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Bernard Noël, le compagnon exigeant

Vendredi 16 avril 2021

Bernard Noël

 

Nous avons appris hier le décès de Bernard Noël ; dans la nuit du treize avril, pendant son sommeil, à l’hôpital de Laon. Il avait 90 ans.
Il fut un poète, un romancier, un critique d’art et un essayiste de premier plan.
L’homme était d’une attention, d’une modestie et d’une gentillesse qui touchait tous ceux qui ont eu la chance de l’approcher.
Dans son œuvre, qui compte une centaine d’ouvrages, la poésie occupait une place centrale, élaborant une parole rare, tendue, qui visait à la plus extrême conscience du chant.
Il était certainement l’un des intellectuels les plus lucides que la France ait connu depuis les années soixante-dix.
A la suite de la publication de son roman Le Château de Cène, et du procès qui avait été intenté pour « outrage aux bonnes mœurs », en 1969, il avait écrit l’Outrage aux mots.
Il y formulait le concept essentiel de « sensure ».
Dans la société capitaliste moderne explique-t-il, la censure plutôt que d’avoir recours aux ciseaux d’Anastasie prend la forme de la privation de sens. L’inflation des mots et leur détournement noie la vérité et la pensée critique.
« Le pouvoir bourgeois, écrivait-il, fonde son libéralisme sur l’absence de censure mais il a constamment recours à l’abus de langage ». Ce dont nous pouvons faire l’expérience tous les jours.
Sa pensée et son action étaient éminemment politiques, au meilleur sens. Il entretenait avec le mouvement ouvrier et les communistes des rapports de proximité exigeants, car il en éprouvait vivement à la fois la nécessité et les insuffisances.
Sa passion pour la Commune est connue et son Dictionnaire de la Commune vient fort heureusement d’être réédité (par l’Amourier). Il nous avait aussi fait découvrir en 1981  l’Etat et la révolution, du communard Arthur Arnould, qui devançait Lénine…
Il a toujours suivi avec une attention amicale le travail et les combats que nous avons menés pendant des années, au Temps des Cerises, où il avait publié avec Alain Marc un livre d’entretiens.
Après les émeutes en banlieue, en 2005, il avait rejoint l’initiative de la Revue Commune pour relancer l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires afin de manifester l’actualité de l’idée révolutionnaire.
En 2013, il m’avait fait l’amitié d’une préface pour mon recueil, Si les symptômes persistent consultez un poète. Il y écrivait notamment : «  Quand le mensonge se généralise et dénature la réalité, nommer les choses et l’état de nos relations aux autres et au monde est la meilleure manière de nous faire entrer en résistance ».
Il avait donné aussi un important entretien à la revue Zone sensible que je publiais à la Biennale des poètes en Val-de-Marne.
Ces derniers mois encore, il nous avait exprimé clairement son soutien lors de la crise des éditions Le Temps des Cerises.
Régulièrement, j’avais le plaisir de recevoir de lui de petits mots fraternels et attentifs rédigés de son écriture précise et fine. A l’image de sa pensée et de sa personnalité.
Oui, il va nous manquer…
 Bernard Noël aear 2005

« PRATIQUE DU NOM »
Bernard Noël
(Préface au recueil de Francis Combes Si les symptômes persistent consultez un poète, Le Merle moqueur, 2013.)

Nommer une chose, c’est la faire exister et, bien souvent, la créer. On oublie trop souvent ce rôle essentiel de la nomination, et qu’elle agit comme un révélateur capable de nous armer d’une prise de conscience. Savoir nommer est donc particulièrement précieux dans une époque – la nôtre – où le pouvoir a fait de la confusion verbale un outil de soumission auquel les media donnent une efficacité redoutable. Le temps n’est plus du choix facile entre collaboration et résistance, entre exploitation et engagement social, bien que cette alternative subsiste et même aggrave les différences sous le masque de la démocratie. Quand le mensonge se généralise et dénature la réalité, nommer les choses et l’état de nos relations aux autres et au monde est la meilleure manière de nous faire entrer en résistance.
Cependant, pour nommer, il ne suffit pas – sauf cas rare et exemplaire – de donner son nom véritable à telle chose, tel fait, telle attitude : il faut insérer ce nom dans un développement qui en éclaire la situation. D’où une réflexion qui a besoin de s’étendre pour démontrer sa pertinence. Cela donne aujourd’hui des essais, des articles, éventuellement des fictions ou du théâtre, qui dénoncent, instruisent et fournissent les éléments d’une information juste mais dont l’effet est rarement immédiat. Le discours politique devrait être l’agent par excellence de la prise de conscience, sauf qu’il a véhiculé tant de mensonges que, du moins pour l’heure, il n’est plus crédible.
L’espace est donc libre pour que quelqu’un prenne le risque d’inventer une nomination qui soit inattendue, surprenante et assez simple dans sa formulation pour devenir populaire. Toutes ces qualités sont réunies dans Si les symptômes per- sistent, consultez un poète que son auteur, Francis Combes, a heureusement sous-titré « Poèmes politiques ». Devant pareille étiquette, qui défie la mode côté poètes, côté media et côté politiques, comment ne pas éprouver d’emblée un mouvement de sympathie ?
L’ironie et un humour assez agressif colorent les titres des deux premières parties : « Poèmes sans domicile fixe » et « Poèmes rayon produits frais » : la chose vue dans la rue y devient fable et témoignage : scène typique. Quelques vers suffisent à faire exister la réalité de l’image, quelques autres à en tirer la leçon. Le tout, léger mais tranchant, dénonce le mal social actuel par l’évidence. Quand le poème s’allonge, et c’est fréquent, il pourrait devenir chanson bien qu’il garde toujours l’allure du constat. Pas d’indignation, pas d’appel à la révolte, car les deux sont les conséquences qu’appelle naturellement la lecture. Le message a confiance suffisamment dans la valeur de son énoncé pour ne rien lui ajouter d’autre que la forme du poème. Tout juste, les derniers vers se permettent-ils de suggérer que s’unir, un peu, pourrait changer, beaucoup, « ce monde inégal ».
Pourquoi ne pas déduire de cette discrétion, alors que la démarche générale va nettement contre « l’inégal », que Francis Combes croit assez dans les effets révolutionnaires de la nomination pour ne rien leur rajouter. Ainsi redonne-t-il sa valeur à la notion d’engagement en démontrant – sans le dire – qu’il relève d’abord d’une pratique de la langue et non d’une profession de foi politique.
Bernard Noël
août 2013
symptome

Lauwrence Ferlinghetti

Mercredi 24 février 2021
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Lawrence Ferlinghetti, l’une des principales figures de la Renaissance de San Francisco, l’éditeur de la Beat Generation, le fondateur de la librairie City Lights Books vient de mourir à l’âge de 101 ans, ce 22 février 2021. Un très grand poète, simple et merveilleux.
J’avais eu le bonheur de le rencontrer à deux reprises à San Francisco, en 2007 et 2009.
J’ai écrit ce poème en 2011

Pour Lawrence Ferlinghetti

Ce frère en poésie
est un distributeur de joie.
Il vend (gratuitement)
du côté de North Beach
ou de l’Embarcadero

des cornets de glace bleu ciel.
D’après les analyses spectro-chimiques
elles ne contiendraient
aucune substance hallucinogène
mais ceux qui la goûtent
s’en vont en gambadant
tout nus dans la rue
sans tenir compte des flics
des militaires et des curés.
Quant à sa barbe-à-papa
elle provient des touffes de nuages
que ce garnement de 90 ans
arrache de temps en temps
aux poils célestes du bon Dieu
et à ses anges gardiens.
Puis, heureux de son méfait,
il saute sur son vélo
et disparaît en pédalant
derrière les collines
de San Francisco.

Francis Combes
le 11/5/2011

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Nazim Hikmet, le chant de la fraternité

Dimanche 15 juin 2014

Mon dernier papier dans Cerises numéro 222.

A lire ici.

Nazim

Engels, le Bon Compagnon

Dimanche 9 février 2014

Mon dernier papier dans Cerises : Engels, le bon compagnon.

Karl Marx;Friedrich Engels

Marx, le bonheur de la libération dans Cerises

Samedi 25 janvier 2014

Marx

Mon dernier papier dans Cerises : Marx, le bonheur de la libération.

Flora Tristan, l’insoumise

Samedi 11 janvier 2014

Flora

Mon dernier papier dans Cerises : Flora Tristan, l’insoumise

Cinq ans avant le Manifeste communiste, Flora Tristan avance que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

livres flora

Jean Métellus

Jeudi 9 janvier 2014

Mon ami Jean Métellus est décédé samedi 4 janvier 2014. Je reviendrai prochainement sur sa poésie, son écriture, mais je voudrais pour lui rendre hommage déjà publier ce poème.

 

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A pas rapides…

A pas rapides, l’homme marche vers son destin et l’envers de sa prière
Front tatoué d’une étoile, il avance pesamment

Saisi à la gorge par l’emprise d’un mot,
Manipulé par son audace et ses vœux,
Traité tel un enfant par un père impérieux, au cœur fier, celui qui contrôle les océans et les forêts, l’éclat de la puissance et l’empire des richesses
L’homme maudit les chiffres

Que de sueur pour une minute de vérité

Un vent lugubre brasse les morts et les vivants
Saoule le souvenir
Ma brume appelle les cendres

Le cortège des lettres, la procession des sons, modèlent toute forme
Balisent la page nue
Les plaisirs de l’ouïe, la volupté du regard
Libèrent le règne de l’action

(Voyance, 1985)
repris dans Figures d’Haïti
anthologie établie par Jacques Rancourt
Le Temps des Cerises / Les écrits des forges 2005

André Benedetto

Lundi 13 juillet 2009

André Benedetto dans articles moz-screenshot-1moz-screenshot-2 dans articles

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André Benedetto vient de mourir, des suites d’une embolie, en plein Festival d’Avignon. Directeur du Théâtre des Carmes, président du festival off, Benedetto était un auteur et un homme de théâtre infatigable, un combattant. Il était aussi, et peut-être avant tout, poète. Je me souviens du grand courant d’air frais que j’avais senti passer dans la poésie française après avoir lu « Urgent crier » et « Les poubelles du vent », publiés par Pierre Jean Oswald. André était l’une des rares voix poétiques nées du tremblement de terre de mai 68…  il serait bien nécessaire de rendre justice à cette aspect si nécessaire de son activité, si éloigné d’une conception seulement littéraire de la poésie…  Je le connaissais depuis les années quatre-vingt. A l’époque, nous  participions ensemble, régulièrement, aux lectures organisées par les poètes de la revue Parole,  (alors que les lectures n’étaient pas si répandues qu’aujourd’hui), aux côtés de Christian Gorelli et Bernard Gueit, avec des poètes comme Yvon Le Men ou Serge Pey. La dernière fois que je l’ai vu, c’était l’été dernier, où nous avions lu ensemble, avec Carlos Laforêt, dans son théâtre, pour marquer la sortie de l’anthologie « La poésie est dans la rue » à laquelle il avait participé. Il avait aussi publié au Temps des Cerises son monologue sur la Palestine « L’homme aux petites pierres ». Avec lui, c’est un camarade, un frère qui s’en va. Sans lui, on se sentira un peu plus seul.

Surréalisme à Montréal

Lundi 1 juin 2009

Du 25 au 30 mai, Francis Combes était invité à participer au Marché de la poésie de Montréal, à cette occasion il a fait plusieurs lectures de ses poèmes, eu des rencontres avec des radios et participé à un colloque sur le thème :  » Héritages du surréalisme ». Voici le texte de son intervention sur l’influence (ou non) du  surréalisme dans la poésie française d’aujourd’hui.

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Le surréalisme

 

et la poésie française d’aujourd’hui

 

ou

 

Le cadavre dans le placard

 

I

Les surréalistes ont usé et parfois abusé du mot cadavre.

On connait les cadavres exquis, du nom de ce jeu surréaliste inventé par Prévert et qui consiste à écrire un texte à plusieurs mains, sans savoir où l’on va, simplement guidé par le mot précédent, le hasard et les rencontres inattendues de l’inconscient.

Mais le terme de cadavre fut aussi utilisé pour qualifier et disqualifier ce qui leur semblait intellectuellement et poétiquement dépassé, pour proférer des malédictions, jeter des sorts et condamner ce qui leur semblait mort. Ce qui, d’une certaine façon montre que les surréalistes se tenaient du côté de la vie.

C’est le terme qu’ils avaient employé, non sans une certaine injustice, en 1924, envers Anatole France qui personnifiait pour eux toute une tradition de réalisme positiviste et de  clarté, (« la clarté confinant à la sottise, la vie des chiens » ; pour reprendre les mots, péremptoires comme une machine à coudre », de Breton dans le premier Manifeste du surréalisme) quand bien même cette clarté,  en ce qui concerne Anatole France, venait en droite ligne du XVIIIème siècle rationaliste et émancipateur.

Mais pour ces jeunes gens, cette clarté classique était le comble de l’horreur et représentait la soumission de la parole aux plates  nécessités de la communication, de la logique et de la raison que la guerre et le tournant du siècle avaient à leurs yeux brutalement fait descendre de leur piédestal.

  « Un cadavre » est aussi le titre qui fut choisi, lors des polémiques internes au mouvement surréaliste, en 1930, par les douze signataires du pamphlet contre André Breton (parmi lesquels Desnos, Bataille, Prévert, Masson, Artaud…. A quoi Breton voulut répondre par le second Manifeste du surréalisme).

Aujourd’hui,  on peut se demander si ce n’est pas le surréalisme lui-même qui pourrait être traité de cadavre, même si c’est un cadavre qui se porte bien…

Ce mouvement intellectuel, artistique, poétique et dans une certaine mesure politique a sans doute été la principale aventure esthétique née en France au XXème siècle. Il a dominé l’entre deux guerres, avec les œuvres  de Breton, d’Eluard, d’Aragon, de Desnos et de beaucoup d’autres.

Après guerre, il trouve des prolongements dans des œuvres très différentes mais de premier plan : notamment celles de Prévert, René Char, Pichette et bien sûr, Aimé Césaire.

Et on en trouve même un écho chez Gaston Miron, mais avec une grande évolution, car, comme chez Eluard, ou comme chez son compagnon Césaire, Miron utilise les ressorts de l’inconscient au service d’une poésie qui est délibérément une poésie de la conscience.

Le surréalisme présente d’ailleurs cette caractéristique d’avoir été un mouvement spécifiquement français, ne serait-ce que par cette révolte contre le cartésianisme ; sans doute moins évidente à comprendre dans des pays où le merveilleux n’a pas été refoulé comme il le fut dans la culture française classique.

Mais, du fait de cette particularité, justement, pour ne pas dire de ce particularisme, il a été, sur la lancée de l’esprit nouveau d’Apollinaire, un grand moment d’ouverture et de curiosité envers les autres cultures, notamment celles que l’on disait primitives, qu’elles soient africaines ou amérindiennes.

Et cela n’est sans doute pas pour rien si le mouvement a fait des émules à l’étranger ou a rencontré des mouvements frères ou cousins dont l’esprit était relativement proche, tels le poétisme tchèque ou l’automatisme québécois…

De nos jours,  il n’y a en France que quelques poètes qui continuent de se réclamer du surréalisme  ou qui en ont très visiblement subi l’influence (On pourrait peut-être citer les noms d’Alain Jouffroy, Jean-Pierre Faye,  René de Obaldia, Gherasim Luca, ou Vénus Khoury Ghata…)

Le mouvement lui-même a à peine survécu à la mort de Breton, en 1966. En 69 Jean Shuster annonçait son décès dans Le Monde. Bien qu’il y ait toujours à Paris un groupe surréaliste qui se réunit et publie des textes.

Mais,  pour l’essentiel de la poésie française d’aujourd’hui, le surréalisme paraît loin et oublié, mort et occulté.

Même si son cadavre régulièrement exécuté n’a jamais été vraiment enterré.

Il reste, dans une certaine mesure, un impensé omniprésent.

J’oserais dire que le surréalisme est aujourd’hui le « cadavre dans le placard » de la poésie française.

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II

 

En effet, depuis plus de cinquante ans, la plupart des œuvres majeures qui ont dessiné le visage de la poésie française contemporaine, se sont constituées en dehors, voire contre le surréalisme.

Si l’on veut parler d’héritage, il faut d’abord dire que la plupart des poètes français contemporains l’ont rejeté.

A dire vrai, ce phénomène a commencé déjà en pleine période surréaliste et parmi ceux qui en ont été les principaux protagonistes.

C’est vrai de Soupault (qui fut le co-auteur des Champs magnétiques, avec Breton et qui partage avec lui la paternité de l’écriture automatique).

C’est vrai de Desnos, qui fut avec Crevel l’initiateur des sommeils surréalistes et, de l’avis général, le plus doué des animateurs des séances organisées par le groupe. Desnos qui commet le crime de se lancer dans le journalisme et d’écrire des alexandrins, avec une facilité et une aisance coupables…

C’est vrai d’Artaud, aussi. D’Aragon et d’Eluard, bien sûr, à des moments différents et de façons différentes.

On sait comment les surréalistes ont été déchirés par leur commune volonté de conjuguer le « changer la vie » de Rimbaud et le « transformer le monde » de Marx. Comment ils se sont divisés autour de la question de l’adhésion au parti communiste, et comment les conflits au sein de la IIIème Internationale, entre Staline et Trostky notamment, ont eu des répercussions sur le groupe.

C’est certainement sous l’effet des circonstances historiques, notamment de  la montée du péril fasciste et de la guerre d’Espagne, mais c’est poétiquement que la plupart des inventeurs du surréalisme se sont rapidement distanciés du mouvement qu’ils avaient créé.

Aragon qui déjà en plein surréalisme avait contrevenu aux principes du groupe en se lançant dans l’écriture d’un roman, il est vrai hors norme et finalement sacrifié, La Défense de l’Infini, à la veille de la guerre, pour parler au plus grand nombre, retrouve, sur les brisées d’Apollinaire, toute la musique de la poésie française, réhabilitant par exemple la tradition des troubadours, dans son invention d’une poésie nationale au temps de la Résistance, pendant laquelle il organise les écrivains dans la clandestinité alors que Breton et Péret ont choisi l’exil. 

Et Eluard aussi qui, porté par la clarté intérieure de sa poésie, n’a cessé d’aller vers plus de simplicité jusqu’à devenir le grand poète de l’amour et de la liberté que l’on connait, l’un des poètes français les plus populaires de tous les temps. Mais a bien y regarder, on constatera que cette évolution était déjà en germe dans ses poèmes de l’époque surréaliste. Certains de ses vers ou des ses images qui pouvaient paraître arbitraires, donc véritablement surréalistes selon les critères du Manifeste, nous paraissent aujourd’hui lumineuses et simplement évidentes.

Comme ces vers de l’Amoureuse :

Elle est debout sur mes paupières

Et ses cheveux sont dans les liens

Elle a la forme de mes mains

elle a la couleur de mes yeux

Elle s’engloutit dans mon ombre

comme une pierre sur le ciel.

 

ou bien le très célèbre :

la terre est bleue comme une orange

suivi de celui-ci :

jamais une erreur les mots ne mentent pas.

 

Au-delà de l’évolution de ces pères fondateurs, il faut constater que les grands aînés de la génération suivante se sont tous affirmés en rupture avec le surréalisme.

C’est notamment le cas de Guillevic et de Ponge, qui, chacun à sa manière délaissent le territoire des rêves, les « nuées poétiques » du surréalisme, et vont délibérément  s’intéresser, dans une démarche que l’on pourrait qualifier de « matérialiste », aux choses les plus concrètes, aux pierres, aux éléments, aux objets usuels.

En fait, ces poètes partageaient avec leurs aînés surréalistes la conviction que la poésie était, par des voies certes différentes de celles de la science ou de la philosophie, un instrument de connaissance, mais ils ont changé le champ de l’investigation verbale pour reprendre, comme Antée, pied sur terre. 

Salubre mouvement de réaction qui a eu, sans doute plus du côté de Guillevic que de Ponge, des effets sur la suite et une influence sur les poètes plus jeunes.

Outre ces poètes de la matière, une autre tendance en réaction au surréalisme s’est affirmée de multiples façons : c’est celle des poètes que je nommerai les nouveaux rhétoriqueurs.

J’entends par là tous ceux pour qui la poésie est d’abord un art des mots (alors que pour les surréalistes, il s’agissait d’abord d’une aventure vitale et l’essentiel n’était pas, a priori, de rechercher un effet esthétique).

Cette tendance à privilégier la combinatoire verbale et le travail sur l’écriture, a caractérisé des tendances en apparences aussi contradictoires que celle de l’Oulipo (de Raymond Queneau à Jacques Roubaud) et leur dimension ludique, ou que les expérimentations des années soixante-dix, autour des revues Action poétique, Tel Quel ou Change, influencées par une certaine lecture structuraliste du marxisme.

Certains de ces poètes reprenaient volontiers à leur compte une formule de l’Aragon des années soixante : « La poésie est la mathématique du langage », formule prise au pied de la lettre, dans un esprit de laboratoire, qui tendait à faire de la poésie un pur travail d’écriture, si possible débarrassé de la contamination par les sentiments et les idées.

 

Même si ce mouvement venait souvent de poètes socialement et politiquement engagés dans leur vie de citoyens, la poésie se voyait assignée des tâches linguistiques et non plus le vieil impératif rimbaldien de Changer la vie.

C’est sans doute là la rupture essentielle : l’abandon du projet romantique que le surréalisme avait repris à son compte et prolongé. Ce romantisme, tel qu’on le trouve chez les grands romantiques allemands et français, de Hugo ou Novalis, jusque chez Rimbaud et Lautréamont réside dans ce qu’on pourrait nommer la nostalgie d’une autre vie, que celle-ci soit située dans un autre lieu ou dans un autre temps, passé ou futur, quoi qu’il en soit,  « ailleurs »… C’est d’ailleurs exactement par ces mots que se conclut le premier Manifeste du Surréalisme : « L’existence est ailleurs ».

Le romantisme refuse la prose des jours, la vie bourgeoise et raisonnable dominée par les préoccupations du tiroir-caisse. Il porte en lui une nostalgie qui peut être régressive ou progressive, mais toujours la nostalgie d’une autre réalité.

« L’homme, dit d’entrée de jeu le Manifeste, ce rêveur définitif de plus en plus mécontent de son sort… » Et ce sentiment non seulement nourrit la poésie, mais il la justifie, car celle-ci a pour mission de transfigurer le réel, d’opérer l’alchimie qui permettra de changer le plomb en or.

« Je cherche l’or du temps » est-il écrit sur la tombe d’André Breton.

Or c’est bien cet objectif qui semble avoir été abandonné.

Il  y a sans doute peu de poètes français aujourd’hui (à la différence par exemple de ce qui se passa aux Etats-unis avec la Beat Generation) pour considérer que la poésie ait le pouvoir de révolutionner la vie et soit une expérience de vie, avant même d’être une discipline artistique.

Pour la plupart de nos contemporains, écrire est une activité de caractère essentiellement  littéraire. Même si elle engage l’existence.

Il est à noter que les divergences de nature politique au sein du mouvement ont contribué à cet abandon. Je pense au Déshonneur des poètes, de Benjamin Péret, qui, au nom des principes même du surréalisme, fustigeait l’engagement en poésie. Alors que les surréalistes qui avaient fait le choix de la poésie de la résistance avaient la conviction de rester fidèle à l’impulsion initiale du surréalisme, et en tout d’un « surréalisme au service de la révolution ».

En va-t-il de même avec la plus jeune génération ? Je ne sais pas vraiment.

Au Québec, il de nombreux jeunes poètes semblent redécouvrir ou réinventer le surréalisme.

Mais en France, la situation est tout autre…

La production d’une partie des jeunes poètes en  France est marquée par l’influence  du rap et du slam. Peut-être certains d’entre eux pourraient-ils placer leur activité sous le signe de Rimbaud et des surréalistes.  Mais je ne les entends guère le faire. Et quand je lis les textes qu’ils produisent, (et qu’il m’arrive comme éditeur de publier), je constate qu’ils sont du point de vue de l’écriture, très loin  de l’esthétique (car il faut bien parler d’esthétique) de la poésie surréaliste.

Ainsi, les poètes de cette génération  se distinguent par le fait qu’ils ont  redécouvert la rime et les rythmes réguliers, qui avaient été quasiment abandonnés par leurs prédécesseurs. Ils en font même le critère de la qualité poétique. Pour certains d’entre eux, un poème non rythmé ne saurait être un poème.

Par contre, toutes tendances confondues (des « slameurs » aux poètes « ultra littéraires ») ils pratiquent très peu l’image et en particulier très peu la métaphore, qui avait pourtant, sous l’influence du surréalisme, exercé un véritable empire sur la poésie française du XXème siècle. Cette prédominance de l’image était évidemment d’autant plus forte que le poème, dans la plupart des cas, ne pouvait plus s’appuyer sur les autres ressorts traditionnels que sont le rythme et la rime. Seule l’assonance gardant encore droit de cité. Mais plus fondamentalement, il y a eu, au siècle passé identification de la poésie et de l’image, de la poésie et de la pensée analogique ou associative.

 

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Ceci étant, on peut ainsi avancer l’hypothèse que la plupart des poètes français du XXème siècle, même s’ils ont,  pour beaucoup d’entre eux, refusé l’héritage, sont quand même tous héritiers (mais si tous n’ont pas reçu la même part en héritage).

Tous les poètes français contemporains collaborent, dans des proportions sans doute variées, avec leur inconscient. (Ce que les poètes, me direz-vous, faisaient déjà avant le surréalisme et continueront de faire après). Sans doute… mais de manière probablement plus consciente des virtualités, précisément,  de l’inconscient.

Les surréalistes menaient combat contre l’empire de ce que Breton nommait le « rationalisme absolu ». «  Nous vivons encore sous le règne de la logique » écrivait-il. Et dans les Notes sur la poésie, écrites en 1936, en collaboration avec Eluard, tous deux ont cette formule assez péremptoire : « Un poème doit être une débâcle de l’intellect ».

Aujourd’hui, les poètes français  n’instruisent plus le procès de la raison, mais en même temps bien peu fondent leur poétique sur la dialectique du raisonnement.

(A la différence par exemple de ce qui se dominait autrefois, dans la poésie française, avec des auteurs comme Corneille, Boileau, au XIIème, la plupart des poètes du XVIIIème  et, en grande partie, Hugo au XIXème siècle… J’évoque là non seulement les thèmes, le « contenu », mais aussi la forme, en pensant par exemple au vers antithétique des tragédies classiques et de Hugo.  Ou bien dans la poésie allemande du XXème siècle,  avec Brecht  et ceux qui ont suivi, comme Heiner Muller ou Volker Braun).

En France, c’est toujours la « bouche d’ombre » qui parle.

Plus encore, je pense ne pas trop m’avancer en affirmant que pour la plupart des poètes français contemporains la poésie est une affaire interne au langage. Elle trouve sa source dans l’inconscient de la langue, les connotations, la dimension associative du langage pour parler comme Roland Barthes et elle procède d’un agencement inédit des mots.

C’est sans doute une certaine dérive par rapport aux idées originelles du surréalisme qui refusait que la poésie fût d’abord une forme de la littérature, mais je pense que cette conception en  découle malgré. N’est-ce pas les surréalistes qui ne cessaient de répéter que la pensée naît dans le langage ?

Liée à cette conception, l’idée est aussi généralement admise qu’un vrai poète doit être profondément singulier, différent des autres, original et neuf, parce qu’exprimant (comme personne)  la plongée dans un inconscient individuel par définition irréductiblement singulier.

Mais, peut-être est-ce justement sur ce terrain que s’esquisse un nouveau dépassement du surréalisme.

Je tiens pour ma part que l’un des phénomènes les plus neufs et les plus intéressants en jeu dans la poésie française d’aujourd’hui est que se dessine, en pointillé pour l’instant, une conception nouvelle de la figure humaine.

Toute la modernité du XXème siècle, en France, s’est bâtie sur la formule de Rimbaud : « Je est un autre ».

Ce que Breton développait dans le Second manifeste en écrivant :

« Rappelons que l’idée de surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique par un moyen qui n’est autre que la descente vertigineuse en nous…. »

 

Or nous sommes peut-être en train de passer à l’idée que « Je est tous les autres », ou, dit autrement, que « l’autre est aussi je » ; qu’en fait nous avons tous à peu près le même paquet de secrets, de rêves, de fantasmes… que nous ne sommes pas si différents que nous le croyons les uns des autres ; et c’est d’ailleurs ce qui fonde la possibilité du poème ; la possibilité qu’une production personnelle touche l’autre et devienne son bien propre.  

Et, à un moment où, dans le champ social, nous commençons à mesurer très clairement la catastrophe où conduit le règne absolu de l’individualisme, il se joue peut-être là quelque chose dont on ne mesure pas encore toutes les implications poétiques, philosophiques, mais peut-être aussi politiques.

Il me semble qu’il y aurait là matière à remettre sur le chantier le vieux programme romantique des surréalistes, changer la vie, mais certainement dans un autre rapport que ce qu’ils envisageaient à cet autre mot d’ordre qu’ils revendiquaient aussi (et qui vient de Marx) : transformer le monde. 

Cela devrait nous conduire à renouer avec la définition du surréalisme que donnait non pas les surréalistes mais, avant eux, Apollinaire quand, dans la préface à sa pièce Les Mamelles de Tirésias, il utilisa pour la première fois ce terme qui devait connaître le succès. Pour lui, le surréalisme ne définissait pas un programme de plongée en apnée dans les hauts fonds de l’inconscient, c’était plutôt une sorte de super-réalisme en rupture avec le plat naturalisme qui encombrait à ses yeux le théâtre.

« Et pour tenter, sinon une rénovation du théâtre, du moins un effort personnel, écrivait-il,  j’ai pensé qu’il fallait revenir à la nature même, mais sans l’imiter à la manière des photographes. Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir. »

Ce super-réalisme, qui ferait toute sa place à l’imagination et à l’utopie transformatrice, c’est ce que je nomme une poésie ou un art transformel, qualité dont je trouve des traces dans de nombreuses œuvres du passé comme du présent.

Nous avons grand besoin aujourd’hui d’une poésie qui sans ignorer l’inconscient et sans cesser d’être belle, inventive et folle, soit d’abord une poésie de la conscience, de la lucidité, en clair, une poésie de délirante hyper lucidité.

 

Francis Combes

Montréal, le 26 mai 2009.

 

 

 

 

 

Vive la poésie bachique !

Dimanche 17 mai 2009

 

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D’Anacréon à Ronsard, en passant par Li Taï po ou Omar Khayyam, la poésie bachique, (de Bacchus), qui chante les joies du vin (et ses peines) a une grande tradition, notamment en France. Mais il semble qu’en cette époque de retour à l’ordre moral, (sous l’effet sans doute de l’obsession sécuritaire et de la dictature généralisée du « principe de précaution ») cette tradition soit aujourd’hui menacée d’extinction… A part quelques heureuses initiatives, comme la parution, il ya quelques années d’un florilège sur les poètes et le vin aux éditions Obsidiane. Pourtant, écrire sur le vin, c’est écrire sur le plaisir et le travail, la liberté et la contrainte, l’ivresse et la sagesse, la vie et la mort… Il se pourrait donc que défendre la poésie bachique devienne aujourd’hui une nécessité poétique, voire peut-être politique. Ayant planté quelques pieds de vigne de sauvignon dans le Sancerrois, il y a maintenant une quinzaine d’années, et produisant chaque année une centaine de bouteilles, j’écris un quatrain destiné à l’étiquette de l’année… Au fil des ans s’est ainsi constitué un recueil de 101 quatrains bachiques dont j’offre bien volontiers à qui le veut  un premier verre…

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Le vin des hirondelles

 

 

Déjà Anacréon et Alcée…

Entre deux belles, le front ceint de roses, au banquet,
Anacréon disait :  Avec modération
Buvons, goûtons la vie et la conversation,
Avant qu’en poussière la mort nous ait tous changés.

*

De l’homme dégarni qui joue les galants
Déjà les belles se moquaient… Et pourtant
Près de sa fin, tout homme aime sentir en lui
Qu’il n’est pas mort ; qu’il désire encore ; qu’il vit.

*

Horace

 

A Tibur, loin des honneurs et des charges,
De temps en temps, inviter un ami,
C’est là la vie simple que peut apprécier
Celui qui connût les honneurs et les charges.

*

Horace, qui fus fils d’esclave affranchi
Tu as connu l’amitié des plus grands
Et tout en vivant dans leur compagnie
Toujours tu t’es voulu indépendant.

*

Tu sais qu’en toute chose il faut garder mesure ;
Qu’il n’y a pas de plaisir sans un peu de vertu…
Mais que dans la vertu, il ne faut pas d’excès.
C’est de toi que nous vient cette idée du bonheur.

En pensant à Omar Khayyam

Le temps est un vin qui sans fin s’enfuit ;
En vain tente-t-on de le retenir.
Mais à boire de bon cœur, à planter et produire,
Tout en vidant ta coupe, sans fin tu l’emplis.

*

«  Comme un verre qu’on vide, toute chose passe
Aux biens terrestres ne t’attache pas… »
Répète le sage, le verre à la main,
Qui hume, en buvant, sa vie comme un vin.

*

Le verre tombé à terre s’est brisé.
« C’est promesse de bonheur », disent les gens.
Car cette coupe si souvent brisée
Toujours se reforme et nous y buvons…

*

Notre vie est un verre que l’on boit d’un trait.
Dans la gorge, on ne peut arrêter le vin
Qui passe et disparaît. Tout regret est vain.
Prends ton verre et bois à petites gorgées…

*

Abu Nuwas

Caresser le cul des cruchons, des échansons…
Vider des flacons, remplir des jeunes gens,
Flatter, faire l’insolent, le joueur, le rieur,
Ainsi passa ta vie, amant et garnement.

*

Fréquentant tard le soir les tripots mal famés
Dans le quartier chrétien, avec ses camarades,
Le poète insouciant de plaisir affamé
Savait-il qu’il œuvrait pour la gloire de Bagdad ?

*

Mauvais musulman et mauvais mécréant
Tu aimais à traîner les tripots, les bordels
Où le vin coule à flots, où les filles sont belles
Tout comme au paradis, là-haut, des houris…

*

À Li Tai Po

 

L’ami Li Tai Po, dit-on, s’est noyé
Une nuit qu’il avait sans doute trop bu
Sur sa barque, ayant voulu embrasser
Le reflet blanc de la lune toute nue.

*

Divin buveur de vin, quelle punition !
Tomber à l’eau et s’y noyer… c’est bête !
Pêcheurs de lune, Ah ! Parfois les poètes
Sont trahis par leur imagination.

*

Je crains qu’au Ciel s’ennuient les Immortels.
(Serait-ce la mort qui donne prix à la vie ?)
Je ne suis pas contre faire un tour au Ciel,
Mais y trouverai-je les plaisirs d’ici ?

*

François Villon

 Si toute chair à la fin doit pourrir
Peu nous chaut, vifs, nous laisser dépérir…
A la taverne, allons lever des pots
Trousser la caille et la grosse Margot.

*

Avec ces grands diables d’écoliers braillards
Tu bois comme un trou à la Pomme de pin…
Bois ! Tu ne sais pas ce que seras demain…
Mort en maraud ? Par la corde ou le poignard…

 

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 Ronsard

 Poète, tu chemines, énergique et ardent
Le long du gai ruisseau qui court à travers champs
Pour folâtrer à deux sur l’herbe verdelette,
En main une bouteille et un sonnet en tête.

*

Ton page qui te suit porte dans un panier
De fraîches victuailles, fruits, salade, jambons
Et du vin en carafe ; car qui boit doit manger ;
Pour le corps et l’esprit, voilà ce qui est bon !

*

Une troupe d’amis t’accompagne en riant
Bons poëtes françois, cherchant un nouveau chant.
Toi, tu ouvres la voie, et tu bois à la gloire
De leur constellation dans le ciel de l’Histoire.

*

Baudelaire

Vin des amants, vin des assassins…
Mon vieux frère, esthète et égoïste,
Tu avais, je le crains, le vin triste ;
Mais le préférais au chanvre indien.

*

Tu as beau à mes yeux, Baudelaire,
Etre un peu surcoté, et j’ai l’air
De ne guère t’aimer, mais je conviens
Qu’au moins tu n’as pas médit du vin.

*

Verlaine et Rimbaud

 

Saturne en a un coup dans l’aile
Son âme est au septième ciel
Mais son corps, ivre et lamentable
Malheur, a glissé sous la table…

*

Un coup dans l’aile ou dans la lune…
Les voies du ciel sont pénétrables.
On fait des vers… c’est pour des prunes ;
Satan est un ange adorable…

*

Un œil pâle, langoureux et vert
Te regarde au fond de ton verre…
Est-ce l’absinthe ou bien l’absente
Qui t’entraîne au fond et te hante ?

*

Apollinaire

Les artilleurs d’azur partent en campagne
Marchant sous le ciel, dans les feux d’artifice
Sans tirer de coups ; Ô le vain champagne !
Et Guy va rêvant, tendres amours et vices…

*

Bertolt Brecht

Tu enseignas entre autres l’art des compromis
(Nécessaires, mes amis, souvent, dans la vie)…
Mais jamais ne mélanges, disais-tu, eau et vin ;
Dans deux verres différents, verse l’eau et le vin.

*

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