Le livre à l’encre bleue des mers du Sud

Mon nouveau livre vient de paraître aux éditions Al Manar. Ce livre, né en dormant, a été rêvé avant que d’être écrit. Mais il a été écrit car la vie s’en est mêlée… Ce grand poème d’une centaine de pages, découpé en chapitres où la fantaisie et le merveilleux se mêlent au réel conte une histoire ; il relate l’aventure vraie de l’amour, ses turbulences, le couple et l’individu, le désir et la tendresse, la liberté et la solidarité… « l’affection de l’affection » toujours à propager. Tout amour qui dure vit d’épreuves et de preuves concrètes mais aussi d’imaginaire. Et la poésie, qui peut être le mal, est aussi le remède.

1 - sirène au bain - copie 2

I – Introduction : un rêve

Ce poème a commencé en dormant. Comme une histoire réelle car les rêves ont parfois la propriété de paraître plus vrais que nature. Ainsi ai-je rêvé il y a quelques temps que rendant visite à mes parents dans leur maison du bord de mer, quelque part entre Carteret et le Cap de la Hague, je retrouvais dans un tiroir un cahier (peut-être plusieurs) d’un long poème mêlé de prose que j’aurais écrit assez longtemps auparavant au point d’en avoir oublié jusqu’à l’existence. Mais, l’ayant pris en main, je le reconnus aussitôt. Je me mis à feuilleter ces pages perdues et familières que j’avais recouvertes de mots écrits au stylo-plume d’une encre bleu turquoise. C’est une couleur que je n’utilise pas souvent mais l’écriture ne faisait aucun doute. J’étais bien celui qui avait écrit ce texte oublié et retrouvé. Et non seulement je reconnaissais le tracé des lettres, mais je reconnaissais aussi les thèmes, la trame, les images qui composaient cette espèce de roman en vers, d’autobiographie imaginaire où il était question de poésie, d’amour, d’une sirène peut-être et d’un homme volant… Il y avait dans ces pages beaucoup de vérité en même temps qu’un geyser d’images plus folles les unes que les autres mais toujours évidentes. Je n’avais peut-être jamais rien écrit de plus imaginaire ni de plus vrai. Un livre comme on peut en rêver…

L’impression fut si forte que je me réveillai, plein de la présence de ces pages retrouvées dont j’aurais, me sembla-t-il, sans difficulté pu citer des passages entiers. Il était tard mais, heureux de ces retrouvailles, je me promettais de mettre la main sur ce cahier dès le lendemain matin dans le but de le retranscrire sur mon ordinateur, pour en conserver la trace.

Le lendemain, je dus me rendre à l’évidence : le manuscrit n’avait jamais existé.

J’en serais certainement resté là si, quelques temps plus tard, le même rêve ne s’était reproduit. Et pas seulement une fois. Or, à chaque apparition, l’impression de réalité était la même. Non seulement le manuscrit était là, devant moi, mais j’aurais pu, si je l’avais voulu, (en tout cas est-ce ainsi que je l’imaginais) reprendre ma lecture où je l’avais laissée.

Ce souvenir imaginaire m’a à ce point hanté que, lorsqu’à la faveur de quelques jours de convalescence, je suis retourné chez mes parents en bord de mer, je me suis empressé d’aller dans le studio. C’est un appentis transformé en chambre lambrissée comme la cabine d’un bateau, à l’odeur singulière de sapinière, où j’aime à dormir, à lire et à écrire. J’ai fouillé les placards mais n’ai rien trouvé. Des magazines tricot, un pot de chambre bleu, des dessins d’enfants, des crayons de couleur et des boîtes à chaussures. Mais dans les boîtes, pas de manuscrit ; seulement quelques pots de confiture.

Devoir me rendre à l’évidence n’a cependant pas suffi à me libérer de ce manuscrit imaginaire qui n’avait après tout pour lui que d’avoir été rêvé. Mais n’est-ce pas le sort de tous les livres, les vrais s’entend, que d’être ainsi nés d’un long désir ? Un point en particulier me troublait. Il était clair qu’entre la trame des images généralement heureuses du poème se nouait un drame. Quelque chose comme un double fond de douleur donnait à ce livre l’allure d’une eau limpide dans laquelle on eût pu aisément se noyer. La transparence de la surface où venait jouer la lumière cachait un fond de nuit. Or, je n’ai jamais eu de goût pour la tragédie. Bien sûr, je sais qu’il n’est pas de bonheur sans mélange. Le bonheur est un tissu bleu surpiqué d’un fil noir… Mais, avec un volontarisme que l’on pourra sans doute me reprocher (et qui me le fut parfois) j’ai toujours défendu que le bonheur était une production et la poésie sa fabrique. Et, si l’on met à part ces faits de l’existence que sont la maladie et la mort des êtres aimés, les mille soucis du quotidien, les problèmes d’argent, l’inquiétude pour les enfants que l’on a mis au monde, l’angoisse même parfois de ce qu’ils font et de ce qu’ils deviendront, et sur un plan plus général les déceptions souvent cruelles dont l’histoire a pu nous faire l’offrande, (et aussi ce simple détail qui est d’être mortels), je ne voyais pas ce qui aurait pu dans ma vie donner matière à drame… Le jour, et depuis bien longtemps déjà, je me bats, je cherche et je trouve des solutions et, la nuit, si j’ai parfois des insomnies, je ne désespère pas. Plus que de drame il s’agit d’action. Par la force des choses, mais aussi par formation et par conviction, (plus sans doute que par un penchant de mon tempérament personnel qui s’accommoderait fort bien de ne pas lutter), j’ai depuis longtemps appris que vivre c’est lutter. Et vivre heureux, produire. Si le mot destin a un sens, celui que je partage avec des millions d’autres est des plus communs : il s’agit toujours de se battre et d’aimer. Engagé dans l’action, je ne suis guère tenté de me laisser entraîner dans le puits sans fond de l’auto-analyse, la délectation morose de l’auto-affliction et la neurasthénie. Mais voilà que la vie vous réserve des tours… Rien ne se passe jamais tout à fait comme vous l’aviez pensé. Et par un jeu étrange de miroir entre le rêve et le réel, les faits sont venus, sans que je l’aie voulu, rattraper les mots et leur ont donné vie. Le drame, un drame en tout cas comme il en est des milliers, simple et ordinaire mais pour ceux qui le vivent unique et même exceptionnel, est venu se mêler de la conversation et a bousculé l’ordre du jour de mes actes et de mes pensées, troublant la vie de ceux qui m’accompagnent, l’eau claire dans laquelle nous faisons depuis si longtemps, côte à côte, des mouvements de bras, de jambes, de tête et de cœur.

2 - fresque sciotot

       

    La martingale de la nuit


Comme une réussite
Que tu fais à l’écran
Quand le sommeil te fuit
Voici que se rebattent
Les unes sur les autres
Les cartes de la vie
Avec un mouvement
Mécanique et un bruit
Inéluctable et doux
Un pli fatal, soyeux
Comme un jeu diabolique
Dont j’ignore l’enjeu
Moi qui sur le hasard
N’aimant guère à jouer
Ne mise pas un liard
Voici qu’il me rattrape
Et me sort son brelan
Où je ne sais choisir
Lequel a primauté
Du Roi ou du Valet
Princesse, As, Chambellan
Qui raflera la mise
Et que va faire la Reine
Debout et en chemise
Solitaire dans sa peine
Que j’ai toujours aimée
C’est un jeu mystérieux
Dont le dessin m’échappe
(Et le dessein aussi)
à moi qui n’ai jamais
Aux cartes rien compris.

Martingale est un mot qui sonne en ma mémoire, un de ces mots français plus étranges parfois qu’il n’y paraît car notre langue n’est pas toujours aussi claire que nous aimons à le dire. Elle a ses zones d’ombre, ses doubles sens, ses chausse-trappes, ses fantaisies. Martingale, martingale… cela sonne un peu comme en anglais nightingale, ou en allemand Nachtingall qui chante dans tant de poèmes au petit matin et n’est rien d’autre que ce vieux coucou de rossignol (lequel est aussi la marque d’un couteau Laguiole)… Martingale, martingale… Larousse nous dit que le mot vient du provençal « martegalo », qui veut dire « de Martigues », et désigne indifféremment la courroie qui retient le cheval et l’empêche de donner de la tête et de broncher, la demie-ceinture  cousue au dos d’une capote ou d’un paletot et cette façon, dans les jeux de hasard, d’augmenter la mise pour s’assurer d’un plus grand gain… Où il est donc peut-être question, derrière l’habit de pied en cape de ce mot et de ses jeux, du risque volontairement ou non que l’on prend et de ce qui vous retient… la martingale des baisers… le nightingale des rosiers…

Voici donc l’histoire de ce drame que la joie traverse, cette chanson suspendue à sa dernière note comme un linge sur un fil, quand la pince est cassée et qu’un coup de vent à peine suffirait à le faire s’envoler…

3 - Icare en ville

Et deux extraits :

4. La chanson du dol et de la joie d’aimer

Celui qui aime, aime à douleur 

Car il vit dans le corps d’un autre

Plus léger que paille d’épeautre

Un rien l’inquiète, un rien l’épeure.

Tout cœur d’amant est cœur dolent

Un simple retard, une absence

Un mot parfois, même un silence

Sont suffisants à son tourment.

Ainsi même les amants heureux,

Du bonheur d’aimer sont la proie

Et ce doux tourment est leur joie

Leur beau souci, leur sort, leur feu.

Mais qui aime jamais ne veut

Faire de la peine à qui il aime.

N’en déplaise à bien des poèmes

L’amour est fait pour rendre heureux.

(Je sais, les chants désespérés

Sont paraît-il sans rivaux…

Qu’importe pour moi rien ne vaut

La chanson du bonheur d’aimer.)

(…)

5 – Au pays du mal d’amour

Je roule sur le Périphérique

       avec ma cargaison impuissante d’amour…

Derrière les grandes grues

                   l’horizon rosit au-dessus de Paris

La ville trempe lentement

                               tout à tour

          les doigts de ses tours dans une solution

                   d’eau de Dakin

                       Cela va-t-il suffire pour faire sortir

tout le pus de ses rues

et soigner son mal blanc ? * Quand on aime

l’amour partagé se multiplie (Nous le savons, nous qui avons tant d’enfants…)

(Comme toi, je n’ai pas oublié la longue attente à l’hôpital

Le bip bip dans la nuit

                               du monitoring

Petit satellite sans merci

                               tournant sans cesse

au centre de notre système solaire autour de la planète                                de notre enfant malade.)

Dehors grandit la montagne d’ordures

où s’entassent les couches-culottes

et où s’amoncellent les mouches…

La poésie doit prendre sur son dos toute la laideur du monde

car ce monde est un paraplégique

qu’il nous faut hisser jusqu’au sommet de la décharge

picorée de mouettes

pour lui montrer le large

la mer du côté du soleil levant…  

Je suis en voyage pour la planète Terre où je sais te retrouver.

 

Une réponse à “Le livre à l’encre bleue des mers du Sud”

  1. sophie geoffroy-dechaume dit :

    Francis, tu m’as attrapée dès la lecture de l’introduction… Je veux me procurer ce grand poème!

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