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Le Cahier bleu de Chine (2005-extraits)

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 La Barque de marbre

« Le peuple est pareil aux flots ;

il supporte la barque du Ciel

mais peut parfois la renverser ».

 

C’est pourquoi l’empereur fit sculpter,

s’avançant dans l’eau du lac,

une immense barque de marbre,

avec baldaquins ajourés à fleurs de pierre,

proue décorée de têtes de dragons

et roue à aube figée pour l’éternité.

 

Ainsi, il serait clairement signifié

que nul ne peut couler le vaisseau impérial.

 

Mais l’histoire est passée

et, dans les jardins du Palais d’été,

l’imposant vaisseau de marbre reste à quai

et tout un peuple de badauds

lui grimpe sur le dos.

 

En buvant au clair de lune

 Nous nous retrouvons à la nuit tombée,

assis en rond autour d’une table de pierre,

sur une petite éminence,

entre les bambous et les plaqueminiers

du jardin de l’hôtel

pour une séance improvisée

du Comité central des révolutionnaires en campagne

ou une réunion de poètes taoïstes

de la dynastie Tang.

Ailleurs

un typhon ravage la région de Shanghai,

125 mineurs meurent au fond d’une mine privatisée,

des immigrés grillent dans l’incendie d’un immeuble à Paris,

un avion s’écrase en Sicile

et une nouvelle guerre se prépare quelque part dans le monde.

Nous, nous buvons un dernier verre

d’un alcool peu recommandable

et, comme à notre habitude,

nous refaisons le monde,

mais le monde

comme à son habitude,

semble ne pas en tenir compte.

Alors,

vaguement gris,

nous allons nous coucher.

Grimpant sur le mont Wu Tai Shan

                                    pour Lucie B.

 Nous avons grimpé par l’étroit sentier

au milieu des rochers, des bouleaux, des fougères,

laissant derrière nous dans la vallée

les aboiements incessants des klaxons,

les cris des vendeuses de souvenirs,

les chants lancinants des moines cupides,

deux ou trois lavandières à la rivière

eet une enfant qui jouait avec un écureuil.

(Dans la brume de chaleur qui monte

s’estompe le sommet des monts).

 

Escaladant le sentier, nous avons dépassé les trois stèles,

et rafraîchi le chemin du sage taoïste

qui se cache, oublié, dans la montagne.

Et tout en marchant parmi les arbres protégés,

(précieux vestige de la propriété socialiste menacée)

tu t’es livrée à un acte gratuit,

socialement aussi nécessaire qu’un sourire, un baiser :

tu as cueilli des fleurs bleu-roi, jaunes et mauves

et les as tressées pour en couronner le front

d’une fillette dansante et claire comme une luciole.

 

 Sur le culte de Mao

 Sur la carte postale

Mao pose devant un paysage

de montagnes abruptes et ennuagées.

Il réside maintenant dans la demeure des Immortels,

mais on peut encore fréquemment

le croiser dans la rue.

Rarement statufié,

plus souvent dans une pauvre maison

sur une affiche colorée,

punaisée sur le mur qui s’écaille

d’une simple gargote.

Sur une réveil-matin

ou le téléphone portable

d’un employé de l’hôtel.

Ou bien,

reproduit en série,

petites effigies de faïence et faux bronzes,

au milieu des dragons et des bouddhas,

sur l’étal d’un marchand d’antiquités.

Il a rejoint le Panthéon

de Lao Tseu et Confucius.

Réduit au rang d’ancêtre vénérable

qui rêvait de faire le bonheur des pauvres

par l’égalité,

on lui rend un culte

qui ne dérange pas les affaires.

Au pied de la montagne

les eaux du fleuve ne s’arrêtent pas.

Elles ne reviennent jamais en arrière…

Mais sur la route sinueuse dans la vallée

les ancêtres veillent toujours

sur le pas des enfants.

 

 Le plongeon dans la rivière Li

 Autour de nous les montagnes se perdent dans la brume.

la rivière en silence allonge ses méandres.

Des buffles, près de la rive opposée, se cachent dans l’eau.

Un pêcheur passe en barque, avec ses cormorans.

Un vieux Chinois se met en slip pour nager.

Une mère savonne ses enfants après le bain…

 

Alors que je glisse avec précaution mon corps blanc dans l’eau

toi, qui des deux es pourtant la plus réaliste,

sans te soucier de la profondeur à cet endroit,

tu plonges, la tête la première, dans la rivière

et t’écorches la poitrine sur les pierres du fond.

 

Que ce soit ou non l’année du coq en Chine,

toujours prête à te jeter dans le vide,

toi tu loges, chez les étoiles, à l’enseigne du bélier.

tu es mon petit torrent fougueux,

mon eau vive qui n’a pas froid aux yeux,

et c’est pour ça, aussi, que je t’aime.


 Saveurs de Chine

 La Chine est sucrée-salée

la Chine est aigre-douce

la Chine est fade et pimentée

et toutes les saveurs

dans le même plat

doivent se mélanger.

la Chine est parfumée,

comme la fleur du lotus.

la Chine sent mauvais,

comme un tofu puant.

La Chine est simple

comme un bol de riz blanc.

La Chine est alambiquée

comme le serpent dans la bouteille d’alcool.

La Chine est douce,

comme un vin d’osmanthe.

la Chine est dure

comme du chien mal cuit.

La Chine est vieille,

beaucoup plus vieille que les œufs de cent ans

et la Chine est jeune,

toute jeune et fraîche,

comme une pêche.

 

Made in China

 Sur le Bund de Shanghai

près des banques et des hôtels de luxe,

à une vendeuse à la sauvette,

j’ai acheté un faux Montblanc.

 C’est une authentique contrefaçon

made in China

avec, en dorure gravée sur le capuchon,

un Phénix et un Dragon.

 Accomplissant cet achat répréhensible

d’un vrai stylo chinois,

tout à fait capable d’écrire des poèmes français,

j’ai eu le sentiment de contribuer

(modestement, il est vrai)

à ruiner le capitalisme de l’intérieur.

 

 

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Le port de Shanghai

 Enfin nous avons navigué sur le port de Shanghai,

Nous avons descendu le cours du puissant Huang Po, jusqu’au Yang Tsé qu’il rejoint pour se jeter dans la Mer de Chine.

Déjà, nous avions vu la Chine qui fait du commerce le long des rues, hèle le passant et lui vend des galaxies de tissus, de soie, de sculptures, de broderies, de gadgets

Nous avions la Chine de l’artisanat et l’Empire du Milieu de la pacotille,

Nous avions vu la Chine qui peint sur des rouleaux, la Chine  des papiers découpés, la Chine équilibriste qui jongle avec des assiettes et des jarres, la Chine contorsionniste

Nous avions vu la Chine qui marche, roule en vélo, en camion, en voiture, et en véhicule électrique,

la Chine qui mange des pâtes, des raviolis ou du riz à tous les coins de rue,

La Chine qui se promène en pyjamas, la Chine qui dort n’importe où, sur un lit devant sa porte, dans sa boutique ou sur un étal du marché aux légumes

Nous avions vu la Chine des vétérans qui se retrouvent dans les parcs pour faire leur tai chi, jouer au bilboquet ou chanter en chœur des romances patriotiques et révolutionnaires,

Déjà nous avions vu la Chine qui fait des affaires et qui prospère, la Chine des cartes de crédit et de la mode, la Chine décolorée des nouveaux riches qui imitent l’occident, la Chine des immeubles de luxe et des voitures aux vitres teintées

Et nous avions vu la Chine qui mendie, la Chine estropiée, la Chine aux membres tordus comme des sarments, aux visages ravagés, la Chine des veilles femmes sans retraite, la Chine allongée sur le trottoir et qui sanglote,

Nous avons vu aussi, le long du fleuve et au milieu des gratte-ciels, la Chine qui s’envole sur les ailes de dragons, de requins ou de papillon de ses cerfs-volants, la Chine qui monte au ciel et qui rêve…

Mais voici que dans le port de Shanghai, nous rencontrions la Chine qui travaille, la Chine immense et musculeuse,

avec ses kilomètres de quais où des grues gigantesques écartent les jambes, au milieu des ponts transbordeurs, des gazomètres, des usines, des docks et des raffineries,

la Chine des trackers et des remorqueurs, la Chine des cargos hauts comme des immeubles et des hommes assis dans le vide sur une simple nacelle et qui repeignent la poupe,

la Chine des bateaux arborant le drapeau rouge, les bateaux multipliés à l’infini, qui regardent vers l’est et couvrent la surface de la mer,

La Chine qui transforme et qui transporte, qui charge et qui décharge, qui écope et qui répare, la Chine qui progresse sur le fleuve avec ses jonques et ses péniches, comme des processions de chenilles,

la Chine qui tire à elle des collines de charbon

la Chine de la puissance et de l’énergie

la Chine des travailleurs

et nous avons su que ce que peuple n’en avait pas fini

de déplacer les montagnes.

 

 

Cahier bleu de chine
Album : Cahier bleu de chine

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