Archive pour août 2024

les Dix Sonnets à l’absente

Samedi 31 août 2024

Un mois après le décès de Patricia, j’ai écrit dix sonnets. Les voici:

 

Les Dix Sonnets à l’absente

 

1993_Portrait Pat - copie

 

1. Le couple

 

Nous étions deux et nous ne faisions qu’un

Chacun lui-même et l’autre en même temps

Chacun vaquant à ses propres affaires

Tous deux ayant ensemble tant à faire

 

En tous les lieux où nous allions ensemble

Il m’arrivait souvent de te chercher

Aurais-je dit : « Sans toi, je ne suis rien » ?

Non, et de même, sans moi tu existais

 

Mais l’un sans l’autre, nous étions incomplets

Nous n’étions pas le reflet l’un de l’autre

Mais l’un dans l’autre pourtant nous reflétions

 

Par bien des traits l’un et l’autre contraires

Si différents et unis cependant

L’un à l’autre le ciel, l’un à l’autre la terre.

(Le 23/07/2024)

 

1972_Départ manif - copie

 

2. La mappemonde

 

Il manque un continent sur ma mappemonde

Amputée d’un flanc la Terre n’est plus ronde

Une tâche aveugle grandit dans la nuit

Car tu as déserté la planète où je suis

 

Une tache blanche s’est répandue sur Terre

La forêt des coraux meurt sous les polymères

La mer se retire et mon rivage est nu

Ce qui fut hier aujourd’hui n’est plus

 

L’absence est contagieuse ; elle occupe l’espace

On a beau te dire qu’avec le temps ça passe

ça ne passe pas… Tu es toujours là

 

Ton absence pour moi prend beaucoup de place

Et le monde a changé pour toujours de visage

Je marche sans raison sur une longue plage

(Le 29/07/2024)

 

2016_Palestine_4 - copie

 

3. La mémoire

 

Je ne suis plus sans toi que la moitié de moi

Et même mon passé par morceaux disparaît

Avec toi la moitié de mes souvenirs part

Ce qui fut s’est perdu dans le fond d’un tiroir

 

Car ce qu’à deux nous avons vécu jamais

Nous n’en avons conservé même mémoire

On vit les mêmes choses et pas les mêmes choses

Comme placés de part et d’autre d’un miroir

 

(Ma mémoire est faite d’images, de climats

La tienne gardait trace des dates et des faits

Sur toi j’accoutumais de me reposer)

 

Moi qui ne vivais toujours que de projets

Vivrai-je maintenant surtout de souvenirs ?

Mais vivre en souvenir c’est déjà mourir.

(Le 31/07/2024)

1986_Ariège_Nous 5 - copie

 

4. L’Arc-en-ciel

 

Comment pouvais-tu ne pas te trouver belle ?

D’emblée ton visage avait su me charmer

Tu avais l’air mutine, espiègle, et décidée

Dans ton ciré jaune je t’avais trouvée belle

 

Et douce sous ton pull aux allures de nuage

« Toutoune » est le surnom que je t’avais donné

(Ce secret entre nous était très partagé)

Nous étions lycéens et c’était de notre âge

 

Nous n’avons pas toujours vécu sur un nuage

Et nous avons connu des grains et des orages

Pourtant nous chevauchions toujours des arcs-en-ciel

 

Et jamais nous n’avons abjuré l’embellie

Qui promet de percer dans le ciel le plus gris.

Ah ! C’est le fait d’aimer qui rend plus beaux et belles.

(Le 1er août 2024)

 

1971_Pat - copie

 

5. La blessure

 

Ô cette grande douleur que j’ai de toi

Et cette blessure qui ne se ferme pas

Et tous ceux qui viennent, sans le faire exprès,

Pour me consoler appuyant sur la plaie…

 

Je me sens parfois comme un lac d’eau salée

Perdu en montagne et qui va déborder

Derrière le frêle barrage des paupières

Une retenue d’eau menaçant la terre

 

Je sais qu’il est normal, bien sûr, de pleurer

Quand je suis tout seul ou que je parle d’elle

Il n’y a là nulle honte ; c’est naturel

 

Me dit-on… Sans doute un jour va tarir

le clair ruisseau des pleurs et puis pour finir

Restera la combe à sec et ravinée.

(Le 1er août 2024)

2016_Venezuela

 

 

6. Le ballon captif

 

Depuis que tu n’es plus tout semble irréel

Tel un ballon-sonde géostationnaire

Je flotte dans les airs par-dessus la ville

Indifférent désormais à bien des choses

 

Ce qui hier m’aurait causé du souci

(par exemple une saisie pour impayé

car j’aurais accumulé trop de PV)

aujourd’hui pour un peu me ferait sourire

 

Je suis un peu ailleurs, j’ai changé d’habits

Ma voiture aussi s’est faite une autre tête

Le monde autour de moi porte un masque blanc

 

Je suis un ballon-sonde au-dessus des toits

(Libre et captif, car toujours relié au sol

par le filin de ceux qui comptent sur moi).

(le 3/08/2024)

 

plage

 

7. La rivière

 

Tu étais pour moi la plus claire des rivières

Et je me baignais dans l’eau de ta fraîcheur

J’ai fait l’expérience de ta transparence

J’ai connu tes remous, tes galets glissants

 

Et le jeu qu’y faisaient l’ombre et la lumière

Je fus arpentant ta berge le pêcheur

Qui plonge inlassable sa ligne et relance

Et le poisson qui remonte le courant

 

Tu fus près de moi la rivière au soleil

qui dort et murmure et me parle au réveil

Je fus l’eau qui court et la terre qui l’enserre

 

J’ai connu tes crues tes moments de torrent

Et j’ai vu aussi tes forces faiblissant

Mais jamais n’ai cru m’exiler au désert.

(Le 3/08/2024)

 

drapeau merle

 

8. Le chemin

aux enfants

« Je suis sur un chemin, il n’y a rien au bout »

m’as-tu dit vers la fin, allongée près de moi

La mort c’est la vie qui continue sans nous

La vie continue, amour, mais pas pour toi

 

Dont la vie pourtant m’importait tellement

Mais le chemin ouvert par toi va plus loin

Nos propres enfants le tracent en marchant

Où les mènera-t-il ? Nous n’en savons rien

 

Qu’ils ne tournent pas comme des écureuils

Dans leur cage prisonniers d’une existence

Sans joie et sans espoir, privée de tout sens

 

Tu voulais qu’ils sachent s’aimer, s’entraider

S’épauler pour mieux surmonter les écueils

Que la vie leur soit comme un tour de potier !

(le 3/08/2024)

cerisier

 

9. Le cadeau

 

Quand tout est passé, que cela semble court !

Que restera-t-il de cinquante ans d’amour ?

Aimer c’est se donner ; c’est aussi donner

Ce qu’on peut aux autres, un sourire, un baiser

 

Une caresse, un câlin dans la nature

Ou peut être aussi un pot de confitures

Pour une enfant une robe de princesse

(De coudre pour elle tu n’auras eu de cesse)

 

Une chanson douce pour conjurer la nuit

Un livre, une idée, ouverte comme un fruit

(Les humains ne se font pas assez de bien…)

 

Un repas partagé, un combat généreux

Pour faire le monde un peu moins malheureux

A défaut, un poème pour dire que l’on aime.

 

Le 3/08/2024

 

orange bleue

 

10. Le rosier

 

Le dernier mot d’amour qu’à mi-voix tu m’as dit

« Je t’aime tellement… » fut le premier aussi

(Nature, tu étais à ta façon pudique)

Le monde autour de nous prend des airs d’incendie

 

Au milieu de ces cendres qu’il faut traverser

tu étais femme-flamme, une fleur écarlate

mais épineuse aussi… tu renaîtras rosier

De l’eau des souvenirs je saurai t’abreuver

 

Pareil au coudrier le lierre s’est noué

comme le chèvrefeuille au buis de notre puits

(Il y a tant de ronces qu’il nous faudra couper)

 

La viorne a envahi le pays de nos nuits

Même éborgnée l’aurore aura raison des guerres

L’arbre de nos amours fleurira sous la terre.

(Le 4/08/2024)

Amboise FC ombre