I
Quel est ce monde où nous vivons ?
Même ce qui nous est le plus proche, le plus familier, soudain nous devient étranger.
La pomme, la simple pomme, ronde, lisse, brillante que nous soupesons dans la paume de notre main, bientôt nous paraîtra suspecte.
« Trop polie pour être honnête »
Elle ne porte pas sur elle les stigmates du péché originel
mais ceux du péché mortel
d’un système au stade terminal,
la tare d’un monde sénile qui essaye, désespérément,
de rester jeune et qui expose dans ses étals l’univers du faux.
II
Se faire sélectionner
génétiquement,
produire à la tonne,
élever patiemment,
se faire aligner sagement sur des centaines de rangs,
cueillir, calibrer, lustrer,
pour se présenter sous son meilleur jour,
se laisser mettre en cageot, estampiller, expédier, étiqueter ;
pour mener une carrière banale dans la consommation
(au rayon fruits et légumes de Carrefour)
ne jamais protester
et finir comme un vieux trognon.
– Pomme.
Est-ce un destin que nous pouvons envier ?
III
Sur l’aire de Nemours, Aurélien a voulu s’arrêter pour acheter
non une pomme mais un McDo.
Comme je ne voulais pas mourir idiot, j’y ai goûté.
Horreur ! La viande — couverte d’une substance rouge — était sucrée !
Voilà comment les industries alimentaires attirent les clients
et rendent malade la planète entière.
Le capitalisme moderne a une icône :
la méchante sorcière de Blanche Neige
et sa pomme empoisonnée.
IV
Vas-tu instruire le procès des pommes ?
La pomme est innocente
(et c’est sa plus grande faute)
La pomme ne se pose pas de questions
Elle tombe toujours d’un bateau de pommes
La pomme est une planète heureuse,
la métaphore de la plénitude.
(Il ne faut pas incriminer les pommes).
V
Les pommes n’y sont pour rien si des collines entières dans le centre de la France sont couvertes de filets
Les pommes n’ont pas demandé à recevoir chaque année 35 à 40 traitements phytosanitaires
Elles n’ont pas demandé à être aspergées de pesticides, de bactéricides, d’acaricides
Elles n’aiment pas plus que ça les herbicides ni les régulateurs de croissance.
Les pommes n’ont pas demandé à être produites à la tonne et elles se passeraient bien (quand tourne le vent du marché) d’être jetées à la décharge et couvertes de gasoil.
Si les pommes, touchées par la baguette magique de la fée, pouvaient parler, peut-être préfèreraient-elles être données.
Dans la Grèce antique, pour déclarer son amour aux filles, les garçons avaient coutume de leur offrir une pomme.
Aujourd’hui, nous aurions assez de pommes pour les offrir
à tous les enfants du monde.
FALLEN, SCHWEBEN
Als ich den Tag zu Bette brachte,
schimmerten letzte Äpfel des Herbstes
im erloschenen Gras.
Weich war ihr Licht
und golden gegen das Blau der fallenden Nacht.
Lebendig schwebten sie mir zu:
kleine runde Grale aus Kraft
im würzigen Lufthauch der Verwesung,
duftende Sterne des Trostes,
die ich atmete in seufzende Lungen,
während meine Füsse weiterschritten
auf der weicher werdenden Erde.
©antemanha