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Archive pour octobre 2019

Saint-Domingue – Journal poétique

Jeudi 31 octobre 2019

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Du 21 au 26 octobre 2019, s’est tenue la semaine internationale

de la poésie à Saint-Domingue à laquelle je participais.

J’en rapporte beaucoup d’images et quelques poèmes.


Isabela

De l’ancienne colonie d’Isabela
ne reste que la trace presque effacée
d’un très modeste hameau
et quelques tombes.

Pourtant,
c’est là
qu’a commencé l’occupation
de tout un continent.

(Puissance de l’or
et déjà de la technologie :
les armures, les chevaux, les canons…)

Colomb croyait accoster à Cipango ;
Il a mis le pied sur le Nouveau monde.

(De grandes erreurs
conduisent parfois à de grandes découvertes.
Et de grandes découvertes conduisent parfois
à de grandes erreurs).

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La mendiante de la Place Colón

ballon

7 heures et quelques du matin, place Colón,
Un homme se tient derrière un banc
avec à la main un bouquet de ballons
rouges, blancs, argentés.
Il y a aussi quelques pigeons, déjà au travail,
qui furètent, de-ci, delà
et des poètes, prêts pour le départ.

Une mendiante habillée d’un drap
couleur canari, s’approche, d’entre les arbres
centenaires peut-être,  des ficus
aux têtes pensives, aux pieds tordus.
Elle est d’un noir profond,
plus profond que la nuit.
Les yeux enfoncés, le menton en galoche,
déformé. Mais aux pieds pas de chaussures.
Elle est maigre, décharnée…
(Elle pourrait rivaliser
avec les mannequins de la Semaine de la mode).

Avec sa cape sur le dos, elle paraît rescapée
d’une longue nuit de fête…
Mais à la main, dans son gobelet,
pas de champagne,
seulement le vide d’une vie sans vie.
Pourtant son visage difforme
s’éclaire d’un sourire énorme.

Puis, ayant fureté elle aussi
auprès des poètes,
elle s’éloigne, drapée
dans sa cape jaune.

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Au bal des flamants roses


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A la Pointe de la saline
près des baraques de planches peintes en bleu
le sel des hommes attend,
patients monticules blancs.

De l’autre côté de la baie,
sous un ciel qui se couvre
soudain se découvre
l’envol des flamants.

Ils passent au-dessus de nous
qui les contemplons, fascinés
serrés dans notre barque provisoire
qui danse au milieu des vagues.

Non, nous n’avons pas inventé la beauté…
Elle est là qui passe, étrangère, indifférente,
fragile, éphémère, éternelle…

Avec leur grand filet invisible
les flamants roses nous emportent
dans le ciel mauve du jour qui descend,
vers les hauteurs.

 

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Les cabanons d’amour

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Ici, l’amour à pignon sur rue.
La ville est pleine d’orchidées
aux formes généreuses
et le désir des corps
est un jus de papaye
pressé qui a la cote.

Vers le péage de l’autoroute, près de la mer
s’affiche un chapelet de motels
aux noms explicites : les cabañas de amor,
cœurs énormes, LOVE en lettres lumineuses,
promesses torrides…

Là peuvent se retrouver pour une heure ou plus,
les amours débutantes, les couples illégitimes,
les prostituées et leurs clients,
ou les pédophiles amateurs de cabris…

Ici, à l’abri des regards indiscrets,
derrière les portes de garages des studios,
alignés comme des caveaux
de famille dans un cimetière,
se pratique le blanchiment de l’argent
du sexe, dans la grande machine
à laver de l’amour,
avec beaucoup de détergent,
très peu de sentiment,
et une dosette rose ou bleue de colorant.

 

love

 

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Délégation de pouvoir

Sur son pare-brise arrière
la voiture affirme, fière :
« Dios puede todo ! »

Si Dieu peut vraiment tout,
la question est :
« Pourquoi ne fait-il rien ? »

 D’où, une suggestion pour l’ordre du jour
d’une prochaine Assemblée
Générale des Terriens :
Récupérer les pouvoirs qui lui sont délégués.

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Épitaphe pour une vache


vache
Revenant de nuit, en bus,
de San José de las Matas
(où ils avaient adopté une motion
pour la défense de la vie sur Terre)
l’équipe des poètes du festival international
a percuté une vache.

La vache ne s’en est pas remise
(le minicar non plus)
mais les poètes n’ont rien eu.

Avec trois de ses copines,
la vache traversait la voie
dans le noir et sans phares.
— Elle a payé le prix
de sa liberté.

Elle était plutôt maigre
(comme les vaches d’ici)
mais elle était gravide.

Demain, dans les journaux,
on lira peut-être :
« Sur l’autoroute Santiago—Saint-Domingue
Double assassinat d’une vache
par une bande de poètes en liberté ».

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Jeu de balles


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Dans le hall de l’hôtel
les serveurs suivent avec passion
le match de base-ball
entre l’équipe des Stars de Houston
(les meilleurs)
et le National de Washington.

Aujourd’hui, dans le morne, j’ai vu
deux jeunes, noirs et pauvres,
(cela va souvent ensemble
et ils sont les plus nombreux)
grimper dans les grands arbres
avec une témérité et une agilité
incroyables, pour, avec une perche,
décrocher les lunes
d’or vert
des avocats

puis les lancer
et les réceptionner
sans coup férir.

(Mais eux, ne passent pas à la télé).

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Mal de amores


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Jamais je ne pourrais chanter
La nostalgie du Mal aimé.
(Toujours aimé, aimant toujours,
Le mal d’amour m’est inconnu).
Tant pis, ce sera mon regret…

Qu’y faire ? Dehors des filles-fleurs
Croisent au large dans la rue,
Toute prêtes à se fiancer
Pour une heure ou une journée.
(L’argent efface les années).

Elles resteront des inconnues…
Et seul, ce soir, assis au bar,
En compagnie d’un verre de rhum,
Goûtant un plaisir solitaire,
Je peux chanter le mal d’aimer.

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Un cygne

Samedi 19 octobre 2019


Cygne

Au pas, sur la voie express, à l’heure de pointe, le soir,
Du côté de Bercy, j’ai tourné à droite la tête
Et j’ai vu au beau milieu de la pluie, dans la grisaille
D’un décor d’encre et de suie, par delà les entrepôts

A contre-courant remontant impavide la Seine
Bien qu’il pleuve, traçant son chemin au mitan du fleuve,
Contre le temps, l’averse, les adverses circonstances,
Droit, silencieux, paraissant glisser sur la surface,

Sans peine derrière lui tirant tel un voilier la ville
Superbe, indifférent, presqu’irréel, un cygne blanc.
Frappé, je me suis dit :  Voici un poème qui passe…

Altière beauté tout entière à sa loi attachée
(Sans souci de la critique, sans mépris pour la masse).
Mais le cygne n’a pas daigné vers moi tourner la tête.

le 19/X/2019

La nuit est une myrtille

Dimanche 13 octobre 2019

nuit étoilée

 

La nuit est une myrtille

Il y a entre nous un oiseau dont tu peux sentir battre le cœur
et qui envoie en morse des messages irréguliers

Nous voyageons dans des trains et nous passons des ponts au-dessus des fleuves quelque part vers le Sud ou bien L’Est

Les amoureux sont rangés dans leurs draps comme des cuillers endormies

Mais le sommeil nous fuit, la mélatonine nous fait des infidélités

Il y a toujours dans la tasse de nos nuits un peu de sucre au fond qui n’aura pas fondu

et les mots tournent en vain, électrons désorbités qui s’échappent dans le vide interstellaire qu’habite la matière… Nuages moléculaires, vents solaires, champs magnétiques

poussière de graphite condensée en quelques notes échevelées prises dans les pages du carnet qui repose sur la table de nuit et qui seront illisibles demain matin

La nuit est une myrtille qui renferme son obscurité dans un tiroir secret

Il ne s’y cache pas de lettres perdues mais l’agitation silencieuse des électrons dans la galaxie

Je ne suis pas jaloux des rêves que tu fais ni toi non plus des miens

Nous voyageons ensemble et séparés pourtant par le sommeil et l’insomnie
L’être humain dit-on est toujours seul sur Terre, mais il ne devrait pas

toujours et jamais seul, ni dans ses craintes ni  dans ses désirs, toujours et jamais seul, ni dans ses bras ni dans les bras des autres, ni dans sa vie ni dans sa mort, ni dans la veille ni dans le sommeil

L’être humain sur la Terre est toujours seul, mais il ne l’est jamais

C’est dans la nuit du sommeil et de l’oubli qu’il se retrouve
qu’il s’éparpille comme graines dispersées
qu’il se rassemble et se recueille

La nuit des solitaires est amère comme un voyage sans port et sans raison, une baie empoisonnée

Notre nuit en commun sur la Terre est douce
comme une myrtille

myrtille

(nuit du 10 au 11 octobre 2019)