur froide
(Si ne le réchauffe une touche de jaune).
Accrochée aux barrières une peinture naïve
Vante les mérites touristiques du coin
Mais il n’y a pas foule ici pour s’arrêter
Sauf un couple de vieux qui retournent chez eux.
Le charbon et l’acier sont partis en voyage
Mais les gens sont restés, ils n’avaient pas le choix.

Usine

Sur le front de la mer, par delà les prairies
Où serpente inutile une rivière obscure
Une énorme grue démantèle une fabrique.
Les rues toutes semblables des cités ouvrières
Descendent vers le port. Chacun suit sa pente.
Le jour est au chômage ; il pointe au Job Center.

Oiseaux

Les pavillons de briques s’alignent côté à côté,
Dupliqués, identiques, solitaires, solidaires.
Les seuls traits distinctifs : les rideaux aux fenêtres…
En marge, prolifère l’anarchie sympathique
Des jardins ouvriers qui plantent le désordre.
Les filles dans la rue portent des cheveux verts,
Mauve, orangés, roses, jaunes ou violets,
Couleurs glace à l’eau, bonbons acidulés,
Comme un défi jeté au brouillard, à l’hiver.

Lord Byron

La casquette de cuir élégante et british
Que tu m’as achetée est fabriquée en Chine.
L’Ouest est devenu un bureau donneur d’ordres
Qui fait exécuter ses travaux loin d’ici,
Mais garde les profits. Une tête difforme
Presque privée de corps et qui n’a plus de mains,
Ou des mains désœuvrées que les chantiers désertent.

À chaque arrêt du train, le contrôleur descend
Puis il remonte et fait le tour des voyageurs
Qui se sont installés dans l’un des deux wagons.
D’un toit s’envolent des pigeons que nul ne contrôle,
Des pigeons voyageurs qui restent à demeure.

Pont

Dans le compartiment près de nous sont assises
Une handicapée mentale de trente-cinq ans
Sa mère qui l’accompagne et sans doute une amie.
Elle serre sur son sein deux oursons de peluche.
De temps en temps, elle en colle un contre la vitre,
Pour lui faire admirer la campagne qui passe.
Elle transporte avec elle le pays de l’enfance
Où les hommes et le sexe n’auront jamais de place.

Et chacun dans son coin tripotant son IPhone
Envoie des SMS à travers l’univers
Pour dire :  » Pense à moi… Aime-moi, car j’existe. »

cheveux anglais

                                                                                          Middlesbrough
                                                                                          Le 27 avril 2018

Gaza aujourd’hui

Jeudi 17 mai 2018

Le massacre par l’armée israélienne des manifestants
désarmés de la bande de Gaza rappelle un autre
massacre qui avait révolté les consciences,
celui de Sabra et Chatila.

A l’époque, j’avais rédigé un bref poème, qui avait
servi à une affiche.

 

Palestine

Chatila

Quand il reviendra
sourd de peine, de honte et de colère
sur la tête,
le Messie portera
le foulard des Feddayin.

Et, en 2004, reçu à Gaza par le poète palestinien
Ahmed Dahbour, aujourd’hui décédé, j’avais été
impressionné par les conditions de vie impossibles
faites aux habitants et par le courage de
la jeunesse estudiantine que j’avais rencontrée.

Je connais une prison nommée Gaza
                                                           pour Ahmed Dahbour

Dans Gaza sont prisonnières les gazelles

Les Palestiniens sont entassés entre la mer et le désert
parqués derrière des barbelés et des miradors

à Gaza les enfants ont beau courir dans les rues
au mépris du danger au milieu des voitures
ils ne voyagent pas

à Gaza les mulets qui tirent leurs carrioles
ont beau trottiner toute la journée
jamais ils ne s’évadent

à Gaza les voitures ont beau klaxonner
et se croiser en tous sens
jamais elles ne prennent le large

à Gaza les rêves des étudiants
ont beau pousser dans les livres
jamais ils ne fleurissent

à Gaza le sable à beau se soulever,
jamais il ne s’en va

et la mer elle-même,
avec ses poissons et son horizon
est en prison.
                                                                                              (in La Barque du pêcheur, éditions Al Manar)

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Trois poèmes de circonstance

Mercredi 9 mai 2018

                                                                  Avec une pensée pour Brecht


TV5 Monde

Maquillage

Avant l’émission de télé, on m’a poudré le nez,
tamponné les joues, estompé des rougeurs
effacé quelques rides
et l’ombre grise de la barbe sur la peau,
que je paraisse plus beau…
(D’ordinaire
nul ne s’occupe de moi comme ça).

Mais c’est ainsi que l’on fait
avec les gens qui passent à la télé.
Pour qu’ils passent bien,
il faut les maquiller.

C’est que le mensonge
ne peut pas être dit sans fard.

La vérité,
non plus,
d’ailleurs.

*

Le Théâtre de marionnettes

marionnettes
Devant le castelet, dans le jardin public
les enfants regardent le spectacle de marionnettes,
un Vaillant Chevalier, une Belle et un Dragon…
Il ne doit y avoir aucun doute dans l’assistance
sur qui sont les gentils et qui sont les méchants.
Le public horrifié pousse des cris ou applaudit
quand le chevalier frappe de son épée
le dragon soupçonné de pouvoir cracher du feu.
Avec sa croix d’attelle, le montreur, caché
manipule ses fantoches et c’est nous le public
qui dansons la gigue au bout de ses fils.

*

Une question sans réponse

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Il nous est souvent reproché,
à nous autres les marxistes, remarquait Brecht,
d’avoir réponse à tout.
Il faudrait donc, proposa-t-il,
établir une liste des questions
pour lesquelles nous n’avons pas de réponse.

En voici donc une :
« Jusqu’à quand
ce qui ne peut plus durer
peut-il encore durer ? »

(La réponse, évidemment,
appartient à tous).

*

Kang5