25 janvier 2009

La complainte du trader

(1)

 

Je travaillais à la City

Dans ma partie, j’étais un bon,

On goûtait  ma ténacité.

Mon job c’était : lever des fonds ;

Placements risqués, actions, hedges funds…

La Bourse pour moi n’a pas d’secrets.

Jouer, c’était mon kiff, au fond…

Je suis trader, c’est mon métier.

Je peux le dire, sans me vanter,

j’ai gagné des paquets de blé.

Et pour la banque et mes patrons,

je vous raconte pas la moisson…

Achat et ventes, acquisitions

des entreprises à dégraisser.

Fusions, délocalisations…

Faut de la rentabilité !

 

(2)

L’économie c’est une guerre.

Il faut tuer ou se faire tuer.

Pour moi, c’était mon ordinaire ;

Je savais tirer le premier.

Bien sûr parfois des salariés

se retrouvaient  sur le carreau.

Mais à quoi bon crier « Haro ! »

sur nous autres les financiers ?

Moi, qu’est-ce que je pouvais y faire ?

Telle est la dure loi des affaires,

la dure loi de la City,

le prix de l’efficacité.

On a connu des moments forts,

de beaux jours de spéculation

où on s’est fait des couilles en or

en bossant pour les fonds d’pension.

 

(3)

On a connu la belle époque

du crédit fou, des dettes en stock.

On était junky aux subprimes ;

C’était l’bon temps, le good old time.

On a connu les grosses bulles ;

l’Internet et l’immobilier,

les nouveaux produits financiers…

On vivait comme des funambules

pareils à des bulles de champagne

toujours plus vives et légères,

la mousse même  de la Terre…

Nous avions la frite, la gagne.

J’avais choisi de vivre à Londres

pour bosser chez Lehman’s B.rothers.

Mais voici : soudain tout s’effondre ;

c’est la faillite pour les brokers.

 

(4)

Hier on nous a réunis

pour nous dire : « Vous êtes virés ;

Lehman’s Brother, c’est terminé ».

La vie à Londres c’est fini.

Finie ma carrière de trader.

Mon loft de Trafalgar Square.

Et à qui vendre ? Plus d’acheteurs…

Je vais aller pointer, chômeur.

Je vais rejoindre la foule inquiète

des insolvables… Ceux-là même

qui ne pouvant payer leurs traites

ont fait chuter tout le système.

(Le mal toujours nous vient des pauvres…)

God save the Bank ! l’Etat nous sauve !

Vite, que reprennent les affaires !

Et qu’à nouveau je sois trader !

 

le 18 janvier 2009

 

11 janvier 2009

Chers amis,
Nous sommes nombreux, je suppose, à être révoltés par ce qui est en train de se passer à Gaza. Le massacre de la population, des hommes, des femmes et des enfants, les tirs contre des écoles, contre les équipements culturels, contre des établissements construits ou gérés par des associations humanitaires ou des organismes internationaux, l’impossibilité pour les journalistes et pour les services de secours de faire leur travail… l’inégalité flagrante des forces en présence qui ne devrait pas permettre de parler de guerre, la faiblesse des réactions diplomatiques, le fait qu’aucune sanction ne soit envisagée… Et je suppose que nous sommes nombreux à nous sentir nous seulement révoltés mais aussi impuissants.
Poètes nous ne pouvons pas faire grand-chose d’autre que de prendre la parole et témoigner. Qu’au moins nous ne restions pas silencieux.
Je m’associe à la poétesse syrienne Maram al Masri pour vous inviter à participer à une campagne poétique « Un poème pour Gaza ». Réunissons le maximum de poèmes (dans nos différentes langues). Si nous pouvons, nous les traduirons. Nous pourrons peut-être même les publier. Au moins, nous pourrons commencer par les diffuser par internet.
A très bientôt
Amitiés
Francis Combes

2 janvier 2009

Lettre à Ahmed Dahbour

poète à Gaza

 

Tu m’avais accueilli sur une langue de sable,

tu m’avais accueilli sur une main ouverte posée sur la mer,

tu m’avais accueilli dans Gaza la peuplée

où les maisons se pressent les unes contre les autres

comme des passagers aux heures de pointe dans un autobus bondé,

Gaza, où trottent les ânes qui tirent leur carriole au milieu des voitures,

Gaza où dans la cohue de vivre des milliers d’hommes et de femmes et d’enfants

cherchent leur chemin pour arriver

au moins jusqu’au lendemain matin,

Gaza la ville enfermée

où la mer et le ciel sont des murailles,

Gaza la cité blanche et concentrationnaire

barbelée du double liséré bleu

qui a dérobé les couleurs de la mer et du ciel,

Gaza la ville aux hommes léopards

où un peuple est en guerre

parce qu’on lui refuse le simple droit

d’exister sur sa terre.

 

Tu m’avais accueilli sur l’aile de l’après-midi

par une allée  de lauriers roses

qui menait directement au port des paroles simples

qui s’en vont et laissent derrière elles la tristesse des départs sans mouchoirs

car ici seules les pensées avaient le droit de voyager.

Ahmed,

Ta poésie était faite avec du pain,

avec des portes et des fenêtres ouvertes,

ta poésie offrait un repas dehors, sous une treille fraternelle

préparé par des femmes au fichu noué sur la tête,

puis j’ai vu ta poésie, Ahmed, prendre le chemin de l’Université,

que remplissaient à ras bord, comme une amphore,

alternativement, garçons et filles,

comme un sablier que l’on renverse

et j’ai vu les mots peints en vert sur le mur

et j’ai vu le marteau et la faucille rouges

et j’ai vu le sable dans la rue

et j’ai entendu ta poésie

parler avec des jeunes gens

pressés d’apprendre et pressés de se voir pousser des ailes.

 

Le jour succédait au jour et déjà  nous savions

que Gaza était une prison,

une ville sous embargo,

un enclos où sont parqués des hommes,

des femmes, des enfants

que l’on laisse vivre juste pour les laisser mourir,

un champ aride où ne poussent que des mains,

des mains coupées,

des mains travailleuses et des mains inemployées,

toute la journée ouvertes ou fermées.

Le jour succédait au jour et il y avait dehors

une usine où, chaque matin,

passant par un étroit couloir surveillé par un mirador

des mains allaient travailler, loin de leur cœur et de leur tête,

pour les maîtres

avant d’être renvoyés le soir dans leur ghetto.

Mais les mains coupées n’avaient pas la parole.

Les mains coupées ne criaient pas tous les jours dans les salons

ni sur les plateaux de télévision

et le monde entier pouvait paisiblement les oublier.

 

(Que des êtres humains soient traités comme volaille élevée en batterie

est un fait désagréable

mais qui ne doit pas empêcher de dormir

les défenseurs des droits de l’Homme).

 

Or, comme il arrive souvent,

l’homme que son assassin serre à la gorge se débat,

il essaye d’attraper l’air avec ses bras

et le griffe avec ses ongles.

Alors l’assassin l’accuse de violence,

lui dit de se calmer,

et serre encore plus fort.

 

Et voici que les maîtres aujourd’hui soulèvent la coupole de verre

au-dessus de Gaza

et passant le bras par-dessus les murs de la ville

ils viennent écraser à coups de poings

chez eux, dans leurs bureaux ou dans la rue,

des hommes, des femmes et des enfants

en toute impunité.

 

Les dormeurs vont-ils se réveiller ?

 

Je me pose la question

et je pense à ta poésie, Ahmed,

je pense à une allumette cassée,

à une tasse de thé

et à une fenêtre ouverte sur la mer.

 

Et je me dis que dans ce pays

aussi petit qu’un foulard jeté sur la terre

il y aurait assez de place,

bien assez de place pour tous…

 

À condition, bien sûr, de supprimer

les barbelés, les check points

les no men’s land,

les camps militaires,

les colonies, la loi du plus fort,

les États,  et les armées.

 

Tout cela, me diras-tu, n’est possible qu’en rêve,

tout cela n’est possible que par le miracle de la poésie….

 

Mais je crois que ce rêve finira par avoir raison

car ce rêve est bien plus raisonnable

et bien plus réaliste

que la réalité d’aujourd’hui.

 

 

le 31 décembre 2008

 

 

 

 

 

 

 

2 janvier 2009

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2 janvier 2009

Un poème à lire de Jean-Luc Despax sur la

poésie publique

27 décembre 2008

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Alléluia pour des chaussures

 

Chaussures, grolles, godasses,

vous les modestes,  les méprisées,

les racornies, les avachies, les traîne-poussière,

vous les auxiliaires indispensables et maltraités

de ceux qui marchent dans la boue ou sur l’asphalte des cités,

vous qui dans le meilleur des cas vous faites oublier

parce que vous accomplissez votre devoir sans mot dire

et sans faire souffrir nos orteils,

voici que par la grâce d’un lancer audacieux

contre le Président des États Unis

vous inaugurez  dans l’histoire de l’humanité une carrière nouvelle.

Par votre vol perpendiculaire et redoublé

visant un président qui se fiche de l’honneur

comme de ses premières baskets

vous avez vengé l’honneur

des peuples humiliés.

Chaussures

arme de destruction massive

de la respectabilité,

nouvel outil du journaliste-terroriste

interdit de s’exprimer,

drapeau des peuples va-nu-pieds…

Godillots musagètes,

béni soit votre vol plané !

Vous mériteriez un poème,

un monument,

un jour férié

et des manifestations dans le monde entier

où chacun s’en irait par les rues

vous arborant autour du cou

attachées par paire

comme un foulard de combattant.

 

décembre 2008

 

Le vierge, le vivace et le bel…

7 décembre 2008

Ce week-end, j’ai participé au salon de la poésie organisé par la Maison de Poésie Rhône-Alpes, de Saint-Martin d’Hères, à côté de Grenoble. Le thème choisi cette année était « la poésie gratte-monde ». Pour donner la parole à la poésie protestataire et combative, de nombreux poètes et acteurs de la vie poétique étaient réunis à l’initiative des animateurs de la Maison de poésie, avec Brigitte Daïan, Pierre Vieuguet, Gilles Vachon, Carlos Laforêt, Laurent et toute la bande… parmi eux : le poète de San Francisco, Jack Hirschman,  Abdelhamid Laghouati, le poète algérien, Yves Gaudin, de Béziers et d’ailleurs, Jacques Fournier et Dan, Dieudonné de Brazzaville, Katia la slameuse russo-française  et beaucoup d’autres…

Dans les marges de cette rencontre, j’ai écrit un poème, à cause de la présence des montagnes, de la poésie de Jaccottet et de la question plus actuelle qu’il n’y paraît du sentiment de la nature dans la poésie contemporaine.

 

Le vierge, le vivace et le bel…

à propos de P. .Jaccottet

 

Fraîche clarté du petit matin,

transparence bleue de l’air au dessus de Grenoble,

le massif de Belledonne en chemise

blanche

et devant, au premier plan,

se mêlant à la charpie de la brume :

la fumée

que répand la cheminée haute et fine

de l’usine de retraitement des ordures ménagères

de Saint-Martin d’Hères.

 

(C’est vrai

nous sommes une espèce salissante…

Mais si demain nous disparaissons,

qui restera

pour goûter

la pureté des montagnes ?)

Évidence

25 novembre 2008

La bonne santé d’une entreprise

se juge à ses profits.

C’est évident

comme est évidente

cette constatation :

la Terre est plate.

(in « Leçons de choses »)

De la poésie considérée comme une fille publique

25 novembre 2008

Un embryon de discussion sur la notion de poésie publique me conduit à publier à nouveau cet article,
écrit pour « Aujourd’hui poème », il y a quatre ans :

Le 29 mars dernier, Le Figaro consacrait un grand article à la campagne d’affichage de poèmes dans le métro qui se mène depuis 1993, à l’instigation de Gérard Cartier et de moi-même, campagne par laquelle nous nous efforçons de mettre le public le plus large et le plus divers qui se puisse imaginer en contact avec le choix le plus large et le plus divers possible en poésie, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, d’ici ou d’ailleurs. Certes, il y aurait encore beaucoup à faire… Bien des poètes de valeur n’ont pu encore trouver leur place dans cette galerie d’art passagère et souterraine qu’est le métro et où la poésie parfois affleure à ciel ouvert. Mais le métro parisien, moyen de transport qui n’est évidemment pas que poétique, est aussi devenu un salon de lecture ouvert à tous, et où se produisent des rencontres inattendues entre auteurs et voyageurs. Tout en disant le succès de la campagne, le Figaro, selon un procédé dont les journaux sont coutumiers, donnait en contrepoint la parole à quelques avis critiques. Parmi les usagers du métro, il semble que la grande majorité des propos recueillis aient été favorables, ce qui correspond à ce que nous savons et qui est corroboré par différentes études menées par la RATP. Mais la poésie a toujours ses adversaires et ses contradicteurs (et c’est après tout souhaitable car que serait un art qui ne gênerait personne ?). Un monsieur, par exemple, qui qualifie cet affichage de « crétinambule »… Le néologisme est plaisant, mais évidemment méprisant non seulement pour les poètes affichés mais aussi pour le public. Lui-même, sans doute, ne doit pas se compter au nombre des « crétins » qui prennent plaisir à retrouver ou à découvrir à la faveur de leurs déambulations quotidiennes dans le métro quelques vers de Ronsard, Hikmet, Du Fu ou Ginsberg… Deux poètes ont aussi été sollicités : Jean-Michel Maulpoix, qui sans critiquer l’idée émet une réserve quant aux choix et certaines traductions. Et Yves Bonnefoy à qui Le Figaro avait réservé un « rez-de-chaussée ». Dans les propos rapportés par le quotidien, Bonnefoy raconte que le jour où il a découvert un de ses poèmes affichés dans le métro, il en fut « consterné ». Il s’agit d’un poème de Du Mouvement et de l’immobilité de Douve, dans lequel il écrit notamment : « Qu’une place soit faite à celui qui approche, / Personnage ayant froid et privé de maison. »

En effet, explique-t-il, voyant ce poème affiché dans ce lieu, il s’est rendu compte que le voyageur pouvait commettre un contre-sens et y lire une allusion à la réalité sociale de ceux qui ont froid et sont effectivement privés de maison. Or ces vers, précise-t-il, ne prennent tout leur sens que dans le mouvement d’ensemble de son livre, dans la démarche poétique qui est la sienne et qui par le « forcement des mots » tente de saisir « l’Etre-au-monde ». (Ce qui n’est peut-être pas la même chose que les êtres réels dans le monde réel…). J’avoue que cette réaction me laisse perplexe. Que des lecteurs de hasard puissent imaginer que l’auteur de ces vers n’est pas insensible au malheur des autres, ne me paraît pas catastrophique pour la réputation du poète en question. Mais ne polémiquons pas… La réaction d’Yves Bonnefoy donne à réfléchir. Elle pose évidemment la question générale de la lecture et du rapport au public. Il est certain que les lecteurs (dans le métro comme ailleurs, mais peut-être plus encore dans le métro qu’ailleurs du fait du lieu et des conditions de lecture qui ne permettent pas d’étudier l’œuvre complète) interprètent les poèmes comme bon leur semble. De ce fait, une fois le poème affiché (avec l’autorisation de son auteur ou de son éditeur, s’entend), le poème ne lui appartient plus tout à fait. Lors du débat qui s’était tenu au Sénat sur la question du droit d’auteur, Victor Hugo affirmait déjà que l’auteur avait droit de vie et de mort sur son œuvre, du moins, tant qu’il ne l’avait pas publiée ; car, une fois publiée, elle ne lui appartenait plus. Elle appartenait à la société, en ce sens que c’est la société qui décide de l’accueil qu’elle lui fera et du sens (ou des sens) qu’elle y trouvera. Faut-il s’en alarmer ? Je ne le crois pas…

Je n’ai pas la naïveté de penser que la lecture de quelques vers dans le métro suffise à faire découvrir un poète. Et je ne pense pas que les affichages des poèmes (ni les lectures publiques, par exemple) puissent et doivent remplacer la lecture des livres eux-mêmes. Mais cela a sa vertu en soi. Et, de plus, cela peut inciter à aller y regarder de plus près. L’affichage de poèmes n’est pas un ersatz de culture poétique, c’est une introduction et une invitation.

 

Mais au fond, le problème posé par l’affichage poétique dans le métro est celui du rapport au public et, plus précisément, au peuple.

L’idée existe toujours (et n’est peut-être pas si minoritaire) que la poésie est une activité qui ne concerne qu’une petite minorité d’esprits éclairés, dont font en général partie ceux qui  professent cette opinion. C’est une idée répandue dans le public qui a souvent le sentiment que la poésie (surtout la poésie contemporaine) est une affaire d’initiés, inaccessible au commun des mortels. Mais on la retrouve parfois, différemment exprimée, chez les poètes eux-mêmes. Même si elle est rarement poussée au bout de sa logique…

En vérité, sur plus de 300 poètes choisis pour figurer dans le métro en dix ans, en fait, seuls trois contemporains ont refusé de donner leur autorisation, considérant que la poésie risquait de se galvauder à s’afficher ainsi.

 

Au contact du public, la poésie, cette vierge altière, se changerait-elle donc en « fille publique » ? Le risque pourrait exister… si le désir d’aller à la rencontre du public poussait les poètes à céder aux tentations de la démagogie qui consisterait à écrire non pas ce qui paraît nécessaire, mais ce qui peut plaire. Encore que ce soit là un point assez complexe. Il y a dans tout poème (même le plus exigeant) quelque chose qui relève d’une entreprise de séduction, sans quoi il n’y aurait pas poème. Mais cela ne conduit pas obligatoirement à la prostitution. On peut descendre dans la rue sans faire le trottoir ! (Et faire le trottoir n’est d’ailleurs sans doute pas si facile…)

Pour en revenir au métro, les poèmes affichés sont toujours extraits d’ouvrages publiés et n’ont donc pas été écrits pour la circonstance. A l’exception des poèmes qui résultent du concours que la RATP organise régulièrement parmi les voyageurs et dont la sélection finale est affichée dans les stations et les rames. A trois reprises, l’affichage « habituel » des poètes confirmés a été interrompu l’espace d’un trimestre pour faire place à ces poèmes des « amateurs ». On peut bien sûr discuter des choix et aimer ou non les textes retenus, mais le fait est là qu’à chaque fois les organisateurs de ce concours ont reçu quelques neuf mille poèmes en quinze jours à peine ! Ce qui tendrait à prouver que, contrairement à une idée reçue, le goût pour la poésie est loin d’avoir disparu dans notre société. Il est même peut-être plus grand qu’à d’autres moments. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes, hommes et femmes, éprouvent le besoin de cette forme particulière d’usage du langage, à la fois sérieux et ludique, artificiel et vrai, sensible et sensé. Dans un monde dominé par la langue de bois de la soi-disant « communication », la poésie apparaît peut-être comme une manière de parole authentique, à la fois personnelle et partageable, singulière et universelle.

Dans le même temps, à chaque fois ce concours m’a donné à voir l’écart qui existe entre l’idée que le public se fait de la poésie et la poésie telle qu’elle s’écrit et se publie aujourd’hui. Sans doute est-ce dû au fait que la plupart de ceux qui écrivent de la poésie en amateur en lisent finalement peu. Sans doute imaginent-ils souvent que lire les contemporains n’est pas indispensable ; la poésie, dans l’esprit de beaucoup consistant simplement à dire « ce qu’on a sur le cœur »… De plus, peu d’efforts sont faits pour faire mieux connaître les auteurs contemporains. Cela tient à tout le fonctionnement de la machine médiatico-culturelle… Mais cela tient peut-être aussi à ce que « l’offre » poétique, (pour user du vocabulaire de « l’économie de marché » qui n’est pourtant pas ma tasse de thé) est très décalée par rapport à la « demande »…

J’en ai fait souvent l’expérience. Choisir des textes de contemporains sur des sujets très divers (qui sont ceux de la vie commune) n’est pas toujours facile. Tout simplement parce que, très souvent, le seul sujet de la poésie est la poésie. Pour beaucoup le poème est une affaire purement interne au langage.

Cela renvoie à la question qui a été à plusieurs reprises soulevées dans ces colonnes du rapport au réel. L’un des mérites essentiels de ce journal, à mes yeux, est d’ailleurs d’avoir rendu possible, à nouveau, l’expression d’une réflexion et d’une discussion publique sur les enjeux et les destinées de la poésie. Et sur ce point, il y a matière à discussion.

Le poète est à sa façon un « Anti-Platon », pourrait-on dire en reprenant la formule par laquelle Yves Bonnefoy lui-même ouvrait Douve… C’est-à-dire qu’il est du côté de la présence au monde, du côté du sensible et du concret et qu’il ne peut séjourner uniquement dans le ciel des Idées abstraites. Mais une fois ce choix affirmé, tout reste à faire, et il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Car de quel réel parle-t-on et quel rapport entretient-on réellement avec lui ? Souvent, c’est un réel bien évanescent, quand il n’est pas réduit en fragments privés de tout sens.

Je partage l’appel de Jacques Darras à une poésie capable de se saisir du réel à bras-le-corps. A condition que se saisir du réel ne signifie pas s’y soumettre. Sous peine de platitude. Ce qui arrive souvent… Si la poésie abstruse ou éthérée est menacée par la vanité, la poésie du quotidien qui en reste au quotidien montre aussi ses limites. Et il n’est pas sûr qu’elle puisse enthousiasmer. (C’est un peu comme pour l’Europe… qui s’enthousiasme vraiment pour « l’Europe du libre échange » ?) Il y a quelques jours, lors d’une soirée à Saint-Etienne, une dame m’a dit attendre de la poésie qu’elle l’aide à s’évader… Pourquoi pas. Toute la question est alors d’organiser des évasions vraiment libératrices… Pour ma part, il me semble que la poésie la plus forte est celle qui parvient à être à la fois réaliste et irréaliste. Celle qui se coltine au réel non pas pour l’accepter tel quel mais pour le transformer. C’est bien là la force de Whitman. Il chante le monde avec vigueur, mais il porte aussi au cœur du monde un rêve actif, celui d’une vie fraternelle.

Ainsi peut-on imaginer que la poésie (cette parole intime) puisse devenir, sans être pour autant « fille publique », parole « d’utilité publique ».

 

 

Solstice d’hiver

23 novembre 2008

Je suis entré dans la Banque

du Solstice d’hiver

en criant : Joseph Staline

Bon anniversaire !

 

Ceci est un hold-up.

Tout le monde à terre!

Aujourd’hui, c’est l’argent qui

m’intéresse, pas les gens.

 

Serait temps de braquer les banques,

elles nous serrent tous à la gorge.

Dites-donc ! là-bas, j’espère que vous écoutez.

Ceci est une révolution.

 

poème de Jack Hirschman, traduit de l’américain par G. B.Vachon, in « Je suis né assassiné », le dernier recueil de Jack Hirschman publié au Temps des Cerises, en coédition avec la maison de la Poésie Rhône Alpes.

 

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