Quatre poèmes écrits à l’occasion
du festival de poésie de Zigong
et d’une rencontre
du comité de coordination international
du WPM
(Mouvement mondial des poètes).
Les trois cerfs-volants
Dans la cour du musée des lanternes, à Zigong (Sichuan)
trois vieillards jouent au cerf-volant.
Ils rivalisent d’audace et d’adresse
à qui fera monter le sien le plus haut.
(La passion du jeu et de la compétition
si nécessaire au capitalisme
est précieuse aussi au socialisme.)
Dans la cour du musée trois vieillards
déroulent le fil de leur cerf-volant
et l’accompagnent de leur regard
tout là-haut dans le ciel
(En tirant sur le fil
c’est à leur enfance qu’ils s’accrochent
la retenant encore pour un instant sur Terre)
Les cerfs-volants montent très haut
en liberté surveillée
Et plus la main est ferme et souple
et plus ils volent haut.
(Dans leur jeunesse, les trois vieillards
furent peut-être des gardes-rouges.
Ils ont connu l’utopie
et le retour au sol des cerfs-volants.)
Dans la cour du musée des lanternes
trois vieillards,
passagers sur la Terre,
pour l’éternité,
jouent au cerf-volant.
(Le vieux rêve de voler plus haut
vit toujours sur la Terre
et dans le cœur des hommes.)
Et moi, dont la vue a baissé,
je scrute le ciel
à la recherche des cerfs-volants.
le 21/09/2018
Après avoir visité le Musée du sel, à Zigong
Pour extraire tout le sel de la terre
combien de litres d’eau salée
a-t-il fallu extraire
de la sueur des hommes ?
le 22/IX/2018
Au pays natal des dinosaures
1.
On a découvert au sud du Sichuan
de nombreux squelettes de dinosaures.
Les scientifiques se sont penchés sur eux
ainsi que les autorités, les journalistes
et l’office du tourisme.
On les a ressuscités, on leur a prodigué des soins
on a incité à leur reproduction
en série, pour les besoins locaux
et pour le marché mondial
et maintenant les dinosaures sont partout.
Ils ont envahi la rue, ils ont grimpé sur les toits,
ils se sont installés sur la pelouse de notre hôtel
et jusque dans le hall.
Nous devons les côtoyer quand nous allons prendre notre petit déjeuner
et il est impossible de sortir de l’hôtel sans passer devant leur gueule grande ouverte.
2.
Mais les dinosaures ne font plus peur à personne…
(Nous avons apprivoisé les anciens dragons).
Leur peau épaisse en caoutchouc est souple et douce.
Les enfants peuvent leur caresser les flancs
et quand nous les croisons, ils hochent tristement la tête.
Ce sont nos lointains parents…
(En vérité, une branche divergente de l’évolution familiale).
Nous pouvons éprouver pour eux un certain sentiment de fraternité.
(Et pas seulement parce qu’ils furent déjà, en leur temps, les probables victimes
des changements climatiques).
3.
Nous décidons alors,
Aggie, Jack et moi,
vieux poètes révolutionnaires que certains traiteraient aisément de dinosaures,
de nous faire photographier devant le plus grand d’entre eux.
Prenant la pose pour éterniser l’instant
(car on peut être marxiste et avoir quelques relations avec l’éternité
et cela risque même de s’aggraver)
nous pensons à ce retour en grâce inattendu des dinosaures,
à leur réhabilitation tardive mais méritée
et à leur triomphe posthume.
Et – pour nous rassurer – nous nous disons
que tout n’est pas perdu.
Zigong, le 24/IX/2018
« Que cent fleurs rivalisent ! »
Lors du Forum des poètes, nous avons eu droit à un exposé
sur la revitalisation des zones rurales.
Et la camarade qui présentait le rapport
(une belle femme, charmante, qui n’avait pas l’air de plaisanter)
après avoir insisté sur les investissements concernant les infrastructures,
la rénovation de l’habitat,
le développement d’une agriculture diversifiée
et l’implantation à la campagne de l’informatique et des activités de pointe
acheva son discours sur les objectifs du parti
en parlant de la nécessité de promouvoir
une « vie poétique ».
Une vie poétique ?
Ce serait une vie dans laquelle, comme le disait le Manifeste
« Le libre développement de chacun serait la condition du libre développement de tous »
Une vie poétique,
cela voudrait dire que chaque femme, chaque homme, chaque enfant
pourrait se tenir droit sur la Terre
et attraper son morceau de ciel,
que chacun pourrait allumer la lanterne qui sommeille en lui
et voler de ses propres ailes
et nous verrions alors partout tout autour de la planète
s’élever dans le soir un peuple immense de lucioles.
Dehors, un poète chinois s’est assis pour fumer
devant une pelouse de fleurs sauvages mais apprivoisées
qui poussent là en toute liberté
dans un désordre total
et en toute harmonie,
chacune pour elle et non pas contre mais avec les autres,
des fleurs de différentes sortes, de différentes tailles, différentes couleurs…
Et parmi elles, il y en a aussi qui sont rouges.
« Si le socialisme ressemblait à ça, me souffle Aggie,
on pourrait le vendre partout. Même aux États-Unis… »
« Que cent fleurs rivalisent… », disait autrefois le président Mao.
Zigong, le 24/IX/2018