trois poèmes de « Cause commune »,
à l’occasion du cinquantième anniversaire
de la disparition de Ho Chi Minh

Le père Thu
« Des nuages, des monts,
Des monts et des nuages
Un fleuve en bas miroite… »
Au début de février 1941
Aï Quoc franchit la frontière à la borne 108
avec sa valise de rotin et sa machine à écrire.
Il s’installe dans une grotte à Pac-Bo
prend le pseudonyme de Père Thu
et commence à organiser la Résistance.
Chaque matin, il se rend à la source.
Un rocher lui sert de table
(il sait qu’il peut s’appuyer sur le pays
car le combat pour la libération sociale
passe par la libération nationale).
Il mange peu, mais de bon appétit
de la bouillie de maïs et des pousses de bambou,
reçoit des émissaires
et écrit des appels à l’union et à la rébellion.
« La vie d’un révolutionnaire
est magnifique », écrit-il.
Dans ces moments heureux
ses poèmes sont des tracts.
(Pour la poésie, il a peu de temps
car tout son temps est pris
par la poésie).

Le tabouret d’Ho Chi Minh
à Nguyen Din Thi
Au Palais présidentiel
l’Oncle Ho préférait la maison du jardinier.
Pour travailler, il avait fait installer
près du lac, dans le parc du Palais présidentiel
un bureau de plein air protégé seulement
du soleil et de la pluie par un toit de paille
et près de son bureau, par terre,
il avait posé un tout petit tabouret.
(Lui qui faisait trembler
les tigres de fer du colonialisme).

C’est là qu’il s’asseyait de temps en temps
pour bavarder avec les enfants
qui lui rendaient visite
et jouer avec eux.
« Est grand qui garde un cœur d’enfant. »
disait Meng Tseu.
(On pourrait dire aussi
« en se mettant à la hauteur des plus petits
les grands
se grandissent »).

La bague
à Madeleine Riffaud
Le vent dans le ciel au-dessus des rizières
est un enfant qui pousse de son bâton
le buffle noir des nuages.
L’avion qui étincelait sous le soleil
et apportait la mort sur les paillottes
a été abattu par la jeune servante de la D.C.A.
Sur la photo, le soldat américain
(un grand diable blond
aux allures d’enfant bien nourri)
marche les mains sur la tête
devant une combattante, jeune et toute menue.
De partout surgissent en file indienne
de petits hommes en uniformes noirs
(comme des fourmis, dirait le soldat).
— Mais les fourmis ont parfois raison des aigles
et ce peuple a fait des miracles.
Dans la tôle d’aluminium du bombardier Phantom
des mains très fines
demain auront découpé un peigne et une bague.

et un inédit
(car nous avons toujours le Vietnam au cœur)…
26 Novembre 1967
Ce qui nous touche au plus près est parfois le plus loin…
C’est par solidarité que pour la première fois
Près de la Gare de l’Est, le long du Saint-Martin
J’ai battu le pavé, dans un ruissellement de jeunesse.

Départ de lycéens d’Aubervilliers (du cercle Fabien-Thälmann de la Jeunesse communiste) à une manifestation pour la paix au Vietnam.
Nous défilions pour la paix et le peuple vietnamien.
Peut-on faire plus lointain ? Ils furent pourtant nos frères
Ces petits hommes verts, ou cette fille en noir
Nous étaient des images de courage et d’espoir.
Ils furent à nos côtés pendant bien des années
Nous les retrouvions dans des salles enfumées
À la Mutualité ou au Cirque d’hiver
Et faisions trépider les gradins sous nos pieds
Ils vécurent avec nous, simples de grandeur
Ils découpaient des peignes dans les B52
Ils creusaient des tunnels pour sauver la lumière,
Écrivaient sous les bombes des poèmes d’amour.
Ils montrèrent au monde ce qu’un peuple peut faire
Fort de la tendresse des peuples de la Terre.
