1.
Né en 1905 dans un village du sud de la Russie
Stakhanov était d’une famille de paysans pauvres
(Il leur arrivait lors des disettes de manger du cygne
et de la résine mélangée de cerises).
Il a passé son enfance à labourer les champs
et n’a été à l’école en tout que trois hivers.
Puis il est parti s’embaucher dans les mines du Donbass
promettant à ses sœurs qu’il reviendrait sur un cheval blanc.
2.
La mine de Kadiivka, où il commença à travailler,
avait l’un des plus mauvais rendements du bassin.
Il proposa pour moderniser le travail,
d’abandonner le piolet pour la perceuse à charbon,
de travailler en équipe, l’un creusant, un autre étayant,
et un autre chargeant le fourgon et tirant le poney.
Dans la nuit du 30 au 31 août 1935
(à l’occasion d’un concours organisé par le Komsomol)
on dit que ce grand gars (1, 85m, 102 kilos)
avait extrait à lui tout seul 102 tonnes de charbon,
en moins de six heures, soit quatorze fois la norme fixée par l’État.
3.
Quinze jours, plus tard, il battait encore ce record.
Après les journaux locaux, la Pravda rapporta son exploit ;
(le baptisant au passage Alexeï, au lieu d’Andreï.
Plus tard, au faîte de sa gloire, il demanda que l’erreur fût rectifiée
mais il était trop tard et Staline aurait répliqué
qu’Alexeï était un beau prénom).
Il fut donc admis au parti, déclaré Héros du travail socialiste,
reçût l’Ordre du Drapeau rouge, l’Ordre de Lénine,
montré en exemple à tous les travailleurs soviétiques
reçut un appartement, son salaire fut augmenté
et on l’envoya à Moscou à l’Académie de l’Industrie.
4.
La vie du mineur Alexeï Stakhanov en fut changée
Il n’eut pas de cheval blanc mais fut abondamment fêté.
Sa première femme le quitta pour un policier.
Lors d’un concert donné en son honneur, il s’éprit
d’une fille de quatorze ans et l’épousa.
A Moscou, on lui confia un poste au Ministère du charbon
(où il s’occupa d’aider ses anciens copains
qu’il invitait dans son appartement, où il jouait, la nuit,
de l’accordéon, buvait, se bagarrait parfois
dans les hôtels de la capitale. Lors d’une réception au Kremlin
Il fit du scandale. Et quand il était invité au Bolchoï
pour les Premières, il s’endormait pendant l’ouverture…)
Staline l’avait mis en garde : « Si ce brave gars continue de faire la noce,
il faudra qu’il change son nom célèbre pour un, plus modeste »,
5.
Après la mort de Staline, son étoile a pâli
l’oudarnik, le travailleur de choc, député au Soviet suprême
eut des accrochages avec Nikita Khrouchtchev
à qui un jour il balança sa carte du parti, en déclarant
qu’il resterait toujours communiste dans l’âme.
On le renvoya dans le Donbass où il occupa diverses fonctions
subalternes dans les mines de charbon
(lui qui pendant la guerre avait dirigé la mine n° 31 de Karangada).
Il buvait de plus en plus et il finit par être interné
dans un hôpital psychiatrique où il trouva la mort
en 1977. D’une crise cardiaque, disent certains.
D’autres, qu’il aurait glissé sur des épluchures de pommes de terre
et sa tempe aurait heurté un coin de table.
6.
En 1988, le monument qui lui avait été érigé à Kadiivka,
ville de ses hauts faits rebaptisée de son nom,
fut déboulonné ; car le secrétaire local du parti avait révélé
que deux camarades étayaient pendant qu’il creusait.
(Comme si, d’avoir été collectif, l’exploit fût moins socialiste).
Reste l’histoire pas ordinaire d’un ouvrier ; le seul
à avoir jamais donné son nom à une ville
(même si depuis, elle aussi a été débaptisée)
et laissé un mot, le stakhanovisme,
entré dans le lexique universel
(lui qui n’était pas vraiment un intellectuel).
L’ouvrier mineur promu modèle de l’Homme nouveau
Andreï ou Alexeï, qu’importe, Stakhanov
fut, semble-t-il, un brave gars,
pas tout à fait fini…
L’Homme nouveau n’était pas complet.
(Mais cette histoire non plus n’est peut-être pas finie).
Mots-clefs : Kadiivka, Moscou, ouvrier, Pravda, stakhanov, staline, URSS
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