Voici le poème de Cause commune sur le Chili… curieusement de saison.
Lettre à des amis chiliens
à Sergio Ortega
Le Chili
est entré par la fenêtre
avec un foulard grossier de laine autour du cou
avec un visage de cuivre, lumineux et profond
avec des mains d’argile
le Chili
est entré dans notre vie
à l’improviste, presque
comme un jour de printemps
Il avait un regard
très vieux – d’enfant
qui disait : « Maintenant
je porte
des pantalons d’homme ! »
et, dans sa main, il tenait
la joie bleutée d’un verre de lait.
Un jour, le Chili
est entré chez nous
avec ses habits de Pauvre
– celui que depuis toujours
sans le connaître pourtant
nous attendions –
Il s’est assis à table
il a partagé entre tous le pain
de la Dignité
et nous a dit : « Mangez !
ceci nous appartient. »
Un jour, le Chili est entré dans notre vie
et depuis
jamais
il n’en est sorti.
Alors, nous nous sommes tournés
vers l’autre côté du globe
et pour vous
mes amis de l’autre hémisphère
nous avons réappris
notre géographie
Nous avons passé la main
sur la longue boutonnière que fait à la planète
votre cordilllère
nous avons couvé des yeux, du coeur
vos vignes sous la neige
vos villes, vos mineurs
nous rêvions de vous écrire
des poèmes d’amour
irradiant d’argent mat
comme des quartiers de lune
qu’on aurait enfermés
dans des bouteilles à la mer
pour que les vagues les emportent
jusqu’au port de Valparaiso…
Ou, dit autrement :
votre patrie étroite
avait pris pour nous beaucoup de place,
étrange et si lointaine
elle nous parut très proche
Elle avait la forme
de notre horizon
(Nous aussi nous avons cru
à la force pacifique des volcans).
Jusqu’au petit matin radiophonique du crime
quand nous avons appris
– dans la rage de l’impuissance –
qu’une botte écrasait
la fleur rouge et boisée
du pays araucan.
Et ce fut alors
– sans en rajouter –
comme si votre terre profonde
comme une blessure
et longue comme un exil
avait plongé dans la nuit australe.
Un jour, le Chili est entré dans nos maisons
et nous avons adopté
les roses du poète aux papiers éparpillés,
les baisers du sel déposés par la mer,
la patience du salpêtre,
les forêts mouillées du Sud,
le sol lunaire du Nord,
vos trains de brume,
vos chants et vos drapeaux.
Toutes ces années
de cette histoire obscure et solidaire
où les sources faisaient leur chemin sous la terre
nous les avons vécues ensemble.
Aujourd’hui,
c’est l’hiver à Paris,
l’été à Santiago.
Les rues à nouveau se sont mises à chanter
et des fenêtres des maisons
s’échappent des papillons.
(Cause commune)