En ce moment, se tient, à Paris, une exposition des portraits de la photographe allemande Gisèle Freund (maison de l’Amérique latine).
Lors du festival de Grenade en Espagne, en novembre 2021, les poètes étaient invités à écrire sur quelques portraits choisis.
J’avais, pour ma part, écrit cinq poèmes.
Sur un portrait de Pablo Neruda
par Gisèle Freund
Sur le portrait photographique
de Don Pablo Neruda
on voit un diplomate,
peut-être un sénateur,
jeune encore et bien portant,
dans un costume anglais
très élégant.
Mais où sont les volcans
de son pays natal ?
Où sont les coquelicots
et le sang dans les rues de Madrid ?
Où sont la cordillère du cuir
les hommes de cuivre
le feu du salpêtre
les grappes violettes de la vigne
et les drapeaux rouges ?
Où sont les oignons, les œillets,
le terrible congre au jus du Pacifique,
les racines des forêts du sud,
les papillons du peuple dont la moisson se lève,
Son rostre de narval
et sa sirène familière
en proue de navire ?
Rafael Alberti
Rafael Alberti a ouvert une fenêtre
et avec un crayon et trois pinceaux
il a fait entrer
dans la sombre maison blanchie à la chaux
de l’Espagne
toutes les couleurs
de son verger marin,
le bleu des orangers célestes
plantés au milieu des vagues,
le jaune d’or d’un soleil
qui fait l’amour dans l’anse,
le vert intense des algues
qui prolifèrent dans les parages
de l’exil et de la nostalgie,
l’ocre des lianes à qui poussent des jambes de femmes,
le mauve de la guitare martyrisée
qui marche pieds nus dans la poussière
de carmin du chemin,
l’argent bleuté du poisson prisonnier
qui chante dans la barque
au clair de lune,
et l’éclair blanc de la colombe au vol populaire.
Nicolas Guillén
Nicolas Guillén
a attrapé la queue d’un crocodile
et l’a apprivoisé
(On ne le voit pas
car il se cache dans la cuisine.
C’est un crocodile timide
et même amical).
Au milieu des livres de sa bibliothèque
Nicolas Guillén joue du tambour
sur les fesses d’une douce reliure
en cuir de Cordoue
pour inviter sa belle
à venir danser.
Perché sur son balcon
Nicolas Guillén écrit des madrigaux
d’amour pour sa révolution
et des messages secrets
clairs comme le jour
sur les pétales blancs
de la mariposa.
À propos de Vicente Huidobro
Tout poète se promène dans la rue
avec sur la tête un invisible chapeau de rêves
et sur le bord de son chapeau transparent d’air
sont assises de petites femmes nues.
Leurs jambes pendent dans le vide
tout autour du chapeau.
Elles font au poète une coiffure de clochettes
et jettent sur les passants des campanules
On peut aussi voir passer sur la passe
de l’invisible feutre
un petit train qui ne respecte aucun horaire
et fleurir dans la fente du chapeau
un jet d’eau,
des cigares et des roses
et un moulin à vent…
Mais tout cela, avouons-le, est des plus ordinaires
Car il n’y a pas que les poètes…
Tous les hommes sans doute
et toutes les femmes aussi
passent dans la rue
coiffés du chapeau invisible de leurs rêves
enguirlandés de folie douce.
Jules Supervielle
Un poète est assis
dans un transat au soleil
(Il refait en rêvant
la traversée de l’Atlantique
sur le pont avant)
Et un fleuve de douceur
coule dans ses mots
d’un continent à l’autre
passant en silence
au-dessus des plus sombres abysses
sur les hauts fonds
de sa conscience.
Frida Kahlo
La poésie est un art visuel
dont on ne peut pas photographier
ni peindre les images
Et la peinture est un poème
qui se passe de mots
Mais il vous laisse l’empreinte
de ses couleurs
la métamorphose
de ses métaphores
la fraîcheur
du bleu
de la maison
de Frida Kahlo
à Mexico
d’où j’ai rapporté
(petit objet en bois
d’artisanat populaire)
une licorne ailée
aux flancs ornés
de grandes fleurs écarlates
parfait symbole
de la poésie
révolutionnaire.
le 5/X/2021
Quelle imagination poétique Francis ! Tes charmants poèmes colorés illustrent avec humour ou légèreté ces portraits de la photographe Gisèle Freund,
Pourquoi pas les envoyer à Juan Alvarez Marquez et à la Maison d’Amérique Latine jusqu’en janvier.
Magnifiques, cher Francis, vraiment magnifiques, ces poèmes à la fois très chaleureusement colorés, pleins de subtile fantaisie et rigoureusement tendres, mais aussi inflexiblement (avec cette douceur intraitable qui t’est propre) inflexiblement tournés du bon, du seul côté possible, celui où oeuvre « la poésie révolutionnaire ».
Je partage les beaux commentaires de Jeanne Marie et de Laurent
J’aime tes poèmes mon cher Francis
Merci de nous laisser les lire, tu devrais en effet les adresser de ma part à François Vitrany
Amicalement
Sylvestre