
Comme la limaille attirée par l’aimant
comme les électrons attirés par le noyau
comme les flocons, les feuilles, la pluie
obéissant à la loi de l’attraction terrestre qui tombent sur le sol irrésistiblement
comme les fidèles qui se dirigent vers la mosquée
pour le prêche du vendredi
les supporters
sortent de la station du RER
descendent de voiture
marchent sur les trottoirs
déboulent par les rues
pour rejoindre le stade
l’immense soucoupe blanche
posée sur la banlieue
avec en son centre
le cercle vert luminescent de la pelouse
vaisseau extraterrestre prêt à s’envoler
pour emporter
joueurs et spectateurs
pendant une heure et demie
ailleurs
plus haut
sur une planète
où ils seront les plus forts.

C’est ici le Temple
où vont faire leur apparition
se produire, comme on dit,
ceux qui ne produisent rien
que le spectacle
d’un miracle :
les « dieux du stade »
les très humains gladiateurs
olympiens.
Match,
Moment sacré de transe
où chacun restant lui-même
devient un autre.
« Le plus beau jour de ma vie »
déclare une jeune femme
un soir de victoire
en Coupe du monde
alors qu’elle n’y est pour rien
et qu’elle ne touche
pas un ballon.
(Vie par procuration)

En ce moment
sur le terrain
un garçon
jonglant avec ses pieds
défie les lois
de la pesanteur
et place le ballon
dans la lucarne
ouvrant une fenêtre sur la victoire.
Alors
le stade
entre en lévitation
Le stade tout entier ?
La moitié seulement…
l’autre siffle et hue
et tape des pieds.
Karim est là, comme chaque fois
Karim est supporter de l’OM
Il déteste le PSG.
Il brandit
le drapeau de l’Algérie si c’est l’Algérie
qui joue et celui de la France
si la France qui joue contre un autre pays.
(Karim a des amours multiples
mais chaque fois
exclusives).
On ne sort plus le drapeau que pour les matches
et La Marseillaise est devenue
un hymne sportif.
« Qui ne saute pas n’est pas Français »
scandent les supporters en tapant des pieds
car ici, il faut communier
et fusionner…
« Enculés ! Enculés ! »
Dans les tribunes les supporters
se sont fait des peintures de guerre
comme des Indiens

(Dans cet univers, la compétition
sportive est l’image
de la concurrence pure et parfaite
où tous les acteurs
sont à égalité
et que le meilleur gagne !
En vérité,
la concurrence est tout le contraire ;
elle est imparfaite, inégale et impure
et le sport, une évasion
organisée
pour échapper, l’espace d’une soirée,
à l’engrenage quotidien
de la guerre
économique.
Mais le sport
est aussi la poursuite
par d’autres moyens
de cette même guerre.)
L’un des rares moments
où le peuple
se réunit
et communie
dans sa division.
Passion du jeu ?
passion du beau jeu ?
Panem et circenses
« L’important, c’est de participer »,
disait Pierre de Coubertin
aujourd’hui, chacun répète :
« Seule la victoire sera belle »
Puis,
dans la nuit,
une fois la passion retombée
et l’effet de la bière dissipé
tous retournent se coucher.