Je suis le chemin que je suis
dit un homme qui va.
Toujours sur le départ, toujours sur le retour
(Il n’est joie de partir
que pour qui reviendra).
Nous ne sommes pas candidats à l’exil
et n’avons nul lieu où choisir la liberté.
Nous n’avons pour l’instant qu’une seule planète
et pourtant, nous partons.
J’ai le souvenir d’une goélette peinte sur la chair pâle du bois
dans le cadre rond comme un hublot d’un nœud de platane
planté en bord de Seine, non loin du Louvre,
une goélette suspendue entre ciel et terre
une goélette qui ne prendra jamais la mer.
Mais elle est plus forte qu’un bateau, l’image du bateau
pour mettre le rêve à portée de main.
Et même si jamais je n’ai retrouvé l’arbre tatoué des quais de Seine
je sais que ce n’est pas un rêve.
Nous avions bu un chocolat chaud tout près de là en hiver
dans un café Grand siècle.
J’ai bien connu cette ville où les kiosques à musique,
sont silencieux
fréquentés seulement par des pigeons et des joueurs de boule
et désertés des musiciens.
J’ai aussi connu dans un autre pays un homme
qui mâchait du verre pilé et en faisait dans sa bouche comme une pâte verte.
(était-ce là aussi de la poésie ?)
C’était un soir au bord du Balaton
et à sa table chacun se pressait pour voir ce prodige.
Dans ce même pays qui avait nom Hongrie,
près d’un camping, j’ai souvenir d’un petit lac où nous faisions de la barque.
Tu y as perdu au fond de l’eau ta bague
et tu l’as oublié.
(Ou peut-être est-ce moi qui ai inventé ce souvenir… )
Ce poème est décousu comme l’est la mémoire,
beaux lambeaux de tissus
qui flottent dans le soir…
La fée des Neiges touche du bout du doigt
l’astre terrestre, bulle de savon
abandonnée sur une branche de buisson
entre un parking de supermarché
et une déchetterie,
et la voici qui se couvre de cristaux.
Tu la prends dans la paume de ta main
et elle se met à chanter.
La merveille, c’est le réel
et son double rêvé,
l’un et l’autre recréés
par les mots du souvenir
et du désir mêlés.
Il y a dans Paris une Montgolfière
retenue par un filin au sol.
Mais les poèmes sont-ils des dirigeables ?
(J’ai souvent dirigé les miens ;
Parfois, je lâche leur fil qui se perd dans les airs…)
Je suis ce par quoi je chemine
et c’est du plus obscur que nous vient la clarté.
Comme un trousseau de clefs absentes qui s’inventent
déverrouillant les portes invisibles du vent
la poésie surgit de la métamorphose
incessante de vivre et d’aimer plus loin
qui nous porte plus haut
et nous fait avancer sur un chemin de pierre.
Nous voulons tout savoir, tout goûter, tout aimer
notre œil polymorphe ignore ses rebords
et de ne pas se voir ne le rend pas plus sage.
Le mot nous donne forme
et l’élan de chanter.
Nous avons fait l’expérience d’un amour agissant,
un amour qui tente d’élargir la cage du cœur
aux dimensions de la planète
Un amour qui invite la Terre entière
dans la cage oiselière du cœur
puis la pose à la fenêtre
Un amour qui se lève matin
et balaye
devant sa porte.