Archive pour juin 2021

Un jour d’automne à la Samaritaine

Lundi 28 juin 2021

Souvenir de la Samaritaine avant sa rénovation.

Poème publié dans mon recueil « La Fabrique du bonheur », Écrit des Forges, 2000

Pigeon rouge

En vain, je t’ai attendue toute une après-midi
À la Samaritaine, assis sur la terrasse.
Longtemps, comme à la hune d’un bateau,
J’ai regardé la flamme dans le vent
D’un fanion qui faseye.
En altitude,
Les nuages qui vont, courant dans le ciel jaune
Ont l’air plus solitaires.
À la hauteur des têtes,
S’envolent des moineaux.
Des Invalides,
J’aperçois le dôme que le soleil redore.
Près du Pont-Neuf une péniche
Comme en dormant très lentement se traîne
Et lance un cri très triste de sirène.
Les bruits de la ville montent vers moi
Humblement et se perdent.
Je domine Paris,
Et sens que m’envahit
La torpeur si coutumière aux dieux.
J’ai là, sous les pieds, tout un grand magasin
Comme une ruche immense bourdonnante de femmes,
De mots caressants et joyeux, chuchotés et câlins,
De tissus que l’on touche et qui s’offrent, soyeux…
Et bientôt me saisit
Une ancienne et toujours vive tentation
Pour nous autres, les Terriens :
Je sens que dans le dos me poussent des ailes ;
Je me change en ange…
Mais personne n’y prend garde,
Pas même à la table voisine
Les jolies touristes qui boivent leur thé brûlant sans un regard pour moi.
Emmitouflé dans le manteau de ton amour
J’écris et je t’attends.
Je suis en ce moment un poète céleste
Et frigorifié
Avec, pour tout compagnon,
Un café-calva, un papier
Et un bout de crayon.
Mais voici que le froid qui commence à m’engourdir
M’éclaircit l’esprit :
« Le monde, me dis-je,
Pris d’une soudaine inspiration –
Il ne faut pas seulement
Le regarder d’en haut ! »
Alors
Touché par cette révélation
je change d’altitude
Et
les bras serrés au corps
Les mains dans les poches bien enfoncées
Avec application
J’observe à mes pieds le manège des pigeons,
Compères claudiquant, silencieux et modestes
À qui nous ne prêtons guère attention.
Le tiers-monde des oiseaux,
Petit peuple des laissés-pour-compte,
S’aventure entre nos tables
Quêtant des miettes à picorer…
Je les observe et me dis :
Que ferions-nous
Si,
D’aventure
dans la nuit,
Les pigeons de Paris se changeaient en géants
Et marchaient dans la rue
Pour réclamer leur dû ?…
Pendant que, mâchonnant mes vers,
Je médite intensément
Sur cette question
Plus importante qu’il n’y paraît
Le jour – qui, visiblement
N’en avait rien à faire –
S’en va
Et toi,
Tu ne viens pas…
Il se fait tard,
Nous nous sommes manqués.
(Peut-être es-tu déjà rentrée ?…)
Ah ! Ne me dis pas ce soir
Sur un ton de reproche :
« Où étais-tu passé ?
Pourquoi ne m’as-tu pas cherchée ? »
Ne me dis pas que toi aussi tu étais là
Que tu t’impatientais
Deux étages plus bas…
Moi,
Je t’attendais,
J’étais dans les nuages
Et j’y ai pris froid.

samaritaine

Fable tirée de l’histoire de la République de Weimar

Lundi 14 juin 2021

rot front

Dans les rues de Berlin défilent
Menaçantes, les chemises brunes.
Et face à eux, marchent au pas
Les bataillons du Rot Front

Le poing levé, contre les Nazis
Et le ministre social-démocrate, Carl Severing,
Qui veut mettre hors-la-loi le Rot Front.
(On sait qui tira les marrons du feu).

Entre Severing et le Rot Front
Ce n’était pas une petite question d’ego,
De défense d’intérêts d’appareils,
De prééminence ni de concurrence
Électorale. Entre les sociaux-démocrates
Et le Rot Front, il y avait le sang
De Karl Liebknecht et celui de Rosa.
Leurs raisons étaient des plus sérieuses.
(Pourtant, nous savons
qui tira les marrons du feu).

Le 30/V/2021

Rot Lux et Liebkn

La Fontaine de Jouvence

Dimanche 6 juin 2021

Fontaine

Le temps qui passe nous fait offense
Mais notre amour semble durer.
Serait-ce donc affaire de chance
Ou d’humaine nécessité ?

De grand vouloir aussi, je pense
Le long désir de s’entr’aimer
Nous fait sourciers de transparence
À l’antre obscure des baisers.

Il faut pour faire l’amour durer
Le feu, la fougue et la patience…
Aimer de toute éternité
Nous est Fontaine de Jouvence.

Le 9/V/2021