Élégie du Père Lachaise
Nous reviendrons, ma belle, hanter le Père Lachaise
où dorment côte à côte des vieillards polissons
qui de leur vivant se payé leur mort
de vierges jouvencelles
à la cuisse de marbre, légère
et des révolutionnaires
glabres ou barbus
qui, toujours,
jusqu’en ce lieu où maintenant ils sont
ont à la boutonnière
un œillet de sang
Nous reviendrons ma belle, flâner dans ces allées
entre la lumière et l’ombre
que le soleil découpe
d’un rasoir capricieux
éblouissement d’un flash
sel d’argent révélateur
dans l’obscurité d’une flaque de fraîcheur
de blanches nymphomanes de pierre, nues
portent en bandoulière
de petits polaroïds noirs
La mouche drosophile
(le vinaigre et la rosée)
butine le parfum
des esprits défunts
Nous reviendrons, ma belle, grimper parmi les tombes
poursuivre l’insaisissable chèvre
de l’enfer et du paradis
entre une guitare silencieuse
et un pied d’albâtre
Nous repasserons voir Héloïse et Abélard
réunis enfin dans le sommeil du lierre
Apollinaire et son tombeau
fleuri comme ses vers
dans sa tranchée d’azur
Éluard qui repose
dans la famille des hommes simples
près du Mur des Fédérés
- Les vainqueurs du jour n’ont pas toujours raison
Par ces temps incléments
nous irons sifflotant
le beau Temps des cerises
Jean-Baptiste Clément
Dans la mousse
où pousse l’oronge du doute
(faut-il recommencer sans cesse ?)
ce ne sont pas nos rêves qui pourrissent
mais nos illusions
Nous reviendrons, ma belle, hanter le Père Lachaise
nous reviendrons chanter
à la saison
où, fleurs odoriférantes et blanches
dehors, l’acacia turbulent
fait sa révolution.
(in Au Vert-Galant jeté en Seine, Europe Poésie 1991 – repris dans l’ouvrage collectif Un Chant pour Paris, Unicité 2019)
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