Nous sommes passés par Camaret
et avons vu de haut le port,
les bateaux, les magasins,
l’église en front de mer…
(Mais le curé, nenni
ni ses attributs,
ni sa tribu de filles
dont nous n’avons entrevu que des lettres qui brillent
sur des maillots, à la boutique aux souvenirs).
Puis nous sommes montés vers la pointe de Penn-hir,
l’alignement des menhirs sur la lande
et, près du bord de la falaise,
le manoir détruit
du poète Saint-Pol-Roux,
le Magnifique,
qui se prenait pour un mage,
créateur d’images poétiques
Alambic idéoréaliste,
Adorateur de la religion du Tournesol,
Soleil sacré
de la Beauté et de la Vérité.
Dans la nuit du 23 juin 1940,
un soldat allemand investit le manoir,
tua la gouvernante, blessa le poète et rudoya sa fille,
baptisée Divine.
Puis, il s’enfuit, effrayé par le chien de la maison.
Sa fille violentée, sa maison pillée, ses écrits éparpillés et déchirés,
le poète ne s’en remettra pas
et, quelques mois plus tard,
meurt de chagrin.
Il n’aura pas vu, en août 44, les avions alliés
bombarder et incendier le manoir
dont ne restent que quelques pans de murs
et quatre tourelles.
Saint-Pol-Roux, aujourd’hui, est bien oublié…
Pourtant peu de poètes laissent derrière eux
des ruines à visiter.
Avant de repartir,
m’écartant de l’amas de pierres,
j’ai vu un jeune lapin
sortir d’un buisson de genêts,
hésiter… puis disparaître.
****
Une chèvre
Une petite chèvre douce et blanche
est enfermée, solitaire, dans son enclos
et moi, avec ma canne et mon chapeau,
j’ai quelque chose de M. Seguin.
Je m’arrête et de loin
je lui fais : « Béééh… »
Complaisante, elle me répond : « Béééh… »
et cela dure un moment…
(Une sorte de dialogue,
plus que courtois,
complice).
Bien sûr, nous n’échangeons pas de grandes idées,
pas même vraiment de paroles,
mais nous communiquons
(comme on dit aujourd’hui).
Nous partageons quelque chose,
peut-être quelque chose d’important,
et, sans aucun doute
nous nous comprenons.
***
Retournement du hanneton
En descendant vers la plage
j’ai rencontré un gros hanneton noir,
peut-être une lucane
renversée sur le dos
qui ne pouvait plus bouger.
Alors, je l’ai remise à l’endroit.
Peut-être dira-t-on
que j’ai agi humainement.
Mais l’enfant, sur la plage,
qui tue avec sa pelle des poux de plage
lui aussi, agit humainement.
(Nous qui pouvons détruire
nous pouvons protéger)
***
L’humanité mériterait bien
autant d’attention que les hannetons…
Mais pour que l’immense majorité
ne reste pas sur le sable
et pour assurer notre salut commun
c’est la société entière
qu’il faudrait retourner
et remettre sur ses pieds.
le 14 /VII/2019
Kervigo