Le citronnier

23 avril 2021

Chat fenêtre


                                                    « la femme est naturelle,
c’est-à-dire abominable »
Charles Baudelaire

Tu as posé dans un pot sur le rebord de la fenêtre
Près de la vitre où le chat se tient en faction
Une minuscule pousse de citron.
Tu voudrais inviter chez nous
Un arbre à soleils.

Je ne sais pas si les femmes ont par nature
Un rapport plus intime avec la nature…
Font-elles plus attention à la vie
Que nous autres, les hommes ?
Si tel est le cas
Elle en sont privilégiées
Et nous en font profiter
À nous autres, les  hommes
Qui pouvons apprendre aussi
À prendre soin de ce qui vit.

Citronnier

Citronnier planté à partir d’un pépin.

Je ne sais pas si les femmes ont par nature
Un rapport privilégié avec la nature
Mais, toi tu as la main verte,
l’oreille  des arbres et des plantes,
la beauté simple de la vie naturelle.

Pourtant
Tu n’es pas une plante verte
Tu n’es pas un chat
Un petit animal  qu’il faut apprivoiser
Tu as une tête et tu sais t’en servir
Tu penses et tu agis
Tu écris, tu te bats
Tu n’as rien à envier à cet égard
À n’importe quel homme.

Bergamote

Bergamote.

En général, tu n’y vas pas par quatre chemins
Tu ne prends d’ailleurs pas souvent de gants ni d’égards
Tu ne cherches pas midi à quatorze heures
Tu ne coupes pas les cheveux en quatre
Tu coules de source
Tu es d’une clarté décidée
Acide parfois comme le citron
Et capable de douceur aussi
Comme la bergamote

Qui grandit en silence
Près de la fenêtre.

Chat fenetre2

Bernard Noël, le compagnon exigeant

16 avril 2021

Bernard Noël

 

Nous avons appris hier le décès de Bernard Noël ; dans la nuit du treize avril, pendant son sommeil, à l’hôpital de Laon. Il avait 90 ans.
Il fut un poète, un romancier, un critique d’art et un essayiste de premier plan.
L’homme était d’une attention, d’une modestie et d’une gentillesse qui touchait tous ceux qui ont eu la chance de l’approcher.
Dans son œuvre, qui compte une centaine d’ouvrages, la poésie occupait une place centrale, élaborant une parole rare, tendue, qui visait à la plus extrême conscience du chant.
Il était certainement l’un des intellectuels les plus lucides que la France ait connu depuis les années soixante-dix.
A la suite de la publication de son roman Le Château de Cène, et du procès qui avait été intenté pour « outrage aux bonnes mœurs », en 1969, il avait écrit l’Outrage aux mots.
Il y formulait le concept essentiel de « sensure ».
Dans la société capitaliste moderne explique-t-il, la censure plutôt que d’avoir recours aux ciseaux d’Anastasie prend la forme de la privation de sens. L’inflation des mots et leur détournement noie la vérité et la pensée critique.
« Le pouvoir bourgeois, écrivait-il, fonde son libéralisme sur l’absence de censure mais il a constamment recours à l’abus de langage ». Ce dont nous pouvons faire l’expérience tous les jours.
Sa pensée et son action étaient éminemment politiques, au meilleur sens. Il entretenait avec le mouvement ouvrier et les communistes des rapports de proximité exigeants, car il en éprouvait vivement à la fois la nécessité et les insuffisances.
Sa passion pour la Commune est connue et son Dictionnaire de la Commune vient fort heureusement d’être réédité (par l’Amourier). Il nous avait aussi fait découvrir en 1981  l’Etat et la révolution, du communard Arthur Arnould, qui devançait Lénine…
Il a toujours suivi avec une attention amicale le travail et les combats que nous avons menés pendant des années, au Temps des Cerises, où il avait publié avec Alain Marc un livre d’entretiens.
Après les émeutes en banlieue, en 2005, il avait rejoint l’initiative de la Revue Commune pour relancer l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires afin de manifester l’actualité de l’idée révolutionnaire.
En 2013, il m’avait fait l’amitié d’une préface pour mon recueil, Si les symptômes persistent consultez un poète. Il y écrivait notamment : «  Quand le mensonge se généralise et dénature la réalité, nommer les choses et l’état de nos relations aux autres et au monde est la meilleure manière de nous faire entrer en résistance ».
Il avait donné aussi un important entretien à la revue Zone sensible que je publiais à la Biennale des poètes en Val-de-Marne.
Ces derniers mois encore, il nous avait exprimé clairement son soutien lors de la crise des éditions Le Temps des Cerises.
Régulièrement, j’avais le plaisir de recevoir de lui de petits mots fraternels et attentifs rédigés de son écriture précise et fine. A l’image de sa pensée et de sa personnalité.
Oui, il va nous manquer…
 Bernard Noël aear 2005

« PRATIQUE DU NOM »
Bernard Noël
(Préface au recueil de Francis Combes Si les symptômes persistent consultez un poète, Le Merle moqueur, 2013.)

Nommer une chose, c’est la faire exister et, bien souvent, la créer. On oublie trop souvent ce rôle essentiel de la nomination, et qu’elle agit comme un révélateur capable de nous armer d’une prise de conscience. Savoir nommer est donc particulièrement précieux dans une époque – la nôtre – où le pouvoir a fait de la confusion verbale un outil de soumission auquel les media donnent une efficacité redoutable. Le temps n’est plus du choix facile entre collaboration et résistance, entre exploitation et engagement social, bien que cette alternative subsiste et même aggrave les différences sous le masque de la démocratie. Quand le mensonge se généralise et dénature la réalité, nommer les choses et l’état de nos relations aux autres et au monde est la meilleure manière de nous faire entrer en résistance.
Cependant, pour nommer, il ne suffit pas – sauf cas rare et exemplaire – de donner son nom véritable à telle chose, tel fait, telle attitude : il faut insérer ce nom dans un développement qui en éclaire la situation. D’où une réflexion qui a besoin de s’étendre pour démontrer sa pertinence. Cela donne aujourd’hui des essais, des articles, éventuellement des fictions ou du théâtre, qui dénoncent, instruisent et fournissent les éléments d’une information juste mais dont l’effet est rarement immédiat. Le discours politique devrait être l’agent par excellence de la prise de conscience, sauf qu’il a véhiculé tant de mensonges que, du moins pour l’heure, il n’est plus crédible.
L’espace est donc libre pour que quelqu’un prenne le risque d’inventer une nomination qui soit inattendue, surprenante et assez simple dans sa formulation pour devenir populaire. Toutes ces qualités sont réunies dans Si les symptômes per- sistent, consultez un poète que son auteur, Francis Combes, a heureusement sous-titré « Poèmes politiques ». Devant pareille étiquette, qui défie la mode côté poètes, côté media et côté politiques, comment ne pas éprouver d’emblée un mouvement de sympathie ?
L’ironie et un humour assez agressif colorent les titres des deux premières parties : « Poèmes sans domicile fixe » et « Poèmes rayon produits frais » : la chose vue dans la rue y devient fable et témoignage : scène typique. Quelques vers suffisent à faire exister la réalité de l’image, quelques autres à en tirer la leçon. Le tout, léger mais tranchant, dénonce le mal social actuel par l’évidence. Quand le poème s’allonge, et c’est fréquent, il pourrait devenir chanson bien qu’il garde toujours l’allure du constat. Pas d’indignation, pas d’appel à la révolte, car les deux sont les conséquences qu’appelle naturellement la lecture. Le message a confiance suffisamment dans la valeur de son énoncé pour ne rien lui ajouter d’autre que la forme du poème. Tout juste, les derniers vers se permettent-ils de suggérer que s’unir, un peu, pourrait changer, beaucoup, « ce monde inégal ».
Pourquoi ne pas déduire de cette discrétion, alors que la démarche générale va nettement contre « l’inégal », que Francis Combes croit assez dans les effets révolutionnaires de la nomination pour ne rien leur rajouter. Ainsi redonne-t-il sa valeur à la notion d’engagement en démontrant – sans le dire – qu’il relève d’abord d’une pratique de la langue et non d’une profession de foi politique.
Bernard Noël
août 2013
symptome

Clinique du Landy

9 avril 2021

Oiseau

Pendant que je t’attends
dans la cour de la clinique du Landy
un oiseau siffle
obstiné, entêté,
une note unique
pfiutt, pfiutt…
au sommet de l’arbre.

J’ai beau lever la tête
je n’arrive pas à le voir
mais je l’écoute.

Merci à lui
et à tous ses congénères
qui chantent
quelles que soient les circonstances
et sans se faire payer.

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Et merci au forsythia
qui tache le mur
De son jaune éclatant

Et merci même
au couvercle jaune éclatant de la poubelle
des emballages à recycler
qui tente lui aussi
de rivaliser
avec les pissenlits
en ce jour de printemps.

poubelle

Le 30/03/21

Pour notre centième anniversaire

12 mars 2021

Marx motocycliste, par  Grapus

Cette année nous avons eu cent ans…
Pourtant nous paraissons faibles à nouveau
Comme des nouveau-nés.
Malgré les combats, les épreuves
Et le chemin parcouru
Nos pas sont mal assurés.

Nous qui avons été si sûrs de nous
Aujourd’hui, nous connaissons le doute.
Car ceux que nous étions censés défendre,
Même quand nous tentons d’être à leur écoute,
Semblent ne pas nous entendre…

Pourtant, c’est avec eux qu’il nous faut avancer sur la route,
Sans peur d’aller à contre-courant,
Sans peur de dire ce qu’il ne faudrait pas dire,
Car c’est ainsi qu’avec eux nous pourrons
Réapprendre à parler, à marcher, à agir.

Noël 2020

Couteau dent 1919

Pour soutenir la Révolution d’Octobre, des ouvriers parisiens manifestent le 1er mai 1919.

 

Pour le 8 mars

6 mars 2021

Femmes Bury1


La femme est dans l’homme, comme un rosier grimpant
L’architecture imaginaire de son futur

La femme est dans l’homme un rêve inachevé
Le souvenir d’une tendresse à conquérir

La femme est dans l’homme comme la part du fruit
Dont s’essaiment les graines au secret de la terre


La femme est dans l’homme la part de la douceur
Et celle de la plus terrestre intelligence


Car dans tout homme il y a une femme en puissance
L’image d’une statue prête à s’animer.


Et dans la femme ? Dans la femme il y a un homme
L’homme qu’elle invente et qui lui donne le jour.


L’homme et la femme, reflets inverses, dissemblables,
Sont l’un à l’autre la promesse du futur.

In L’Aubépine
Cent-un sonnets pour un amour frondeur
Éditions Le Préau des collines

 

Femmes Bury3

Lauwrence Ferlinghetti

24 février 2021
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Lawrence Ferlinghetti, l’une des principales figures de la Renaissance de San Francisco, l’éditeur de la Beat Generation, le fondateur de la librairie City Lights Books vient de mourir à l’âge de 101 ans, ce 22 février 2021. Un très grand poète, simple et merveilleux.
J’avais eu le bonheur de le rencontrer à deux reprises à San Francisco, en 2007 et 2009.
J’ai écrit ce poème en 2011

Pour Lawrence Ferlinghetti

Ce frère en poésie
est un distributeur de joie.
Il vend (gratuitement)
du côté de North Beach
ou de l’Embarcadero

des cornets de glace bleu ciel.
D’après les analyses spectro-chimiques
elles ne contiendraient
aucune substance hallucinogène
mais ceux qui la goûtent
s’en vont en gambadant
tout nus dans la rue
sans tenir compte des flics
des militaires et des curés.
Quant à sa barbe-à-papa
elle provient des touffes de nuages
que ce garnement de 90 ans
arrache de temps en temps
aux poils célestes du bon Dieu
et à ses anges gardiens.
Puis, heureux de son méfait,
il saute sur son vélo
et disparaît en pédalant
derrière les collines
de San Francisco.

Francis Combes
le 11/5/2011

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Fumer tue

12 février 2021

usine sans cheminée

Autrefois les ouvriers
avaient pour cigares
les cheminées d’usine

 Mais « Fumer tue »

 Alors on leur a supprimé
cigarettes et cheminées

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Palabra en el Mundo Venezia

5 février 2021

Vient de paraître l’Anthologie « Palabra en el Mundo Venezia », éditée par Anna Lombardo, auprès du Centro internazionale della grafica di Venezia, pour la 14e édition de ce festival vénitien. Compte tenu des circonstances liées à la pandémie, les dix-sept poètes réunis ont adressé leur participation sous forme de vidéos, textes et photos et sont aujourd’hui réunis dans ce beau livre. Voici l’un de mes cinq poèmes traduits en italien par Anna Lombardo Geymonat.

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Sur le mode d’emploi de l’amour

Les poètes n’ont pas tout dit sur l’amour…
Aimer ce n’est pas seulement être amoureux
Aimer, ce n’est pas seulement désirer
Aimer, ce n’est pas seulement vouloir enlacer, embrasser
Aimer, ce n’est pas seulement faire l’amour
Aimer, ce n’est pas seulement craindre
ne plus être aimé
Aimer,
ce ne devrait pas être se torturer, être jaloux, se déchirer
Aimer,
comme le savent la plupart des gens ordinaires
c’est aussi faire la cuisine
les courses, le ménage, la vaisselle,
des confitures ou un poème…
Aimer, c’est prendre soin de ses proches
se soucier d’eux,
Aimer, c’est écouter,
parler,
vivre.
Aimer c’est les aider
dans la mesure du possible
et même au-delà
Aimer c’est aussi s’occuper
des affaires de la cité.
Aimer, c’est être solidaire.
Aimer
est une faculté largement partagée
et un travail à temps complet.

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Sulla declinazione dell’amore

No, i poeti non hanno detto tutto sull’amore…
Amare non è solo essere innamorati
Amare non è solo desiderare
Amare non è solo voler abbracciare, baciare
Amare non è solo fare l’amore
Amare non è solo temere
di non essere più amato
Amare,
non dovrebbe essere tortura, gelosia, e dilaniarsi
Amare,
come la maggior part delle gente comune sa
è anche cucinare
far la spesa, pulire, arei piatti,
fare marmellate o una poesia…
Amare è prendersi cura dei propri cari
preoccuparsi di loro,
Amare è ascoltare,
parlare,
vivere.
Amare è aiutarli
per quanto possibile
e anche oltre.
Amare è anche prendersi cura
delle cose della città.
Amare è solidarietà.
Amare
è una facoltà ampiamente condivisa
è un lavoro a tempo pieno.

Ode pour une veste rouge

24 janvier 2021

F+P veste rouge


Parfois, certains s’étonnent :
« Avec tout ce qui a changé
autour de nous et en nous,
avec les défaites,
les désillusions,
les démentis de l’Histoire,
les leçons de la vie…
tu es resté ce que tu étais ? »

C’est vrai, je hante toujours le pavé
des manifs avec toi,
mon bras passé autour de ton épaule,
et nous portons tous deux des vestes de velours rouge
que tu as toi-même
taillées, bâties, cousues.

Des vestes,
nous nous en sommes pourtant
ramassé quelques-unes,
c’est vrai…
Mais jamais
nous n’avons retourné la nôtre.

F veste rouge

En vérité,
je ne suis pas buté ;
si demain le capitalisme,
accepte de faire le premier pas
et — renonçant à ses profits —
se soumet à la loi
du bien commun,
je veux bien,
moi aussi,
penser à changer.

Mais, pour l’instant,
il reste ce qu’il est
et moi aussi.
F veste rouge int

La joyeuse troupe

16 janvier 2021

bois coupé

Voici dans l’air vif de ce petit matin
que débarque la troupe des bons copains
Marchant côté à côte ils avancent tout droit
Sachant où ils vont, ils y vont d’un bon pas

Prenant le maquis, la poudre d’escampette
Ils n’ont pour toute arme que des escopettes
mais de la bonne humeur, assez pour tenir
face à l’adversité et pour voir venir

Il y a là Jean à la cape d’échevin
qui change l’eau courante des mots en vin
Yves qui découpe d’une lame affutée
le taillis confus qui croît sous la futaie

Il y a là Juliette qui parle aux écureuils
Victor l’éclaireur, toujours bon pied bon œil
Aurélien-des-loups qui garde la forêt
Et bien sûr Jacqueline aux mains de clarté

Voici Franck distillant le givre hivernal
Dominique en oiseau changeant un journal
Jean-Michel qui sait le secret des cités
et Bernard montreur d’ours qui les fait danser

François joue du piano sur de simples souches
Katia tire des sons de tout ce qu’elle touche
Pedro, lui, fait vibrer les belles fougères
et Fabien la musique des hémisphères

Avancent de conserve Jennifer et Laurent
(Parmi les mycologues, un des plus savants)
Alexis qui va plus vite que le vent
Et Sophie et sa lyre qui marchent devant

Pierre Perce-montagne, qui n’est ni jeune ni vieux
Paul Fend-la-bise, qui n’a pas froid aux yeux
Marie Fille-des-airs, aussi Sûleyman
qui voyage sur un tapis volant

Tous ceux que j’ignore, qui viendront nous rejoindre
Non, notre jeune troupe n’est pas à plaindre
Bons compagnons du bonheur, faux chercheurs d’or,
Salut à qui je ne connais pas encore !

Bury, le 16/01/21

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