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Jean Ristat Le Voyage à jupiter et au-delà. Peut-être

Lundi 17 novembre 2008

 

Jean Ristat vient de se voir décerner le prix Mallarmé. Francis Combes avait consacré un article, dans Aujourd’hui poème, à l’avant dernier de ses livres, paru aux éditions Gallimard.

 

Alors qu’une grande partie de la poésie française d’aujourd’hui paraît déchanter, Jean Ristat ose le chant. Et dès le premier vers, il l’annonce : « Je chante ce que personne encor n’a chanté »… Son vers, alexandrin brisé, avec ses enjambements bizarres, quasi-mécaniques, remet en mouvement toute une musique d’orgue de barbarie de la poésie française et la renouvelle en même temps. De même fait-il avec l’ancien attirail poétique des images et des métaphores. Chez lui la « lune à côté / Dans la chambre comme une mariée » peut enlever son voile, et l’image ancienne est à nouveau nouvelle… Car la poésie est une vielle lune qui a toujours pour nous les charmes d’une jeune mariée. Et la lune est toujours notre première étape dans le voyage vers l’empyrée… Depuis « L’Ode pour hâter la venue du printemps », de livre en livre, Jean Ristat nous fait la démonstration que le romantisme n’est pas un mouvement littéraire, circonscrit dans le temps et dans l’espace, mais une faculté de l’esprit et de l’art, cette inguérissable aptitude à aimer le monde et à ne pas s’en satisfaire, la nostalgie non pas seulement du passé mais de l’à-venir, voire de l’impossible. Dans le théâtre poétique de Jean Ristat les dieux (qui connaissent de nos jours un inquiétant retour de flamme) sont irrémédiablement mortels. Ils n’en finissent pas de descendre leur pente, du haut de l’Olympe jusqu’au milieu du carnaval terrestre. « .. voici les dieux clopin-clopant dans / Le saloon d’un nébuleuse… »  Ils s’agitent dans les cintres, comme des marionnettes et des pantins. Mais les hommes tardent terriblement à prendre leur place.

Le voyage vers jupiter (sans majuscule) et au-delà. Peut-être… n’est pas sans rapport (intime) avec la tentative de ceux qui voulurent « monter à l’assaut du ciel », car poètes ou révolutionnaires, c’est toujours de cela qu’il s’agit : ne pas renoncer au rêve. « Ô quel entêtement au bonheur et pourtant / Voici le temps de la grande désespérance ». Jean Ristat chante le désenchantement en même temps que le refus de s’y résoudre. C’est de l’histoire avec un grand H, qu’il s’agit en filigrane. Et aussi de l’histoire individuelle, de l’âge et du temps qui passe. «  Nulle armure pour le temps pas même l’amour / Et comme il me possède et me fuit… »

Sur la chair de ce chant de haut vol, l’histoire la plus immédiate imprime la marque de ses ongles et le poète ne démissionne pas de son devoir d’homme qui est d’essayer de comprendre son temps, pour aider à le changer peut-être. Et ne pas trahir la beauté.

 

«  Des enfants le feu aux voitures pour allu

Mer les étoiles comme boulets de canon

 

Le vide dispute à l’illusion son règne

Et ceux qui n’ont pas de nom vous saluent et crachent

Dans les banlieues assiégées les clowns ne font

 

Plus rire où sont les poings levés les drapeaux rouges

La révolution se porte à la boutonnière

L’époque à le vin triste et l’espoir fuit comme une

 

Courtisane décatie à son tiroir-caisse »…

 

Mais le « poète à la jambe de bois’ » et à l’espoir estropié, continue de danser et de rire « à la pointe de la vague ».  Derrière le pli un peu amer du sourire désabusé, sous le rictus du désespoir, perce toujours l’élan juvénile de l’enthousiasme, qui définit non pas le poème mais la poésie, cette façon de chanter sans pudeur, ce refus de mettre le pied sur la gorge de son propre chant, ce besoin d’aimer qui vous redonne le goût de vivre et vous pousse vers l’avant. « Un rêve longtemps m’a possédé qui me reprend »… et le dernier vers : « Ah ! si je ne t’aimais pas parlerais-je encore ». Un des plus beaux livres de poésie lus depuis longtemps.