pour Benjamin et Florence
Sur le tertre raviné, à mille mètres d’altitude
au milieu des pins et des blocs de granite rose
non loin de Marvejols
à côté de Saint-Sauveur de Peyre
et de Javols
où sont sortis de terre
des céramiques d’une cité romaine oubliée
de 15 000 habitants
« la Maison de l’ami »
« خانه دوست »(Kaneh doust)
écrit en persan sur le bol bleu du petit-déjeuner
témoignage des voyages
entrepris à deux
et des amours contractées
Avec, sur la table, un livre de Gary Snyder
- Le monde est maintenant partout chez lui
et ici aussi -
(Même dans le hameau de Frayssinet
où j’habitais à l’âge d’un an
et où l’école est à nouveau fermée
le gardien des chèvres parle le hongrois)
Il n’y a plus de « pays perdu à l’extrémité connue des terres habitées »
où un jeune instituteur – mon père -
pouvait se perdre dans une congère
à quelques mètres de la maison.
Dehors, sommeille sur ses rails,
le petit wagonnet d’un train industriel
qui descendit vers la gare
des milliers de poteaux de bois imprégnés de sulfite vert
pour les lignes téléphoniques
(Il y avait ici une fabrique qui a lessivé le sol
Il a fallu après faire venir de la terre de l’Aubrac)
Dans le champ d’à côté, sur le toit du pays
des paysans plantent de l’herbe standardisée
(la bio-diversité en prend un coup)
Mais les champignons organisent en silence leur pacifique explosion
On ne peut plus se promener librement dans la campagne
Même le chemin qui menait au village voisin
est condamné
coupé par une clôture barbelée
(Nul n’échappe à la propriété privée
qui mutile paysage
et humanité)
Je repère dans l’herbe la chevelure emmêlée de l’épilobe
et la petite fleur blanche de l’achillée nobilis
(noblesse toute relative)
Un mouton noir
a de la paille sur le museau
« Où as-tu encore été te fourrer cette nuit ? »
Maintenant, quand ils les tondent, les bergers jettent la laine
(la traiter coûte trop cher)
A quoi pensent les vaches de l’Aubrac en robe marron clair
quand elles nous regardent d’un œil songeur ?
Au coeur du Gévaudan qu’hante encore le souvenir de la Bête
le loup est de retour
Il paraît qu’il traîne en meute dans les bois alentour
(Est-ce la nature qu’il faut protéger ?
Ou l’humanité ?
Rat des villes, rat des champs
nous parlons écologie des villes
écologie des champs…)
Avec les poètes américains – Whitman, W.C. Williams, Ginsberg -
la prose est entrée dans le poème
et ce fut une libération
Les poètes – même les plus réalistes -
égarent toujours leurs affaires
leurs lunettes, leurs stylos, leurs carnets…
Les pieds ici la tête ailleurs
L’hôte accueille la parole de l’autre
(et le poème accueille l’inattendu)
Je reviens dans ce pays où je suis né
ce pays qui n’est plus le mien
mais où je ne suis pas plus qu’ailleurs un étranger
Au petit matin
la vapeur se lève dans la combe qui bleuit
Tu m’apprends à reconnaître les lactaires sanguins
que je rapporterai à Patricia
La poésie n’a pas pour objet l’au-delà
mais le réel
ici et là
comme une cure de jouvence
un rêve d’enfance
La poésie
nous ramène à la fraîcheur des sources
comme un voyage vers la planète Terre
Epouser le monde et ouvrir l’horizon
(le 25/X/2022)